lundi, juin 29, 2020

Les habitudes de l’efficacité personnelle


1. Introduction

 

Ce billet est un billet d’été, une période favorable à la prise de recul et l’observation. J’ai décidé de revenir sur le sujet de l’efficacité personnelle, un sujet que j’aborde souvent dans ce blog sous le vocable de selfLean . Une de mes citations préférées est la phrase célèbre d’Aristote :  « Nous sommes ce que nous faisons de façon répétée, l’excellence est une habitude ». Je vais donc m’intéresser à l’efficacité personnelle, qui est une forme d’excellence, au travers des habitudes qui sont favorables à son développement. Sur le thème de l’importance des habitudes, il y a de nombreuses et excellentes ressources, mais je vous recommande le best-seller de James Clear, « Atomic Habits – An Easy & Proven Way to Build Good Habits and Break Bad Ones », que j’ai commenté ici. L’importances des pratiques et des habitudes pour implémenter l’amélioration continue, d’une personne comme d’une équipe, n’est plus à démontrer.

La deuxième référence que je peux faire ici à la pensée grecque est le fait de s’observer pour se connaitre : « Gnothi Seauton ». Mon intérêt prononcé pour le « quantified self » et le « self tracking », par exemple au travers de d’application Knomee, est dû à l’importance de l’observation à la fois pour mieux se comprendre et mettre en place des habitudes. Je peux citer ici Gretchen Rubin dans son livre célèbre « The Happiness Project » : « Current research underscores the wisdom of Benjamin Franklin chart keeping approach. People are more likely to make progress on goals that are broken into concrete, measurable actions, with some kind of structured accountability and positive reinforcement ». Pour développer son efficacité personnelle, il est essentiel de bien se connaitre. A l’inverse, les habitudes qui permettent de développer cette efficacité n’ont rien de révolutionnaire ou d’original. Elles sont connues depuis longtemps et ce qui est complexe, c’est la discipline pour les mettre en place et s’y tenir.


J’écoute un certain nombre de podcasts sur ce thème, comme le « Tim Ferris Show » ou « Le Gratin » de Pauline Laigneau. On retrouve dans les différents interviews, tout comme dans le livre de Bruce Daysley, beaucoup de thèmes communs et surtout de pratiques communes.  Dans cet esprit de « devenir une meilleure version de soi-même », ce billet se veut une synthèse des pratiques que j’essaye de transformer en habitudes pour augmenter mon efficacité personnelle, dans mon activité professionnelle et les différentes extensions, depuis l’écriture du blog (et des livres) jusqu’au développement (CLAIRE , GTES ou Knomee). Comme ce sont des sujets que j’ai déjà abordés, je vais rester synthétique et essayer d’avoir une vue en largeur plutôt qu’en profondeur. Je vais donc me limiter à une quinzaine de pratiques ou d’idées, sans trop essayer de vous convaincre.

Le billet est organisé comme suit. La section suivante commence par l’organisation des tâches, dans l’esprit de « Getting Things Done ». Si je marche clairement sur les pas de David Allen, j’y ajoute l’apport de l’approche lean au travers du « SelfLean » : organiser ses flux, réduire son WIP et rendre la complexité visible.  La section 3 s’intéresse plus en détail à la gestion du temps (ce qui est bien sûr un des aspects de la gestion des tâches). Toujours dans l’esprit lean, le plus important est de savoir maintenir l’ouverture aux opportunités, savoir « se hâter lentement » pour profiter d’un monde incertain et volatil. La section 4 traite de l’utilisation des lieux. Les lieux jouent un rôle important dans notre efficacité, à la fois d’un point de vue fonctionnel (il y a des lieux mieux adaptés que d’autres en fonction des activités) mais également d’un point de vue symbolique, comme ancrage de nos pratiques. Associer des pratiques à des lieux est un accélérateur de discipline. La dernière section porte sur la gestion de l’énergie, un sujet qui m’apparait de plus en plus fondamental en prenant de l’âge. C’est le sujet d’un autre best-seller, « The Power of Full Engagement », de Jim Loehr et Tony Schwartz, dont le sous-titre résume bien ce dont je vais parler : « Managing Energy, Not Time is the Key to High Performance and Personal Renewal ».

