1. Introduction
Je reprends le clavier après six mois d’interruption qui m’ont permis de
terminer un livre sur l’approche lean de la transformation digitale,
qui va paraitre bientôt. Ce travail de synthèse m’a servi à rassembler et
approfondir les thèmes que j’aborde dans mes deux blogs depuis 2010,
c’est-à-dire depuis la parution de mon livre précédent. J’y aborde deux des
sujets qui me sont chers : le Lean Startup et la lean software factory. C’est aussi, comme
chaque fois que j’écris un livre, l’occasion de tirer des enseignements de mes
job précédents.
Ce premier billet de 2020 est l’occasion de parler de deux livres
importants de ma bibliographie, qui parlent de transformation digitale. Ces
deux livres traitent du même sujet : comment réussir sa stratégie de
transformation digitale en s’appuyant sur des « building blocs »
tels que la stratégie donnée, l’approche plateforme ou encore le développement
d’une forte intimité digitale avec ses clients. Cette référence à des « building
blocs » ou à l’architecture métier indique l’ambition pragmatique de
construire un « mode d’emploi » pour l’exécution de la stratégie. La nécessité de la
transformation digitale ne fait plus guère de doute, il
s’agit de comprendre le comment. Pour les auteurs que je vais citer ici, cette
transformation est à l’œuvre, elle est complexe et elle prend du temps.
Le premier livre dont je vais parler, et celui sur lequel je vais passer le
plus de temps est « Designed for Digital ». J’utilise « Designed
for Digital » comme un pivot pour l’introduction de mon propre livre,
car je trouve l’analyse proposée par les auteurs à la fois très documentée et
excellente. Elle me sert de cadre pour déployer ma propre réflexion : là
où « Designed for Digital » définit les blocs nécessaires à la
transformation digitale, j’explique comment les construire en partant de ma
propre expérience. « Designed for Digital » est issu de
l’analyse de multiples entreprises en cours de transformation digitale, et
s’appuie sur celles qui réussissent à transformer profondément les offres
qu’elles proposent à leurs clients.
La deuxième partie de ce billet est consacrée à
« The Digital Playbook ». Ce livre traite également de la
transformation digitale et propose des réponses assez semblables, mais avec un
accent particulier sur la stratégie données et sur les plateformes en tant que business
model. Sa lecture est une suite logique du billet précédent sur les
plateformes digitales. Ces deux livres portent sur des sujets que j’ai
abordés de multiples fois dans mes deux blogs. Les comptes rendus de ce billet sont
à la fois incomplets, pour rester court, et biaisés par mes propres centres
d’intérêt. Ces livres comportent des exemples multiples, qui méritent une
lecture attentive et qui ne sont pas mis en valeur par un résumé.
2. Designed for Digital
Je recommande très chaleureusement le
livre « Designed for Digital : How to Architect Your Business for Sustained Success », de Jeanne W. Ross, Cynthia M. Beath, et Martin Mocker. Ce livre est paru en
Septembre 2019. Il est écrit par des chercheurs expérimentés, dont deux sont
affiliés au MIT Sloane Center for Information Research, et analyse en
profondeur des cas réels : « In 2017 and 2018, we took an in-depth look at companies that were making
progress on their digital journeys. We developed case studies
describing some of these companies’ journeys, including Royal Philips, LEGO,
Schneider Electric, AUDI AG, Principal Financial Group, and Northwestern Mutual ». Ce livre est maintenant, aux côtés du « Marketing
synchronisé » de Marco Tinelli, un de mes favoris sur la transformation
digitale. Je vais ici résumer ce qui me semble être les sept points principaux.
1.
