1. Introduction
Le sous-titre de ce blog, que vous pouvez lire en haut de
cette page, est « partager des
réflexions sur l'architecture d'organisation et la gestion des flux
d'information ». Je m’intéresse depuis 15 ans aux principes d’organisation
qui permettent de mieux travailler collectivement, de façon plus efficace. Les
lecteurs de ce blog ont pu voir que j’ai un intérêt tout particulier pour :
- Les réunions, en tant que système. Les réunions sont à la fois une nécessité du travail collaboratif dans un environnement complexe et un piège chronophage. L’optimisation de la façon de planifier et conduire des réunions, et surtout de les organiser en tant que système, est un enjeu essentiel de performance et de satisfaction au travail.
- L’utilisation du courriel et des outils alternatifs de communication, depuis les réseaux sociaux d’entreprises jusqu’à la messagerie instantanée. La charge de communication augmente de façon constante avec la complexité du travail à effectuer (c’est même une excellente façon de définir la complexité), donc cette gestion des communications, pour optimiser à la fois la performance/satisfaction individuelle et collective, est une question essentielle.
- L’optimisation du réseau implicite de communication, qui contient l’organisation hiérarchique, l’organisation projet, le système réunion, la sérendipité des « rencontres non planifiées » (ce qui touche à l’organisation spatiale tout comme à la culture de l’entreprise). J’ai beaucoup travaillé il y a 10 ans sur la modélisation et la simulation, je suis aujourd’hui plus intéressé par la collecte d’expérience et je me concentre donc sur la recherche bibliographie.
C’est pour celà que je m’intéresse aujourd’hui au livre
« The Joy of Work: 30 Ways to Fix Your
Work Culture and Fall in Love with Your Job Again” de Bruce Daisley. Comme indiqué dans le titre, Bruce Daisley propose le plaisir au travail
comme principe d’organisation des entreprises. Ce livre, un best-seller au succès
important et mérité, m’a fasciné parce qu’il fait une synthèse brillante des
bonnes idées des 10 dernières années, tout en les étayant par des exemples et
surtout des études scientifiques, depuis la neurologie jusqu’à la sociologie
quantitative. Je reviendrai dans la conclusion sur plusieurs autres livres qui
explorent des sujets connexes, ce qui est remarquable dans le livre de Bruce
Daisley est qu’il couvre un périmètre large et donne des arguments très solides
pour étayer les principes qu’il propose.
2. Travailler de façon plus agréable pour être plus efficace
Bruce Dailsey est le vice-président
de Twitter en charge de l’Europe. C’est également un manager observateur et curieux,
qui a cherché à comprendre les causes des fonctionnements et dysfonctionnements
dans son expérience professionnelle. Son approche originale a été de créer un
podcast, « Eat, Sleep, Work, Repeat »,
grâce auquel il a pu inviter un grand nombre d’auteurs et de scientifiques spécialisés dans
les méthodes de travail, l’efficacité et le plaisir au travail : « In the midst of acute self-doubt I decided
to take the perhaps puzzling step of starting a podcast. I felt that
recording it would give me permission to pick the brains of experts in
organisational psychology – the people who really understand what makes
workplaces tick ». Son livre est
la synthèse de tous les conseils obtenus lors des entretiens : « What I have discovered is that there is no shortage of science, research
and investigation into what makes work more fulfilling. It’s just that none of
the evidence ever seems to reach people doing everyday jobs. In this book I’ve
therefore distilled the wisdom of experts into thirty simple changes that
anyone can try out for themselves or suggest at a team meeting».
Cette approche nous rappelle
bien sûr celle de Daniel Pink, dont nous allons citer plusieurs ouvrages dans
cette revue, et en particulier « Drive »
dont le pitch lors de son TED talk sur la motivation était « There is a mismatch between what science
knows and what business does ». Une décennie plus tard, la science
a progressé et Bruce Daysley fait une constatation semblable : « The last fifteen
years have seen incredible advances in our understanding of work. Thanks to
neuroscience, behavioural economics and the arrival of ‘people analytics’, we
know more than ever before about what work is doing to us – and the actions we
can take to make it better ».