 

2. Bien gérer ses taches

La première pratique, la plus évidente à énoncer mais qui requiert beaucoup de discipline à exécuter, est de faire une chose (importante) à la fois, et de la faire vraiment bien. C’est le deuxième principe fondateur de Google: “Mieux vaut faire une seule chose et la faire bien ». Cette phrase seule mériterait un billet de blog; j’ai mis plus de 10 ans à comprendre sa profondeur. La première raison est l’inefficacité du multi-tasking, qui est aujourd’hui prouvé scientifiquement. La seconde raison est l’importance de l’impact pour maintenir notre engagement et notre énergie, j’y reviendrai. La troisième raison est l’importance de l’apprentissage, de l’amélioration continue pour développer notre « mastery », au sens de Daniel Pink. Il y a dans l’expression « la faire bien » une réflexivité nécessaire qui est la principale cause du dépassement de soi.


La deuxième pratique consiste à décharger son esprit de la charge mentale des choses à faire, et donc d’écrire des « to do » lists,  en suivant les recommandations de David Allen dans « Getting Things Done ». Je pratique depuis très longtemps les « to do », sur des échelles de temps variées (je vais y revenir), en mode « backlog » : le but est de vider mon esprit, pas de créer du stress supplémentaire avec des planning intenables. Tout ce qui est dans le backlog est noté pour ne pas être oublié (et libérer le cerveau de la tâche de s’en rappeler), mais une grande partie sera éliminée ensuite, selon les bonnes pratiques lean et agile (« choisir, c’est renoncer »). Je cherche à maximiser le flux de création de valeur, pas à faire le maximum de choses ni tenir le maximum d’engagements. La gestion du backlog a pour but de faire la bonne chose au bon moment, et donc de savoir attendre.

Si la ou les  « to do lists » sont des backlogs,  il faut utiliser d’autres solutions pour piloter son flux personnel de travail, et c’est ici que les outils lean de management visuel sont utiles. J’utilise depuis une dizaine d’année des « kanbans personnels » dont le premier but est de rendre visible la complexité/richesse du backlog pour m’aider à limiter mon « work in progress » et donc à faire des choix et renoncer. J’utilise par exemple le tableau (ou sa forme électronique) pour représenter chaque dossier (ou projet) en cours. Dans le type de jobs que j’occupe, le kanban est un outil essentiel pour mettre en œuvre la première pratique. Le kanban permet aussi de travailler le plus possible en mode pull, en fonction des consommateurs de ce que l’on produit. Un document qui n’est pas lu ne sert à rien, un mémo qui ne permet pas de conduire à une conversation ne libère, le plus souvent, que 10% de sa valeur potentielle.


3. Bien gérer son temps

L’outil qui me sert le plus est une structuration « fish eye » de mes horizons de temps, développée au cours des années. Cela me permet d’avoir une backlog pour un temps infini, avec des compartiments de même taille (en charge mentale) pour la journée qui vient, la semaine qui vient, le mois qui vient, l’année qui vient. Le principe de la vue fish-eye est d’avoir un bon niveau de détail pour ce qui est proche, et qui diminue pour ce qui est éloigné. Utiliser un planning multi-échelle avec cette contraction progressive du temps vers l’horizon permet une manipulation très facile de son backlog. On pourrait penser que la contraction du temps biaise la gestion de capacité, mais l’expérience montre au contraire que c’est une bonne pratique d’être d’autant plus restreint que l’horizon est lointain.


Je cite ici l’ouvrage de Bernard Leblanc-Halmos, « où trouver le temps ? » car c’est bien le sujet dont il s’agit ici, et cette lecture reste jubilatoire, même si le livre a 30 ans. Trouver le temps, c’est le préserver ; le rôle principal des outils de gestion du temps est de servir l’objectif de la section précédente – se donner le temps de bien faire ce que l’on fait ou l’éliminer de sa backlog – et, encore plus, se préserver l’agilité de pouvoir saisir les opportunités que l’on ne connait pas encore. Ce point est fondamental, il est à l’intersection de deux principes. Le premier principe « lean » veut que pour bien travailler, il faut se laisser des marges de manœuvre. Je parle très souvent de l’importance des « buffers » pour le travail d’équipe, mais cela s’applique également à l’efficacité personnelle, pour les mêmes raisons de complexité. Le second principe « agile » veut que chaque utilisation du temps soit comparée à sa valeur d’opportunité. C’est raisonnablement facile dans le présent (passer du backlog au kanban en faisant ses choix), c’est plus subtil lorsqu’il s’agit du futur que personne ne connait. Je vous renvoie ici à l’éloge de « festina lente » de Nassim Taleb dans Antifragile.