La transformation digitale n’est pas la numérisation de l’entreprise, c’est une
transformation stratégique qui s’ajoute à la nécessaire optimisation par le
numérique. Les auteurs font d’emblée
une distinction entre la transformation numérique de l’entreprise (digitization) et la
transformation digitale de l’entreprise : « we want to
note that many companies are going through two transformations: one that
digitizes the company (i.e., uses digital technologies to enhance operational
efficiencies) and one that pursues new digital value propositions (i.e., uses
digital technology to rapidly innovate new digital offerings—the focus of this
book) ». La transformation numérique consiste à utiliser les
outils numériques pour optimiser les processus, les produits et les modes
opératoires. Cette optimisation est utile et nécessaire, mais elle ne
transforme pas l’entreprise en une entreprise digitale : « Digitization enhances operational excellence; digital
enhances the customer value proposition ». La transformation digitale consiste à mettre la
révolution numérique – « Digital technologies are game changing because
they deliver three capabilities: ubiquitous data, unlimited connectivity, and
massive processing power » – au service des offres et de la valeur
proposées aux clients. Pour réussir cette transformation, les auteurs ont
identifié cinq « building blocs », des capacités (capabilities)
à développer et maitriser : le « backbone opérationnel », les
plates-formes digitales et leur déclinaison pour attirer des écosystèmes de
développeurs externes, la capacité à produire des « customer
insights » à partir des données et le mode d’organisation des
responsabilité (accountability framework) qui trouver le juste équilibre
entre responsabilisation, autonomie et alignement. Le terme de « building
block » et la référence à l’architecture métier dans le sous-titre du
livre ne signifie pas qu’il s’agit d’un livre sur les aspects techniques de la
transformation digitale. Les auteurs précisent qu’il s’agit d’une
transformation holistique, qui s’inscrit dans le long terme : « But
the design of a digital business considers far more than technology and
systems. It takes a high-level view of the interactions among people, process, and
technology ».
2.
L’utilisation des outils, méthodes et pratiques du monde digital donne un sens
et une intensité nouveaux au terme « customer-centric ». Il ne s’agit pas d’affirmer que l’orientation client est une composante
de la transformation digitale – c’est une nécessité en soi – mais de comprendre
que la révolution numérique permet de réinventer ce que « customer-centric »
signifie : « Digital technologies make it possible—and customer demands make it
necessary—to solve customer problems rather than just sell a portfolio of
products and services ». L’objectif
premier du livre, tel que souligné par les auteurs, est d’expliquer comment les
technologies numériques changent fondamentalement la proposition de valeur que
l’entreprise peut faire à ses clients. Ces technologies peuvent à la fois
enrichir profondément l’expérience clients mais elles permettent également de
transformer les produits et d’introduire des fonctionnalités nouvelles. Comme
la technologie numérique évolue en permanence, l’entreprise doit se préparer à
offrir une proposition de valeur – des « offres digitales » - qui se
renouvellent constamment. Sans surprise pour les lecteurs de ce blog, la voie
proposée est semblable à l’approche Lean Startup : « The voice of
the customer is the critical place to begin. Understanding the business
problem we are trying to solve informs us about the appetite for the solution.
In several cases, we have received very positive customer feedback, but that’s
not necessarily enough for them to spend money on it. Therefore, we keep our
customers at the center of our co-innovation ». Définir ses offres digitales consiste à trouver
l’intersection entre les désirs du clients et l’espace des solution que
l’entreprise sait construire, ce qui représente un challenge. Pour le résoudre,
il faut partir des « customer journeys » et utilise des approches de design thinking
pour co-construire progressivement les « customer insights »
(qui sont le cœur de l’approche Lean Startup »). L’exemple de DBS (DBS Bank à
Singapore) illustre clairement cette approche : « A major source
of ideas worth testing at DBS is examination of the customer’s journey, which
involves mapping the full experience of customers as they interact with the
company. Designers attempt to get inside the mind of the customer—to feel like
they are the customer—at moments such as when a customer decides to use a DBS
product. … DBS has put considerable emphasis over the last decade on developing
customer insights. The bank’s initial desire to be innovative in the use of
digital technology—to be a “22,000-person startup”—shifted quickly to focusing
outward, on customers and customer journeys, to provide customers with simple,
effortless banking ».