Comme souvent dans ce blog,
je ne vous propose pas une fiche de lecture complète mais plutôt une synthèse
orientée par les thèmes d’intérêt du blog : les principes d’organisation
et le management des flux d’information. En particulier, une partie importante
du livre est consacrée à l’art d’être un bon manager, un sujet de première
importance pour l’auteur : « Indeed,
good managers have more impact than higher salaries. That, at least, is the conclusion that was drawn following a role-play
experiment carried out in Spain and the US in which teams were given a
challenge and a manager was instructed to direct them as they saw fit ». Je vais faire ici un résumé
rapide des idées essentielles en termes d’organisation et méthodes de travail.
Je ne vais pas évoquer les sources et les preuves de ces principes, j’espère qu’ils
vous donneront envie de lire ce livre.
2.1 Le désengagement reste l’ennemi numéro un des organisations d’aujourd’hui.
Sans surprise, le livre
commence par un rappel du problème aigu du désengagement : « workforce suggests that only 13 per cent of employees
are engaged in their jobs, meaning that they are highly involved in and
enthusiastic about their work and workplaces ». On retrouve les idées de
nombreux auteurs, dont Yves Morieux. L’argumentaire
d’Yves Morieux à l’USI m’a tellement impressionné que j’en ai fait le pivot
de l’introduction de mon
livre en 2011. La complexité croissante du monde implique une complexité croissante
des organisations qui produit facilement une perte de sens et la baisse massive
de l’engagement (cf.
son TED talk). Bruce Daisley insiste sur le rôle des procédures, des
processus et des règles dans le fonctionnement déshumanisé qui conduit à ce
désengagement. On est proche des thèses de François Dupuy que
j’ai cité plusieurs fois.
Lutter contre le
désengagement, c’est travailler sur la motivation, et Bruce Daisley se place
sur les pas de Daniel
Pink et son best-seller Drive, en renforçant la motivation intrinsèque (interne
de l’employé) par opposition à la motivation extrinsèque : « research suggests
that ‘employees who receive lots of extrinsic rewards doing work that feels
boring and meaningless to them are making themselves sick’. There you have it –
the Smoothie Delusion. You can’t just make people love their jobs by giving
them rewards (of smoothies, money or whatever). An empty job remains an empty
job whatever the incentive ». Rappelons que les trois piliers de la motivation intrinsèque sont, pour
Daniel Pink, l’autonomie, le
développement de la maîtrise (mastery) et le sens
(purpose) : « The sense of purpose – of making a contribution – has been proven to be
a significant driver of workers’ engagement with, and commitment to, their jobs». Une partie importante du livre, ce que nous allons voir
dans les sections suivantes, est logiquement consacré à comment retrouver du
sens dans le travail, en particulier en y prenant plus de plaisir (une
condition et une conséquence).
Parmi les outils et les
routines qui reçoivent la critique de Bruce Daisley, l’email tient une part importante.
C’est fort logique lorsqu’on voit le
temps quotidien passé à répondre à ses courriels, plus de 25% selon la majorité
des études : « We
think we’re being immensely productive when we reduce our vast inbox down to
twenty or thirty emails. Yet in fact all we’ve done is to catch up with
responding to conversational requests from colleagues. We’re not using our time
productively, even though we think we’re devoting more of it to our work ». La résolution de ce dilemme
passe à la fois par la réduction du flux et par un meilleur traitement de ses
emails. Le premier point est une question
de culture, il faut responsabiliser les expéditeurs au profit des destinataires,
dans
une perspective lean. Il faut aussi promouvoir massivement les outils alternatifs,
ce que fait Bruce Daisley dans son livre. Le deuxième point passe par le développement
d’interfaces plus intelligentes pour traiter le flux de courriel en
utilisant les capacités progressives de l’Intelligence Artificielle pour
assister le tri et traitement (cette évolution est d’autant plus importante que
l’email
ne va pas disparaitre).
2.2 Pour redonner du sens au travail il faut se concentrer sur peu de choses et les faire bien, puis de mieux en mieux
Bruce Daisley cite de nombreuses
sources pour étayer ce qui est devenu une évidence ces dix dernières années :
nous
ne sommes pas faits pour le multi-tasking, mais au contraire pour faire une
chose à la fois, le mieux possible. Par exemple : « Psychologist Teresa Amabile, who has done extensive
research in this area, has established that people feel satisfied at work when
they are confident that they have made progress on something: not powering
through a mountain of email but focusing on a single task ». On retrouve ici (sur un horizon de temps différent) un des principes fondamentaux
de Google : « Mieux vaut faire
une seule chose et la faire bien ». Ce qui est particulièrement important, c’est
que le multi-tasking est à la fois inefficace du point de vue de la performance
et pénible du point de vue de la satisfaction au travail : « If you want to be
happier in your job, then, doing one thing at a time is a route to happiness as
well as productivity ». Lorsqu’on compare
le travail dans les équipes d’innovation des grands groupes et des startups, la
capacité à pouvoir travailler à 100% sur un sujet est une des principales
différences. La multiplicité des réunions de reporting, de procédures et de sujets à traiter en parallèle privent
beaucoup d’employés de l’efficacité et du plaisir à travailler à plein temps
sur un sujet unique.
