J'ai lu plusieurs ouvrages sur le pilotage de la performance récemment, dont le livre de Didier Vanoverberghe « Le Business Assurance pour la performance de l'entreprise » que j'avais mentionné en Aout et sur lequel je reviendrai. Cette réflexion s'insère naturellement dans le « Business Process Model » dont j'ai déjà parlé. Pouvoir définir simplement et axiomatiquement la performance serait d'une très grande aide par rapport aux objectifs de ma recherche sur l'architecture organisationnelle et le pilotage des flux de communication. Malheureusement, dès que l'on cherche à appliquer une modélisation formelle sur une situation réelle, on tombe sur de nombreuses difficultés que je pourrais qualifier de systémiques. Je commence à conjecturer que le système de pilotage hérite de la complexité systémique de l'entreprise elle-même. Autrement dit, le titre du post de ce jour ouvre un chapitre de ma réflexion sur le pilotage des processus, il ne répond surement pas à la question posée J
Tout cela a pour moi un parfum de « déjà vu ». Lorsque je me suis lancé, avec d'autres, dans l'urbanisation du système d'information de Bouygues Telecom, j'ai découvert des niveaux de complexité non-soupçonnés autour des problèmes d'architecture de données. Plus généralement, je suis tombé sur un « os » : la belle vision de l'urbanisation des SI autour des processus métiers laisse sous silence le problème de couplage entre processus. Les beaux schémas (ceux que je dessinai il y dix ans ou ceux que je lisais alors) étaient trop simples, et la réalité de l'exécution des processus dans le SI comporte plein de subtilités (une autre histoire, racontée dans mon premier livre).
Quand il s'agit de piloter la performance d'une entreprise représentée par un ensemble de processus, la même complexité apparait ! On ne peut pas réduire le pilotage de la somme des processus à la somme des pilotages, il existe de nombreux couplages. Pour s'en rendre compte, je vais prendre un exemple très simplifié autour d'une représentation « à la Porter » :
- R&D
- Marketing
- Fabrication
- Vente
Je ferai un beau dessin le jour ou j'écrirai mon 3e livre, ici je me contente de postuler l'existence de nombreux processus correspondant à des lignes de marché/produits différentes. Ces processus horizontaux s'appuient sur les 4 organisations verticales précitées. Cela forme la matrice classique présente dans tous les livres qui parlent de processus métiers (les miens compris J)
La théorie veut que les 4 divisions participent à chacun de ces processus en fournissant des ressources, le pilotage du processus étant autonome pour fixer les objectifs du processus en établissant des « contrats de valeurs » pour chacune des équipes fonctionnelles (« cases de la matrice »). La R&D innove, le marketing définit les produits et services, qui sont ensuite réalisés de la manière la plus efficiente possible puis vendus en fonction du « brief » fourni par Marketing. Pourtant, dès qu'on se place dans le contexte d'une entreprise du 21e siècle face à un marché « 2.0 » de clients informés et exigeants, de nombreuses difficultés apparaissent, que je peux résumer avec les 7 paradoxes suivants :
- Les processus produisent des produits et services qui s'adressent aux mêmes clients (globalement, même si la segmentation simplifie ces dépendances). L'optimisation du revenu conduit nécessairement au classique « Marketing Mix » (Yield Management).
- Les objectifs évoluent car le marché évolue ! Les prévisions sont forcément fausses, le pilotage ne peut donc pas s'appuyer « simplement » sur les objectifs.
- L'adaptation aux fluctuations du marché est un arbitrage « temps réel / sur le terrain » (cf. le « recognition & response » de Langdon Morris). Les objectifs confiés à la force de vente doivent inclure une « marge de manœuvre » d'adaptation à ces fluctuations.
- Les coûts unitaires du processus ne sont pas fixés, ils sont soumis à cette adaptation.
- Les coûts comportent des parties fixes, variables et semi-variables qui exigent un peu d'anticipation pour être optimisés. On a donc besoin de prévisions pour réduire les coûts (le modèle purement variable – malgré toutes ses qualités – n'est pas une panacée universelle)
- L'espace d'adaptation aux fluctuations du marché est donc contraint par des hypothèses de coûts de fabrication et de respect du « mix » (l'adaptation parfaite ne fournit pas l'optimisation du revenu produit pour l'entreprise).
- On ne vend plus des produits et des services mais des expériences, au sein desquelles les produits et services sont placés dans des cycles de vie gérés par les clients. Cela introduit une complexité temporelle : la valeur générée par la transaction (achat/consommation) n'est pas la seule dimension, il faut considérer le « développement durable de la valeur du client ».
Ces « paradoxes » montrent la complexité de la responsabilité du Marketing (ce que l'on sait mais qu'on a tendance à oublier dans une lecture réductrice de l'organisation par processus) et la complexité du partage de responsabilité dans le pilotage de la performance. Et comme toujours (cf. le pilotage des SI), si c'est complexe, l'arbitrage est une responsabilité de direction générale, pas l'application de règles d'organisation J
En fait, nous nous heurtons à trois difficultés systémiques :
- Les processus sont couplés par le partage de ressources, par exemple l'ajustement des efforts des forces de ventes. Cette difficulté est la mieux connues des grandes organisations, qui vivent l'arbitrage des ressources des divisions verticales comme des freins à l'optimisation horizontale.
- Les processus sont couplés par le fait qu'ils partagent un marché, soit de façon synchrone (compétition entre services produits par des processus distincts) soit de façon asynchrone (influence d'un processus sur un autre au travers du concept de cycle de vie – ex : plus je suis satisfait par un produit, plus je vais attendre pour le renouveler)
- Les processus s'inscrivent dans un déroulement temporel, face à un marché incertain. La difficulté de la prévision (connaitre un marché) se combine avec celle de l'anticipation.
Ces difficultés se traduisent concrètement sur la multiplication des contraintes qui pèsent sur la « gouvernance du pilotage de la performance ». La responsabilité doit être partagée / segmentée / fondée sur un cadre / préserver un espace de liberté d'ajustement « sur le terrain ». Toutes ces contraintes peuvent être résolues avec le concept de collaboration par partage de modèle. J'y reviendrai un autre jour, c'est un concept riche mais sophistiqué. Simplement, la collaboration par partage de modèle permet de :
- Poser un cadre (le modèle)
- Donner un espace d'adaptation (le modèle est creux, il reste à le remplir)
- Donner du sens, c'est-à-dire permettre à celui qui exerce l'adaptation d'apprécier sa contribution à la performance
Concrètement, les acteurs du processus sont condamnés à collaborer en échangeant des informations, ce qui s'inscrit parfaitement dans le contexte de l'entreprise 2.0. Il ne s'agit pas que tout le monde explique tout aux autres ! Le modèle est précisément un outil d'encapsulation.
Je reviendrai sur ce sujet dans des posts futurs, il est assurément complexe et mérite d'autres développements. Mais on voit tout de suite que ce concept de partage de modèle ne remplit pas les objectifs de simplicité et lisibilité d'une « belle théorie du pilotage de la performance ». Ce que je peux résumer en disant que le management de la performance des processus s'ajoute mais ne se substitue pas à la problématique du management de la performance de l'entreprise.