Une idée reçue veut que le temps soit fini, et qu’il soit le même pour tous. Pourtant, la perception du temps est relative et subjective. L’efficacité permet justement de dilater le temps, ou de compresser ce qui soit entrer dans une période de temps. C’est vrai pour le travail personnel, c’est également vrai pour la communication : une communication bien préparée est plus efficace et prend, ce que je constate années après années, moins de temps. Tout ceux qui travaillent avec moi savent que je suis un grand amateur de dessins, de schémas et d’illustrations. J’aime collaborer en dessinant au tableau, j’utilise des schémas pour expliquer, et cela marche beaucoup mieux en construisant le schéma pendant la conversation, ce que savent tous les enseignants. Collaborer exige de partager un contexte, utiliser les illustrations est une façon de « compresser le contexte » : plus le schéma est pertinent, moins il faut de temps pour se synchroniser sur ce contexte. De la même façon que la complexité de Kolmogorov lie l’intelligence à la compression, mon expérience est que le temps passé à construire ses arguments et représenter ses idées sous formes de dessins et schéma est un accélérateur d’efficacité, personnelle comme collective. C’est d’ailleurs le même argument qui me conduit à penser que l’utilisation des assistants cognitifs – qui se préparent pour les décennies à venir – vont être un formidable accélérateur de communication et de collaboration.

 

4. Bien gérer sa communication

Qu’il s’agisse d’email, de SMS ou de messages sur les différentes plateformes collaborative modernes, la communication asynchrone est un outil indispensable pour optimiser son efficacité, pour deux raisons évidentes :  le découplage temporel redonner la liberté d’optimiser son temps et l’efficacité de la lecture (on lit beaucoup plus vite que l’on n’écoute) permet de mieux gérer le problème de la surcharge des flux entrants. J’ai beaucoup écrit dans ce blog sur l’approche lean appliqué à la gestion des courriels (LEMM : Lean E-Mail Management), mais en me concentrant surtout sur le « système » émetteur-lecteur et les règles collectives d’usage. De façon plus personnelle, la pratique essentielle est de réduire le temps de traversée de sa boite mail, pour réduire le nombre (cf. la loi de Little), ce que je fais avec deux pratiques : éviter le rework (traiter chaque mail une seule fois) en utilisant des couleurs,  et traiter mes emails une fois par jour au moment que je choisis (matin) et de façon contrôlée (en exploitant sans remords la dimension asynchrone). Maintenir sa boite email dans un « état ordonné » est à la fois une application des principes précédents (réduire sa charge mentale) et la façon de résoudre un paradoxe : comment participer à l’accélération des flux (approche lean de l’efficacité collective) sans devenir un esclave de sa boite aux lettres. Si vous voulez plus de conseil sur la bonne façon de gérer le flux entrant désordonné de demandes, je vous conseille d’écouter Elizabeth Gilbert.


Une des idées les plus importantes de ce blog, tirée à la fois de mon expérience et de mes lectures, est que le travail dans un monde complexe exige la collaboration synchrone. Je vous renvoie au livre de Bruce Daisley, « The Joy of Work », que j’ai déjà commenté. La communication synchrone, qu’il s’agisse du standup meeting, du coup de fil, de la visio ou de la conversation devant un café, offre une « bandwidth », au sens de CMC,  beaucoup plus importante, c’est-à-dire la possibilité de construire des multiples boucles courtes de synchronisation, précisément. La communication synchrone est donc un bien précieux à protéger. D’une façon générale, je la réserve aux personnes avec qui je travaille et je renvoie les autres vers les canaux asynchrones. Pour être efficace, la communication synchrone demande un fort engagement, ce qui me conduit à réguler les plages de temps que je lui alloue, par exemple en ne répondant pas au téléphone lorsque je travaille. Pour être encore plus précis, j’utilise le synchrone pour le transport des informations complexe mais l’asynchrone pour la signalisation (la mise en place des flux synchrones). De façon plus générale, je souscris à 100% au besoin de chasser les interruptions, un point clé de Bruce Daisley qui correspond à plus de 20 ans de recherche scientifique. La suppression des notifications est un « must », cela ne me semble plus être un objet de débat.