Le livre parle aussi du
concept de flow de Mihaly Csikszentmihaly,
qui évoque le plaisir de faire de façon intense et immersive ce que nous savons
faire, avec un niveau de difficulté au juste niveau : suffisant pour nous faire
progresser et pas trop élevé pour que nous éprouvions le plaisir du « mastery » dont parlait Daniel Pink.
Le concept de flow s’applique également au « knowledge
worker » : « Writer and academic Cal Newport has his own term for the ‘flow’ this
involves: ‘Deep Work’, defined by him as ‘professional activities performed in
a state of distraction-free concentration that push your cognitive capacities
to the limit’ ».
Une autre idée importante, sur
laquelle nous reviendrons, est qu’il ne faut pas, contrairement à une idée
reçue, être trop contraint, en temps, ressources, procédures, pour donner le
meilleur de soi-même. Le stress n’est pas un stimulant, mais un inhibiteur de
la créativité : « When
we’re feeling stressed, ingenuity often goes out of the window. Instead, we
take refuge in whatever seemed to work last time. We repeat rather than
innovate ». On retrouve ici des idées
développées par Daniel
Kahneman : en situation de stress, nous sous-utilisons le « système
2 ». Il ne s’agit pas de supprimer le stress par une abondance de
ressources : les
principes de l’effectuation nous montrent au contraire qu’il faut savoir
faire avec ce que l’on a, mais l’autonomie doit être réelle pour que les
contraintes ne se transforment pas en stress. On peut aussi voir dans ces
principes une application du
lean au « knowledge worker ».
2.3 Comme nous l’enseigne l’approche lean, la surcharge est l’ennemi de la qualité, de la créativité et de l’innovation
Un des thèmes clé du lean appliqué au « cerveau d’œuvre »
est la nécessité de conserver des « lean
buffers », des zones de flexibilité dans son agenda, nécessaires à l’innovation,
la recherche continue de la qualité et la coopération. Je commence par citer
une fois de plus Yves Morieux : « La coopération c’est mettre ses
marges de manœuvre au service des autres » ; pour qu’elle ait lieu,
il faut un peu de flexibilité. C’est important pour innover, créer ou trouver
des solutions originales : « Don’t see gaps in your diary (and other people’s
diaries) as time when you’re not working. Our best ideas often come when we’re
sitting around and our mind is wandering ».
Il est également plus
efficace de contrôler la charge de travail et d’éviter les semaines trop
longues. C’est une idée différente de la précédente : les « buffers »
dont des zones de flexibilité faites pour être remplies, on parle ici du total : « At the end of the
century, in 1893, weekly hours at the Salford Iron Works were controversially
cut from fifty-three to forty-eight and the result was a reported increase in
total output » ; « His findings were unequivocal. The ideal maximum
working week was fifty hours. As he put it: ‘The marginal product of hours is a
constant until the knot at [about fifty] hours after which it declines.’ » L’auteur cite de nombreux
autres exemples qui montre que le fait de travailler le plus possible est une illusion
en termes d’efficacité. Une autre dimension passionnante qui nous vient des neurosciences
est la « fatigue décisionnelle » : chaque décision nous fatigue et une bonne organisation de la
journée consiste à conserver notre énergie et l’appliquer aux bonnes décisions :
« As Daniel Levitin asserts in The Organized Mind,
there’s a limit to what we can do. ‘Our brains are configured to make a certain
number of decisions per day,’ he writes, ‘and once we reach that limit, we
can’t make any more, regardless of how important they are’ ».