3. La transformation digitale s’appuie sur l’excellence du « operational backbone », des processus et du système d’information. Ce « backbone opérationnel » n’est pas le résultat mais la condition de la transformation digitale, de la même façon qu’un système d’information exponentiel est le socle de la transformation digitale (« Digital Business Is Built on an Operational Backbone »). Comme les auteurs le soulignent, l’excellence opérationnelle est simplement obligatoire. Les entreprises qui n’ont pas réussi à reconcevoir leurs processus métier pour s’adapter au monde numérique, ou celles qui n’ont pas réussi à remplacer leurs systèmes d’information vétustes (les « legacy systems ») n’ont pas les capacités pour tirer les bénéfices attendus de la transformation digitale. Tous leurs efforts pour améliorer leurs propositions de valeur sont trop lents et trop timides pour créer une différence. Les auteurs sont mêmes allés jusqu’à quantifier cette affirmation : « Companies with an effective operational backbone are 2.5 times as agile (measured as reusing services in developing new offerings) and 44% more innovative (measured as percentage of revenue from new offerings) than companies without an operational backbone ». Parmi les nombreux exemples proposés dans le livre, celui de LEGO est particulièrement intéressant. Pour s’adapter à la richesse de la demande, le nombre de SKU (stock-keeping units) est passé de 6000 en 1997 à 14000 en 2004, et le nombre de fournisseurs différents est monté jusqu’à 11000, soit le double de Boeing. Dans un premier temps cette augmentation du catalogue a posé des problèmes multiples, en particulier sur la supply chain. Le travail massif sur le “operational backbone” a permis de reprendre le contrôle sur cette complexité, puis de créer de la valeur en faisant circuler les données pour créer des boucles de feedback : « More importantly, LEGO’s new PLM system exposed the cost and manufacturing implications of a new product early in its lifecycle, which informed decision-making around product innovation ». Le travail entrepris par LEGO pour cette première phase, la digitalization avant la transformation digitale, est considérable : « This is the essence of digitization. It produces an operational backbone that replaces individual heroes with digitized processes. At LEGO, digitization was nearly a 10-year effort ». C’est d’autant plus important que, contrairement à ce que nous affirment ceux qui pense que la transformation digitale est déjà terminée, cette première étape n’est pas encore maîtrisée par la plupart des entreprises : « Our research indicates that, although companies have been engaging in digitization transformations since the late 1990s, the majority of companies do not have an operational backbone that will support their digital transformation ».
4.
L’entreprise digitale utilise des plateformes pour construire un écosystème de
contributeurs externes . Le cœur de la
transformation digitale est la plateforme qui permet de construire les offres
digitales à partir de composants modulaires qui encapsulent les données
métiers, les processus et les capacités propres de l’entreprise. Le « operational
backbone» contribue à la plateforme digitale
en exposant des API : « To quickly enable the development of digital offerings
that needed data and functionality from the operational backbone, PI Chile’s
CIO decided to “wrap” core systems in APIs, that is, to develop APIs to act as
intermediaries between the operational backbone and digital offerings ». Ce qui crée la réussite et la spécificité d’une plateforme
digitale, c’est la modularité de son architecture qui permet à la fois
l’agilité et la réutilisation : « A digital platform is a
repository of business, data, and infrastructure components used to rapidly
configure digital offerings. What’s so special about a digital platform?
Reusable digital components. As they build a digital platform, companies
accumulate a portfolio of components that may be useful in future digital
offerings ». On retrouve ici
les fondations d’une architecture bimodale entre le backbone
opérationnel et les plateformes digitales, mais dans une acceptation intelligente qui a compris que tout doit
évoluer, le backbone comme les plateformes : « So, as it builds
its digital platform, it continues to try to modernize its operational backbone.
For as long as companies require both efficiency and revenue growth, we
anticipate they will need to invest in both a digital platform and an
operational backbone ». La course à la construction de ces plateformes digitales est engagée :
« Our research has found that big, established companies are still in
the early stages of building their digital platforms, but that is rapidly
changing », pour de bonnes raisons puisque l’analyse des cas collectés par
les auteurs montrent les les entreprises munies d’une plateforme digitale dérivent
trois fois plus de nouveaux revenus liés à des offres digitales que celles qui
ne disposent pas encore de cet outil (qui sont l’écrasante majorité). La
plateforme digitale se double également d’une plateforme
« frontière » tournée vers les communautés externes de développeurs
pour associer les forces de l’innovation ouvertes à la créativité interne de
l’entreprise : « An External Developer Platform Extends a Digital
Platform … An external
developer platform (ExDP) is a repository of digital components open to
external partners ». Cette
extension doit se développer progressivement, en étant à l’écoute du monde
externe, pour apprendre de son environnement au lieu de deviner ce qui est
attendu : « However, we do not recommend that companies guess what
kind of external developer platform the world needs and set out to build that
platform. Instead, they should first develop a valuable portfolio of reusable
components for their own digital offerings ».
