Je reviens aujourd'hui sur le thème du « Lean Knowledge Worker » avec quelques réflexions disparates.
Avant de commencer, je voudrais partager un excellent blog sur le lean : http://www.gembapantarei.com/.
Je vous laisse le découvrir, le niveau de maturité et de pertinence est clairement un cran au dessus de ce qu'on trouve en se promenant aléatoirement avec Google.
Mon premier thème sur jour est l'humilité, qui est une condition nécessaire à la pratique du lean, en particulier le kaizen. Cette humilité prend plusieurs formes, dont la capacité à réfléchir sur ses erreurs, ce que les japonais appellent le Hansei. Je ne vais pas faire semblant d'être un spécialiste du Japon (et le Hansei est véritablement une pratique qui est liée à la culture). Ce sujet est merveilleusement développé dans le livre de J. Liker « The Toyota Way » qui est mon compagnon de route favori sur ces sujets. L'humilité se traduit ici par une véritable acceptation des erreurs, ainsi que des causes de ces erreurs (et de façon récursive, d'où la méthode des « Cinq Pourquoi »). Le mot « acceptation » ici est profond : il n'y a pas de culpabilité ou de jugement de valeur. Pour paraphraser Deming, il faut « chérir ses erreurs » car elles portent chacune les germes du progrès. La recherche de l'amélioration continue n'est pas un but, une destination, c'est un voyage continuel (ce thème est bien expliqué dans gembapantarei). L'erreur la plus commune lorsque les entreprise occidentales essayent d'appliquer « The Toyota Way » est de confondre mesure et évaluation.
Il existe un autre besoin d'humilité qui est directement lié à la notion de « lean » et de simplification : l'humilité de reconnaître que l'on n'est pas indispensable. Ceci s'exprime de nombreuses façons : reconnaître qu'on n'est pas indispensable dans une réunion, que son rôle d'intermédiaire n'est pas nécessaire, que l'on peut se retirer d'un circuit d'approbation, qu'il n'est pas nécessaire d'être informé, etc. Chacun de ces points est :
- indispensable pour obtenir un fonctionnement « lean »
- réellement difficile à mettre en œuvre (comprendre et pratiquer).
Reprenons ces exemples :
- Les réunions fonctionnent mieux avec moins de participants. C'est un sujet que j'ai abordé de nombreuses fois, et les preuves abondent, du coté des psychologues, des sociologues ou tout simplement de l'expérience (s'il il fallait résumer en deux mots clés, je choisirai appropriation et feedback). En revanche, la même expérience montre qu'il est difficile de s'appliquer cette connaissance générale à soi-même, et que chacun pense que participer à une réunion « en auditeur tranquille, sans déranger, pour s'instruire » n'a aucun impact négatif.
- Les (grandes) organisations modernes sont complexes, avec des chaines importantes de transmission d'information. De nombreux rôles de consolidation, d'intermédiaires apparaissent. Il est difficile de savoir reconnaître quand ces rôles sont nécessaires, et quand ils sont superflus : une fois le poste créé, il est dans la nature humaine de se sentir « nécessaire ». De plus, les grandes organisations aiment les processus bien clairs, et l'effacement conditionnel/occasionnel n'est pas une pratique naturelle. Ici aussi la pratique du lean enseigne au contraire que ce qui n'est pas obligatoire est souvent superflu et représente un poids mort qui étouffe.
- Le besoin de s'inscrire dans un circuit d'approbation ou de diffusion d'information fait écho à une peur fondamentale de l'individu du 21e siècle, la peur de l'insignifiance. Je renvoie le lecteur à tout ce que les sociologues et les philosophes écrivent sur la société post-moderne (voir par exemple « Les embarras de l'individualisme post-moderne » de Monique Castillo). On peut y raccrocher l'addiction à l'information, mais c'est en fait un symptôme du problème précédent.
L'enjeu culturel pour dépasser ces difficultés est de savoir penser globalement, au-delà de son propre périmètre et de ses propres limites, ce qui est une autre forme d'humilité. C'est particulièrement important dans un processus de production de « matière grise ». Savoir, de façon continue, resituer sa contribution intellectuelle dans un cadre général, par rapport à un objectif partagé, est un objectif clé pour les entreprises du 21e siècle. Par exemple, l'efficacité de la R&D s'inscrit dans cette problématique.
Je poursuis par ailleurs ma réflexion sur le « Kanban » du KW. Autrement dit, quels sont les outils de « management visuel d'un flux tendu » qui se transposent dans une société de services de l' « économie digitale ». J'ai trouvé un premier lot de références intéressantes sur le Web (par exemple : sur le blog AgileManagement). Le principe du « management visuel » ne s'applique pas uniquement dans un fonctionnement « pull » en flux tendus. Même lorsqu'un fonctionnement réactif (par propagation d'événements) reste nécessaire ou souhaitable, la notion de kanban, au sens d' « outil visuel partagé permettant de fluidifier le fonctionnement » est pertinente. Voici trois exemples simples :
- Partager sur un mur les informations de façon globale, précisément pour donner à chacun un référentiel partagé du contexte complet du processus auquel il participe. Cela recouvre la pratique de couvrir les couloirs avec les informations de chaque direction, la pratique des war-rooms, tout ce qui de fait utilise la stigmergie comme principe actif de communication. La stigmergie est une forme de communication sans contact direct (les champions de la stigmergie sont les fourmis qui communiquent par dépôts de phéromones le long de leurs trajets). La stigmergie est doublement pertinente. D'une part elle fait déplacer les individus au lieu de déplacer les informations, ce qui multiplie les possibilités d'échanges créateurs de valeur. D'autre part, elle est globalisante par nature et ignore les frontières organisationnelles (un sujet sur lequel je reviendrai).
- Utiliser les indicateurs de présence associés aux outils d'instant messaging pour joindre « au bon moment ». L'instant messaging est un outil naturellement destiné au fonctionnement « lean » : il évite les efforts de communication inutiles, il participe à la remontée instantanées des signaux et peut donc servir à piloter un flux tendu, où tout au moins le « chaînage arrière », c'est-à-dire l'orientation client.
- Disposer d'un indicateur de charge et éviter d'envoyer des flux d'information aux KW qui sont déjà surchargés. Ici je sors de ce qui existe et je rentre dans le « wishful thinking » …. C'est la suite du message précédent sur la gestion des piles d'emails. L'application des principes lean conduit directement à postuler qu'il faudrait connaître l' « état de charge » de l'interlocuteur à qui l'on envoie un message avant de le faire (pour éviter de contribuer à une saturation improductive). En effet tout envoi de mail est une consommation de temps du destinataire, ne serait-ce que pour lire le message. Il n'existe pas (encore ?) de telle fonctionnalité dans les outils de courrier électronique, mais il est facile d'utiliser un portail d'équipe, un wiki collaboratif, ou tout autre forme d'outil 2.0 pour partager une forme visuelle (déclarative ou mesurée) de la quantité de travail attribuée de façon courante à chaque KW. On remarquera bien sûr que la pratique du partage d'agenda (y compris de façon collective sur un mur) est une première réponse à cette attente. On retrouve d'ailleurs cette idée implémentée dans les « salles projet ». En revanche, la notion d'indicateur de charge liée au traitement des messages/requêtes n'est pas encore très développée (on retombe sur le sujet de la sociométrie de la collaboration en entreprise).
Je vais poursuivre mes recherches sur le Web, je suis bien sur que cette idée a été implémentée quelque part …