Il ne s’agit pas de prôner
une organisation unique du travail, il y a des moments et des enjeux
différents, qui conduisent à des pratiques différentes pendant la journée ou la
semaine. En revanche, il est essentiel de réserver des périodes de calme, des
moments qui permettent d’être créatif : « Allowing Monk Mode Mornings or moments of quiet reflection is a vital part
of the creative process ». Bruce Daisley cite l’expérience des nageurs de
combat anglais : « That’s why we subscribe to the Navy SEAL saying: “Under pressure you
don’t rise to the occasion, you sink to your level of training”,’ he concluded ». Il existe forcément des
moments difficiles, du point de vue du stress comme des enjeux, et c’est pour
cela que les standards, les procédures et les entrainements conservent toute
leur pertinence au 21e siècle. En revanche, ce n’est pas l’unique
méthode (optimale) pour créer de l’efficacité et il faut savoir alterner :
« As
Dan Pink has shown, setting time aside for innovation makes that innovation
more likely to happen. Ten or 20 per cent of each day is simply not practical,
but a week every six months (equivalent to two hours a week) – or even a day or
two – is eminently achievable, and the results can be extraordinary »
2.4 L’environnement de travail et l’organisation doivent minimiser les interruptions et maximiser la sérénité
Les
études scientifiques le disaient déjà il y a 10 ans, mais le faisceau de
preuve s’est considérablement renforcé : il faut fuir les interruptions
pour travailler efficacement. Même les interruptions pour les causes les plus légères
nous oblige à changer de contexte, à perdre notre concentration, et il nous faut beaucoup
plus de temps que perçu consciemment pour nous remettre dans le fil. Un
environnement qui nous soumet à trop d’interruptions est un environnement
stressant qui diminue notre performance au travail : « Time and time
again, scientists have found that constant distraction is a sure path to a
sense of discontent. Psychologists at Harvard University, using another smartphone
prompt to check on what people at work were thinking and doing, discovered that
for 46.9 per cent of the day they weren’t thinking about very much ».
Si le lieu de travail n’est
pas favorable à la concentration, il faut multiplier les alternatives et
admettre que différents types de tâches méritent des environnements différents.
Il est clair que l’ « open space »
favorise les échanges informel et la synchronisation, mais c’est aussi un accélérateur
d’interruption qui ne favorise pas l’efficacité : « The only problem
with this utopian view is that it’s not true. Open-plan offices have been
studied time and time again, and the conclusion is always the same: in
productivity terms, they’re a disaster ». Les bulles, les box, les petites salles de réunion que l’on peut réserver
ou encore le travail à la maison sont des meilleures alternatives dès qu’il vaut
mieux se concentrer : « His
view is that we shouldn’t even come into the office to do emails. We should
only come to work to have conversations and meet people ».
Il ne s’agit pas simplement
d’une question de lieux, mais également d’une question de culture et d’organisation,
voir de paramétrage des outils. Bruce Dailey cite l’exemple célèbre des
notifications, par exemple pour les courriels : « We should all consider removing all of the notifications from our email.
Off desktop, off mobile. Set your email up specifically so that you can only
see how many messages you have when you open the application ». Une interruption qui signale
un nouveau courriel, interprétée par le cerveau comme une nouvelle tâche, ajoute
à la charge mentale et crée de la fatigue inutile : « ‘Each
email you receive adds another task and at the end of the day you’re very
fatigued. We see the creativity and productivity of staff depleted by the end
of the day,’ Professor Jackson told the Guardian ». Construire le bon environnement et la bonne culture de travail a un impact
très fort sur les performances. Bruce Daisley cite une expérience où différentes
équipes, placées dans des conditions de travail très différentes, ont été mise
en compétition pour mesurer les effets de ces décisions d’organisation : « In the event, the
best teams performed far, far better than the worst – by a factor of ten. They
also outperformed the average by 2.5 times. The reason? It was whether people
felt they were able to get work done in peace. Sixty-two per cent of the top
performers said their workspace was ‘acceptably private’. Seventy-five per cent
of the bottom performers, by contrast, said they worked in locations that
subjected them to constant interruptions ».