5. Le
premier défi de la transformation digitale est d’absorber un flux continu de
changement. La transformation digitale
n’est pas un voyage d’un point de départ vers un point d’arrivée, c’est une transformation
sur « un train en mouvement » pour lui permettre d’aller plus vite et
accélérer de façon plus réactive. Le train (le voyage) ne s’arrête pas, la
transformation est permanente. La transformation digitale est donc l’histoire
d’une adaptation continue (l’homéostasie digitale) : « As technologies, customer demands, and strategic
opportunities change, a business must adapt. The art of digital business
design involves distinguishing what is relatively stable (e.g., core
competencies, disciplined enterprise processes, master data structures) from
those elements of the business that are expected to change regularly (e.g.,
digital offerings and features, team goals, apps, and people’s roles and
skills) ». On retrouve
dans cette belle citation l’importance de l’architecture d’entreprise pour
construire une transformation digitale réussie. Sans surprise, Amazon est
abondamment cité comme exemple d’une entreprise qui est capable de s’adapter de
façon continue en absorbant les vagues successives de nouvelles technologies et
en en tirant le meilleur parti – précisément la définition de ce que Salim
Ismael appelle une « organisation exponentielle » : « Unlike most established companies,
Amazon appears to absorb digital capabilities effortlessly as they become
viable ». Amazon a compris depuis très longtemps l’importance de capturer l’intégralité
des interactions avec ses clients (et pas seulement les transactions réussies,
mais toutes les formes de demandes et de dialogues). Ce qui est remarquable
dans l’histoire d’Amazon n’est pas simplement d’être capable de produire des
nouvelles propositions de valeur inspirées par les nouvelles possibilités
technologiques, mais d’être capable d’exécuter une transformation continue de
ses processus et de son métier pour accueillir ces nouvelles propositions de
valeurs. La rapidité du changement touche en premier lieu les “bords de
l’entreprise », là où elle étend son périmètre en particulier au travers
de la plateforme digitale. Cela facilite le travail de l’architecture
d’entreprise puisque le rythme de changement n’est pas uniforme : « This
pace of change is actually a blessing. For the foreseeable future,
most companies will continue to generate the bulk of their revenues from their
existing value propositions because customers usually expect existing products
and services to remain available ». Si l’entreprise concentre le développement de son adaptabilité sur sa
plateforme digitale, il est essentielle de ne pas reproduire les architectures
du passé : « Be careful—it’s easy to start building monolithic digital
offerings to address immediate opportunities without recognizing how those
monoliths will limit speed when developing future innovations … But long-term success is dependent on digital
business capabilities, so companies should allocate resources to learning how
to componentize offerings and build a digital platform ». On trouve au long des pages un plaidoyer pour les
architectures de services (SOA) sans employer le terme (ce n’est pas un livre
technique), et plusieurs références à la métaphore des systèmes vivants que
j’aime employer dans ce blog : « Because software can and should
change regularly, we think of digital offerings and their key software
components as living assets ». L’ambition du système d’information
exponentiel capable d’absorber les technologies exponentielles est illustrée,
comme il se doit, par l’exemple de l’intelligence artificielle : « Artificial
intelligence is a perfect example of a technology with lots of potential to
change a business—or not ». La partie intéressante de cette
phrase est le “or not” . Le livre montre bien que l’utilisation de
l’intelligence artificielle n’est pas une capacité « hors sol » et
qu’elle s’inscrit dans l’ensemble de la transformation digitale, depuis la
stratégie, les processus jusqu’à l’engineering des données : « AI
applications had significant bottom-line impacts and leaders were pleased with
the results. They noted, however, that the company had been
slow to realize its vision of becoming data-driven and customer-centric ».
6. Dans un
monde complexe, incertain et volatil, la seule méthode d’exécution d’une
stratégie est l’expérimentation. Puisque le
monde est volatil, complexe et imprévisible, il est nécessaire d’adopter une
approche itérative :
« Because of uncertainty around both how customers want to be engaged and
what customers want, digital offering development involves constantly testing
the viability of ideas. This process is sometimes referred to as
discovery-driven planning ». Cette approche est devenue une évidence dans le monde logiciel et le monde
des services numérique, elle reste plus complexe lorsqu’il s’agit de construire
des produits physiques : « R&D will take time to release a
product, because it has to be more than perfect. And with
good reason. Our products have safety functions. Then you have the world of
software, which says, “Okay. Let’s experiment. Let’s iterate. Let’s do it like
startups do. Let’s give them a Minimum Viable Product.” Connecting the two
approaches is one of the interesting challenges of business leaders ». Le corolaire de l’expérimentation et des approche
itératives est qu’il est fréquent d’échouer et qu’il faut apprendre à renoncer
plus vite : « Even AUDI had to kill off its “share a car among five
friends” app before rolling out successful mobility services. For new and old
companies alike, digital offerings are born out of iterating with an idea until
it finds the sweet spot … Iterating to find the intersection of what digital
technologies make possible with what customers will buy is a test-and-learn
process ». On retrouve dans le livre l’idée principale d’Eric Ries,
l’innovation est un processus de création de « customer insights »
par des expérimentations contrôlées avec rigueur : « Successful
digital businesses have a natural ability to experiment with potential
offerings so they can learn what they can do and what customers want. They have
configured people, processes, and technologies to incorporate digital offering
experiments into their DNA. In doing so, they are developing a building block
we call shared customer insights, defined as organizational learning about what
customers will pay for and how digital technologies can deliver to customer
demands ».