Un cas particulier de la communication synchrone qui mérite beaucoup d’attention dans nos vies modernes est celui des réunions. Ici aussi, c’est un sujet dont j’ai beaucoup parlé dans ce blog, mais plutôt d’un point de vue systémique et collectif.  Du point de vue de l’efficacité personnelle,  je retiens deux principes. Le premier est de limiter constamment le temps passé dans les réunions planifiées pour garder du temps pour des réunions non planifiées, pour profiter de la sérendipité et augmenter son agilité. C’est très difficile, même avec beaucoup de discipline (j’utilise depuis 15 ans un tableau mensuel pour mesurer la charge des réunions planifiées) et cela ne doit pas faire oublier que plus l’organisation est large, plus la planification est nécessaire. Autrement dit il s’agit de faire le moins de réunions possible, mais pas moins que le nécessaire. Le second principe, encore plus exigeant du point de vue de la discipline, est de bien préparer chaque réunion. Une réunion est un « commun »,  dans le sens des économistes, il appartient à chacun d’en tirer le meilleur profit et évitant « la tragédie des communs ». Je m’étais proposé, il y a 15 ans, de ne pas participer aux réunions que je n’avais pas le temps de bien préparer, mais je ne suis jamais arrivé à me tenir à cette règle. En revanche, la version plus souple de ce principe, qui consiste à allouer du temps de préparation à chaque réunion au moment où elle est inscrite dans l’agenda, fonctionne très bien et augmente significativement l’efficacité personnelle.


L’application des principes de cette section peut conduire à un renforcement des « liens forts » et un renfermement sur son monde connu. C’est pour cela qu’il faut complémenter ces pratiques avec d’autres qui permettent de développer ses liens faibles. Développer ses liens faibles, c’est en premier lieu parler à « des gens que l’on ne connait pas », alors que tout est fait pour rester dans son « réseau personnel ». Depuis Mark Granovetter, nous connaissons la force des liens faibles. L’écriture de ce blog est un exemple de pratique qui correspond à ce principe. La même remarque s’applique bien sûr à la présence sur les réseaux sociaux. La pratique de l’écriture de billet de blog est à la fois un exercice de « compression » (écrire c’est mettre ses idées au clair) et une façon de constamment développer des liens faibles. Au bout de 15 ans de pratique (sous toutes ses formes, au-delà du blog), je peux témoigner de la grande contribution de mon « réseau faible » à mon efficacité personnelle. Bien sûr, cela ouvre la question de la surexposition à des flux entrants, mais une fois de plus, tout est question de discipline.  La meilleure pratique que je connaisse pour éviter d’être noyé sous les flux d’articles qui me sont poussés quotidiennement est de donner une solide préférence aux livres.


5. Bien gérer sa localisation

Je me suis considéré pendant de nombreuses années comme un « road warrior » capable de travailler n’importe où avec mon ordinateur, indépendamment du lieu ou du contexte. La raison principale étant de pouvoir grapiller toute occasion d’ouvrir le PC et de pouvoir coder, avec le sentiment d’une grande efficacité personnelle. Pourtant, même si la technologie donne des ailes à cette ambition ATAWAD (anywhere, anytime, any device), le lieu où l’on travaille compte, et il faut savoir en profiter pour développer son efficacité personnelle. Après deux mois de confinement lié à la COVID, nous avons pu constater que le télétravail à la maison fonctionne, mais que le bureau est souvent mieux adapté pour le travail collectif, lorsqu’il s’agit de cocréer, d’influencer ou d’expliquer. Il me semble d’ailleurs clair, comme le souligne Emmanuelle Duez dans cet interview, que ce que nous avons appris sur l’adéquation entre le lieu et le type de travail va nous conduire à réinterpréter le rôle des lieux collectifs. Cette importance du lieu s’applique également à l’échelle individuelle : même s’il est possible de faire « tout partout », il y a des lieux qui se prêtent mieux que d’autres à certaines activités : du silence pour se concentrer, de la vie pour « s’aérer les neurones », la capacité de bouger, la vue qui incite à la réflexion ou la distraction, etc.