2.5 Minimiser la taille des réunions pour maximiser l’efficacité
Les réunions tiennent une part
importante dans nos journées comme dans le livre de Bruce Dailey. Il milite fort
logiquement pour réduire et limiter le nombre des participants : « Put very simply,
teams should be small, and meetings smaller ». Les arguments sont multiples : une meilleure communication
(plus de temps par intervenant), un meilleur engagement (pour des raisons physiques
de disposition comme pour des raisons d’agenda) et une meilleure responsabilisation
des participants, dans la droite ligne de Christian Morel dans son
best-seller « Les
Décisions Absurdes ». La sociologie nous enseigne que notre sentiment
d’appropriation est inversement proportionnel au nombre de participants, qu’il
s’agisse d’une décision d’entreprise ou d’une réaction courageuse dans une
situation difficile.
Les réunions petites et
fréquentes sont essentielles à l’efficacité de la propagation de l’information dans
l’entreprise, mais elles ne sont pas suffisantes. Il faut construire une structure de “petits
mondes”, c’est-à-dire mélanger des
petits groupes fortement connectés avec réunions de plus grande taille qui
facilitent la propagation rapide sans déformation et évitent les silos : «
This insight led Heffernan to do
something that seems in retrospect blindingly simple. She introduced a
weekly social meeting. At half past four every Friday everyone would stop work,
gather together and listen as a small handful of their colleagues stood up to
say who they were and what they did ». J’en profite pour signaler
un point de divergence avec Bruce Daisley : s’ennuyer en réunion n’est pas
forcément un signe de mauvaise organisation. Un certain nombre de rituels,
telles que les réunions de partage de post-mortem, ou les réunions d’appropriation
des objectifs suivant les pratiques japonaises, sont des réunions lentes, avec
beaucoup de participants, dans lesquelles une forme d’ennui n’est pas illogique.
Tout ne se réduit pas au plaisir au travail, dans une situation complexe avec
un projet complexe, la notion d’engagement égal et unique de tous les
participants n’est pas réaliste. Pour construire des grandes choses complexes,
il faut accepter de savoir écouter et attendre.
Il est de bon ton de critiquer
les réunions et le temps qu’elles nous font perdre, mais elles sont utiles et
nécessaires comme outil de coordination. Dans mon livre de 2011 comme dans ce blog, j’insiste sur la notion de synchronisation émotionnelle
(nous allons y revenir ensuite), cette proximité qui permet d’éliminer les
coûts de transaction associés à une communication interpersonnelle. La proximité
créée par une réunion (physique, physiologique, émotionnelle) est un accélérateur
de collaboration. Bruce Dailsey insiste sur l’utilisation de l’humour et des périodes
de détente pour créer cette proximité : « But, even so, humour has its part to play here,
too. And the evidence suggests that it plays a much more sophisticated role
than you might think. Quite simply, it helps us to Sync ». De la même façon, les temps collectifs de détente au sein
de l’entreprise contribuent à la performance globale : « Amusement, in other
words, isn’t just a frivolous waste of time. The looseness of thought that
laughter provokes triggers our creative juices, encouraging free association of
ideas ».
Ce livre consacre quelques pages
à la pratique des « walking meetings »,
ce qui consiste à faire des petites réunions en marchant : « And what Oppezzo and
Schwartz discovered was that walking led to a very significant uplift in
creative thinking: in fact, 81 per cent of participants saw their scores for
giving creative suggestions go up when they were walking rather than sitting
(the average increase was 60 per cent) ». Ce conseil s’inscrit dans une approche plurielle, comme
précédemment : il n’existe pas de méthode universellement efficace, mais
chacune correspond à des situations et objectifs différents : « As the scientists put it, walking may not be good for
convergent thinking (i.e. homing in on the ‘correct’, standard answer to a
question) but it is a powerful tool for divergent thinking (coming up with
fresh, imaginative ideas) ».
2.6 Une organisation efficace passe par un management efficace du temps et de la temporalité
La chrono-analyse nous
enseigne que notre efficacité et notre énergie varie durant la journée. Bruce
Daisley cite plusieurs fois When :
The Scientific Secret of Perfect Timing, le livre de Daniel Pink qui est
une référence sur le sujet. Ce livre est une mine d’information qui mériterait
une revue séparée, en particulier en ce qui concerne les différents moments de
la journée : « First, our
cognitive abilities do not remain static over the course of a day. During the
sixteen or so hours we’re awake, they change—often in a regular, foreseeable
manner. We are smarter, faster, dimmer, slower, more creative, and less
creative in some parts of the day than others ». Les courbes de variation d’énergie perçue durant la journée sont remarquablement
similaires d’une personne à l’autre, d’un
métier à l’autre ou d’un pays à l’autre. Le début de l’après-midi est
difficile, je cite Daniel Pink : « One British survey got even
more precise when it found that the typical worker reaches the most
unproductive moment of the day at 2:55 p.m.”. Bruce Dailey cite d’autres
exemples du même livre : « So, as Daniel Pink noted in his 2018 book When, judges
tend to hand down harsher sentences after lunch and doctors tend to make less
accurate diagnoses». Lorsque l’énergie baisse, nous préférons les interactions
au travail qui nécessite de la concentration : « separate study into
office interactions has suggested that 2.30 p.m. to 4 p.m. is the noisiest
time. Afternoons seem to be most prone to chat and conversation. This is
something you can build on to create a day that both manages work flow and
produces ideas ». Ce que recommande Bruce Daisly est d’utiliser les différents moments de la
journée pour différents types d’activité, en se rappelant que même s’il y a des
« patterns » communs, il y a aussi des spécificités individuelles.
La
gestion du temps n’est pas la maximisation du travail. La gestion du temps
est souvent vue, ou enseignée dans les séminaires de « self-improvement », comme une approche
pour en faire plus durant la même quantité de temps. En vertu de ce qui a été
dit dans les sections précédentes (le besoin de buffers et de breaks) ce n’est
pas ce que propose Bruce Daisley, il s’agit plutôt d’utiliser la temporalité
(ce que la chrono-analyse nous enseigne sur les moments de la journée) pour
maximiser notre énergie et notre attention. La notion du « juste moment
pour les choses », le sujet du livre de Daniel Pink, ne se réduit pas aux heures
de la journée ou les jours de la semaine, le « juste moment » dépend du
contexte et des protagonistes. Bruce Daisley nous met en garde contre le « As Soon
As Possible (ASAP) » qui est l’opposé du « juste
moment » : «That familiar acronym ASAP can create an unnecessary
level of anxiety in an office ». Pousser ses demandes tout de suite en permanence (le contraire du lean) n’est pas efficace, il faut savoir
les conserver pour le « juste moment » de celui qui va fournir le travail
(un point 121, une rencontre, une réunion …).
Nos biorythmes sont complexes, une superposition de cycles de
fréquences différentes, ce qui conduit à la fois à faire des choses différentes
à différents moment de la journée, et d’organiser son temps quotidien avec une
alternance de temps forts et faibles : « Most people work best in ninety-minute energy cycles. Getting
ourselves ready to maximise the output of each cycle is the best way to get the
most from our work ». On retrouve la même idée sous la
plume de Daniel Pink : « A psychologist who studies extraordinary performers, Ericsson found that
elite performers have something in common: They’re really good at taking breaks ». Bruce Daisley résume ces deux aspects combinés de la chrono-analyse
comme suit : « Two necessary changes to our working habits
flow from this. Firstly, we should carry out important activities before lunch.
Our mind is freshest then and most able to power through complex cognitive
challenges. Secondly, we should stop thinking that we’re going to get more done
by not taking a break ».
2.7 L’importance fondamentale de la synchronicité pour le plaisir, la réactivité et l’efficacité
Une des idées fondamentales
des nouvelles méthodes de travail mieux adaptées à la complexité, depuis le
développement agile au équipes autoorganisées en passant par le lean management, est la notion de synchronicité.
La synchronicité consiste à mettre une équipe ensemble, sur le même lieu et au
même moment, sur le même sujet et avec le même contexte. La synchronicité s’oppose
à l’asynchronicité des modèles bureaucratiques et de la répartition des tâches,
hérités du management scientifique de Frederick Taylor. La synchronicité permet d’aborder des
situations et des problèmes plus complexes, elle est également un facteur d’engagement
et de satisfaction : « All
the evidence suggests that humans derive joy from being in synchrony with those
around us. Sometimes
this synchrony can take the form of highly choreographed actions – dancing with
others, singing in a choir, sharing a crowd’s delight in sporting success. When
we’re in harmony with others we tend to sense a moment of euphoria ». La synchronicité n’est pas qu’une question d’organisation,
c’est également une question de culture. Bruce Daisley donne de multiples
exemples qui encouragent ce partage de contexte, pour simplifier et approfondir
les échanges professionnels par la suite : « Of course, pizza
meetings turned out to be about rather more than pizza, cramped space and fun.