La technologie et la numérisation sont les supports de cette capacité de pouvoir faire ce qu’on veut où l’on veut. En revanche, je reste un fervent partisan du papier et des tableaux blancs. Bien sûr, il est difficile de dissocier cette remarque de mon âge ou mon éducation, mais le tableau blanc, ou les feuilles (multiples) de papier, permettent à la fois un affichage concurrent d’une grande masse d’information (ce que Nicolas Lochet appelle un « radiateur d’information » : le support « émet » l’information, que vous le lui demandiez ou non ) et une capacité d’édition collaborative multi-échelle inégalée (la résolution d’un feutre au tableau permet de faire des annotations multiples, à des niveaux de détail différents, qui restent visibles de tous). Il y a les lieux sans tableaux, les lieux avec un tableau et les lieux avec des multiples tableaux (sur les murs ou à la place des murs) … et on ne travaille pas de la même façon, avec la même efficacité. Je parle souvent de stigmergie dans ce blog, la capacité d’utiliser les lieux pour communiquer, qu’il s’agisse des tableaux blancs, des murs pour le management visuels ou des différentes formes d’affichage sur les lieux de passage. C’est une des nombreuses composantes qui font des bureaux des outils collaboratifs indispensables. Comme le disent Eric Schmidt et Jonathan Rosenberg dans « How Google works », les projets ambitieux du monde complexe nécessite des lieux où les gens « work, eat and live together » : « Buildings should promote interactions between employees …
This sort of serendipitous encounter will never happen when you are working at home ».

L’utilisation des lieux peut se faire d’une façon plus personnelle comme un support aux bonnes habitudes, aux pratiques que nous avons mentionnées.  Associer un type d’activité (lire, préparer ses réunions, répondre à ses mails, coder, annoter un document, etc.) à un lieu (une pièce de sa maison, un endroit sur son lieu de travail) est une façon de créer un ancrage. L’évolution nous a rendu très susceptibles à ce type d’ancrage, c’est donc un excellent outil pour développer des pratiques. Cela fonctionne dans les deux sens : le lieu peut devenir l’endroit où une bonne pratique se développe, mais également un rempart contre des mauvaises habitudes. J’ai évoqué – brièvement, c’est un autre sujet – l’importance de l’information overload. Utiliser les lieux peut signifier créer des « sanctuaires », des endroits où certains flux de sollicitation ne sont pas admis. Pour prendre la bonne habitude d’utiliser les livres comme principal vecteur d’apprentissage, les lieux sont très utiles (une fois l’habitude prise, elle devient facilement nomade). Le temps et l’espace sont également importants, il faut les associer pour construire ses habitudes. Faire une chose dans un lieu, c’est une façon d’éviter de céder à l’urgence, d’attendre son « rendez-vous avec soi-même », au bon moment et au bon endroit, pour faire quelque chose mieux, et plus tard.


6. Bien gérer son énergie

L’importance de la gestion de l’énergie est devenue un sujet de grande attention depuis une quinzaine d’année. Si vous ne connaissez pas ce domaine, je vous recommande l’article de Harvard Business Review, de Tony Schwartz et Catherine McCarthy : « Manage Your Energy, Not Your Time ». Le point fondamental est que les habitudes et rituels permettent de mieux gérer notre énergie : « energy can be systematically expanded and regularly renewed by establishing specific rituals – behaviors that are intentionally practiced and precisely scheduled, with the goal of making them unconscious and automatic as quickly as possible ». Les idées clés ne devraient pas vous surprendre : il s’agit de bien gérer son sommeil, de faire de l’exercice, de savoir prendre des pauses et de nourrir sa motivation. Il est important de savoir s’observer, d’apprendre les activités qui consomment de l’énergie et celles qui permettent de se « resourcer », pour construire, comme les athlètes, un programme de développement fractionné, par intervalles.  L’article de HBR parle de « ultradian sprints » qui sont des périodes de 90 à 120 minutes, séparées par de vraies pauses. Pour reprendre une idée clé du livre citée en introduction, l’énergie se perd (n’est pas utilisée avec l’efficacité maximale) lorsqu’on en utilise trop ou trop peu. Il faut penser sous forme d’alternance de sprints et de récupération, et pas une utilisation continue (ce qui n’est pas forcément intuitif). On retrouve dans les recommandations pour bien gérer son énergie des pratiques que nous avons déjà évoquées : éviter le multi-tasking, prendre des décisions rapide pour alléger la charge mentale, se fixer des zones et des limites.