In Puleston’s view: ‘There was definitely a synchronisation part to that
meeting. All cultures require synchronisation and it’s important because it
makes knowledge common. The emotional content of that meeting is what made it
what it was, and made it so effective.’ And did food help? ‘Food is essentially
what brings people to the table but then it’s all about what you say, and the
intent of the meeting ». Ce partage des repas est à la fois un booster d’efficacité
et de satisfaction au travail : « Planning to spend a couple of lunch breaks a week
sitting with colleagues can boost your happiness ».
Cette synchronicité se
cultive en multipliant les occasions de communication sous toutes ses formes : « Constant communication, then – by which I mean
informal, unscheduled chat, not formal, pre-arranged meetings – is the
essential oil that lubricates an enterprise and ensures its smooth running.
It’s what creates Sync. The question is: what’s the best way to ensure that it happens? ». Ce besoin
de synchronicité pose une contrainte sur la co-localisation. Il permet de
comprendre l’avantage important des équipes co-localisées par rapport aux modèles
de distribution géographique. Lorsque la co-localisation n’est pas possible, il
faut beaucoup de créativité, de rituels, de voyages pour créer ces conditions
de synchronicité. La même remarque s’applique au télétravail : il faut trouver
un équilibre. Certaines tâches s’exécutent mieux dans un environnement calme et
isolé, mais il faut aussi garder des opportunité de synchronisation, émotionnelle
et informelle : « When
you work from home it doesn’t just affect you. You dramatically reduce the
performance of people you work with by being at home. Waber feels that the
reduction in ideas flow that home working produces reduces the collective
intelligence of teams. Staying at the kitchen table is not the answer. You need
a balance ».
2.8 Les fondamentaux des équipes autonomes, motivées et engagées
La synchronicité et l’autonomie
conduisent à développer des équipes plus engagées et plus efficaces. Bruce Daisley
donne plusieurs exemples tirés du développement logiciel, pour lesquels la synchronisation
entre les membres de l’équipe est un facteur direct d’efficacité : « Having looked at decades’ worth of research he has
even been able to quantify the shortfall created by remote working among
software engineers: ‘If my code depends on your code and we don’t communicate,’
he believes, ‘it takes us 32 per cent longer to complete that code’ ». Les équipes
qui sont bien synchronisées commettent moins d’erreur, ce qui avait déjà été mis
en avant par Christian Morel cité plus haut. Les exemples tirés de l’aéronautique
sont nombreux :
« It
should come as no surprise that the safest crews on the planet tend to be the
ones who know each other best. Organisational psychologist Adam Grant points
out that ‘over 75 per cent of airline accidents happen the first time a crew is
flying together’ ».
Les
équipes sont plus efficaces lorsque leur taille est limitée. Je ne m’étends
pas car ce sujet est abondamment évoqué ailleurs. Bruce Dailey tire certains exemples de l’approche
Scrum: « The other striking feature of Scrum is its emphasis on
team size. Chucking people at a problem, while tempting, is rarely the answer.
Instead, Sutherland believes, teams should be kept as tight as possible – ideally
to around seven people, give or take one or two ». Ce principe s’applique aux
équipes opérationnelles comme aux équipes de management : « For Patrick Lencioni, a
world-renowned coach to some of the world’s most senior business management
teams, this fundamental principle extends right to the top. If large project
teams are inefficient, so too are large management teams. Equally important, in
Lencioni’s view, their very size precludes their members from speaking truth to
power ».
Une équipe soudée et unie
est capable de collaborer à la résolution de problème et de construire une
intelligence collective, mais il ne faut pas non plus la réduire par
homogénéisation : ses membres sont différents et ont leur propre expertise.
Bruce Daisley nous met en garde contre l’abus du « brainstorming » :
« The
writer Susan Cain believes that the reason why we like to believe in the power
of the brainstorm is that the groupthink of the modern age celebrates the
habits of extroverts at the expense of the less evident action of introverts.
She argues that the rise of performative arts and culture that we witnessed
through the twentieth century resulted in a favouring of the skills of the half
of society who are extroverted ». La bonne équipe comprend les bonnes expertises, en
conservant une taille raisonnable. Lorsque le poids de la communication - qui
augmente de façon quadratique avec la taille de l’équipe - devient trop
important, l’efficacité chute brutalement et de façon massive. Il cite une
étude dans laquelle la mauvaise organisation d’une équipe trop grande se
traduit par une dégradation nettement supérieure à un facteur 10 : « And he discovered that the x 10 factor was
way off. Once
you allowed for the complexities of teams, discussions, presentations, status
chats, emails and reviews, he discovered, the time spent on a badly organised
project seemed to increase exponentially. ‘It actually didn’t take the slow
team ten weeks to do what the best team could do in one week,’ Sutherland
concluded. ‘Rather it took them 2,000 weeks’ ». Cet exemple spectaculaire est conforme à ma propre
expérience : lorsque pour répondre à un retard important, on ajoute des ressources
de façon importante, mais distribuée géographiquement et sans résoudre les
problèmes de communication – par exemple en minimisant les voyages – on peut
facilement stopper l’exécution d’un projet.
3. Conclusion
Le lecteur régulier de ce blog ne devrait pas trouver de vraie
surprise dans les sections précédentes, mais l’avancée des neurosciences et de
la sociologie quantitative rend la science de plus en plus pertinente sur l’optimisation
de l’organisation du travail. Ce compte-rendu est forcément biaisé car je
souffre du « biais de confirmation »,
puisque j’ai trouvé dans sa lecture des arguments scientifiques qui confirme ce
que je pense depuis 10 ans, à partir de mon expérience de manager ou de mes
résultats de simulation.
Ce que j’apprécie particulièrement, c’est que ce livre propose
une synthèse claire et documentée sur un ensemble de principes qui auparavant
étaient répartis dans de nombreux ouvrages ou témoignages. Voici par exemple ma
petite bibliographie personnelle sur les sujets que nous venons d’aborder :
- How Google works, de Eric Schmidt et Jonathan Rosenberg,
- Joy – How We Built a Workplace People Love, de Richard Sheridan
- The Future of Management, de Gary Hamel
- Drive – The Surprising Truth About What Motivates Us & When – The Scientific Secrets of Perfect Timing, de Daniel Pink
- Rework, de Jason Fried et David Heinemeier Hansson
- Les Décisions Absurdes, de Christian Morel
- Lost in management, de François Dupuy
- Processus et Entreprise 2.0
J’ai trouvé également un parallèle intéressant avec l’article
« 7
conseils pour éviter le burn-out » du dernier numéro de Challenge
(n°609) contre le burn-out :
- Reprendre le contrôle du temps
- Alléger sa charge mentale
- Réussir sa déconnexion digitale
- Se libérer du bureau (faire des breaks)
- S’investir raisonnablement (équilibre pro/perso)
- Apprendre à dire non (lisser sa charge)
- Fuir les cultures d’entreprises toxiques (je n’en ai pas parlé ici, mais une partie importante du livre est consacrée au mauvais managers … et comment les éviter)
Belle approche.Congrats Yves
RépondreSupprimerToujours extrêmement heureuse de vous lire. Vraiment je vais finir par être une apôtre tellement je pense et j’expérimente "tout pareil" ! je crains m^me de souffrir du m^me biais de confirmation, mais je le vis plutôt comme une intuition seconde qui surgit car liée au cumul des expérience professionnelles et à une insatiable curiosité et à une analyse permanente sans préconception des écosystèmes.
RépondreSupprimerMerci oour ces feedbacks positifs :) Il y a une mise en abîme implicite : ce travail permanent sur l'organisation du travail est une quête de sens (curiosté/modélisation) sur nos expériences quotidienne en entreprise.
RépondreSupprimerOui absolument, et c'est bien d'oser parler de sens à un moment où l'humain est justement en perte de repères tellement les structures millénaires se sont effondrées et n'ont pas été remplacées, ou l'ont été par des modèles économiques qui ne satisfont bien évidemment pas notre besoin de lien, de sacré, de beau, bref toutes ces choses intangibles mais primordiales à notre survie. Je ne cesse de vouloir faire retrouver du sens aux projets pour accompagner les équipes dans le changement profond de paradigme qui les secoue, les abîme et finit par désengager puis burn out. Mais ce sens doit remonter à la tête de l'entreprise/écosystème pour être porter et suivi, et là je trouve que c'est vraiment plus compliqué. Comment vous faites ? on est en relation sur Linkedin= sylvie chamorro humanagement.co (en cours mais visible !) belle journée à vous
RépondreSupprimerIl est important de prendre en considération tout ce que vous avez indiqué dans la gestion de ses hommes merci pour cette très belle fiche
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