L’outil fondamental de la gestion de l’énergie est l’auto-observation et la chrono-analyse. Je vous recommande ici la lecture du livre de Daniel Pink : « When – The scientific secrets of perfect timing ». Il faut savoir reconnaitre ses variations d’énergie et utilise les bons moments de la journée : « First, our cognitive abilities do not remain static over the course of a day. During the sixteen or so hours we’re awake, they change—often in a regular, foreseeable manner. We are smarter, faster, dimmer, slower, more creative, and less creative in some parts of the day than others ». J’utilise l’application Knomee pour “tracker” mon énergie et construire mes histogrammes, ce qui m’a permis de redécouvrir ce qu’explique Daniel Pink : nous avons des cycles semblables. On retrouve la même conviction dans l’article de Sebastien Martin « How to start managing your energy levels instead of your time”. Je pratique le conseil qu’il donne : « One important thing to do in high-energy times is to plan tasks for low energy. That is why I put “writing to-do lists” in the high-energy time: planning is much easier when you have an overview ».

Je suis de plus en plus persuadé que la gestion de l’énergie est le levier le plus central de l’efficacité personnelle. On retrouve d’ailleurs l’importance d’un des cycles fondamentaux de la biologie, celui de l’apprentissage, qui se résume de façon un peu caricaturale par : l’action réussie procure un plaisir qui engendre le désir qui conduit au plan qui entraine de nouveau l’action. Dans une boucle d’apprentissage, le plaisir lié au feedback et au sentiment d’impact, tout comme le désir qui nous relie au sens et alimente la motivation, sont essentiels. Pour développer son énergie, il faut cultiver sa motivation. Ce qui conditionne le succès, « c’est d’avoir envie ». On touche ici à une dimension personnelle, et je ne connais pas de pratiques ou de conseils qui s’appliqueraient à tous. C’est à chacun de savoir ce qui nous motive, ce qui nous donne le sentiment de progresser, ce qui nous rassure sur l’impact de nos activité (à l’exact opposé des fameux « bullshit jobs » sans impact). En revanche, ce que tous les articles et livres qui traitent de la gestion de l’énergie soulignent, c’est qu’il nous appartient de nous connaitre et d’inclure dans nos agendas les quantités nécessaires des activités qui nous ressourcent, soit simplement par le plaisir qu’elles procurent, soit parce qu’elles contribuent au sens que nous souhaitons donner à nos actions.

 

7. Conclusion

Ce billet se veut être un partage d’expérience, même si chacun bénéficie différemment des pratiques et des habitudes que je viens d’évoquer. D’un côté, les pratiques et les raisons scientifiques qui les soutiennent sont assez universelles, elles sont d’ailleurs en général connues depuis longtemps. D’un autre côté, l’impact sur l’efficacité personnelle de chacun est variable et surtout, l’effort nécessaire à mettre en place ces habitudes est très différent d’une personne à l’autre. Puisque les efforts varient selon l’invididu et les circonstances – exactement comme le télétravail –, le rapport coût/bénéfice reste à l’appréciation de chacun. De plus , les pratiques que j’ai évoquées ici ne sont pas forcément intuitives. Il ne faudrait pas d’ailleurs penser que je les adoptées facilement, suite à une lecture éclairante. Tout au contraire, sur la plupart de ces points, mes habitudes personnelles de départ étaient à l’opposé de ce que j’écris aujourd’hui. Il convient donc de prendre tout cela avec un grain de sel, comme une invitation à la réflexion. Je termine en soulignant que j’ai traité ici de l’efficacité personnelle, par opposition à l’efficacité collective, qui est le sujet de mon précédent livre « Processus et Entreprise 2.0 ». Les deux thèmes sont en fait fortement liés, à la fois sous forme de synergie – chacun alimente l’autre – et sous forme de contraintes systémiques. Certaines des pratiques que j’ai exposées ici sont indépendantes, chacun peut les appliquer ou non,  sans se préoccuper du système global. A l’inverse, certaines pratiques comme la bonne façon d’utiliser ses canaux de communication, ou de gérer ses réunions sont complètement couplées aux pratiques collectives de son organisation.