7.
Construire les capacités qui permettent de réaliser les ambitions de la
stratégie digitale exige de trouver le bon compromis entre alignement et
autonomie. Les équipes doivent être
des équipes cross-fonctionnelles, autonomes et disposant des compétences
nécessaires en propre : « Fully resourced teams, not matrixed functions. For
component teams to succeed, they need easy access to all the resources required
to deliver on their missions ». On trouve dans le livre plusieurs références au modèle de Spotify, sur
lequel je reviendrai dans un futur billet, autour de quatre principes :
des équipes autonomes qui possèdent leurs composant, une architecture modulaire
pour fonder l’autonomie, un cadre global et une approche de partage continu
d’information pour assurer l’alignement. Le livre fait également brièvement référence
aux méthodes agiles, mais sans rentrer en profondeur. Ce livre ne traite pas de
l’exécution de la stratégie logicielle qui est évoquée pour réussir sa
transformation digitale.
Je termine ici en
citant les recommandations que font les auteurs à la fin du livre sur les trois
priorités qui découlent de ce livre pour exécute sa stratégie et sa roadmap
digitale :
·
Fix the backbone Most established companies
find that their operational backbone is an impediment to digital success and
that they must address its worst deficiencies before they can start to develop
digital offerings.
·
Don’t put off your digital platform for long
·
Keep learning and building Perhaps this goes
without saying, but it’s probably impossible to simultaneously focus on all
five building blocks, at least until some of the building blocks are well
established.
3. The Digital Playbook
Le deuxième livre que je me propose de commenter est
un peu plus ancien (2016). Il s’agit de « The Digital Transformation Playbook : Rethink
Your Business for the Digital Age » de David L.
Rogers. Ce livre n’est pas très diffèrent du
précèdent dans son analyse globale, mais il apporte des recommandations qui
peuvent être différentes parce que l’accent est mis sur des « building
blocks » qui sont énoncés autrement : « Developing a digital-age competitive strategy
requires that you understand these principles: platform business models, direct
and indirect network effects, co-opetition between firms, the dynamics of
intermediation and disintermediation, and competitive value trains ». Même si le titre parle de playbook,
l’accent est plus porté sur la stratégie que dans le livre précédent, donc si
vous lisez les deux livres, il vaut mieux commencer par celui-ci (si vous n’en
choisissez qu’un, je vous recommande le précédent). Je vais de façon semblable,
quoique moins détaillée, vous proposer les six points principaux qui ont
retenus mon attention. J’ai essayé de souligner à la fois ce qui est commun,
par exemple l’orientation client et l’importance de l’expérimentation, tout en
approfondissant les contributions propres à cet ouvrage, en particulier sur la
stratégie donnée.
1. La
transformation digitale est en premier lieu une transformation stratégique, sur
la façon dont l’entreprise produit de la valeur pour ses clients. Même si le livre parle de technologie, il ne
s’agit que d’un moyen et ce qui fonde la transformation digitale, c’est
l’intention stratégique : « One central insight emerged and shaped the development of this entire book:
Digital transformation is not about technology—it is about strategy and new
ways of thinking ». Il
faut, bien sûr partir de son métier, ses processus et sa proposition de valeur.
L’auteur cite Mike Weaver,
responsable de la stratégie donnée de Coca-Cola : « The first
step of the journey is to plan the changes in your business process—before you
start buying all the latest hardware or cloud services ». Il ne s’agit pas non plus de minorer l’importance de
la technologie pour réaliser la stratégie, mais simplement de remettre les
choses dans l’ordre. Les technologies
digitales, bien employées, sont de spectaculaires accélérateurs pour
l’exécution : « Today’s start-ups have shown us that digital
technologies can enable a very different approach to innovation, one based on
continuous learning through rapid experimentation ». On retrouve, sous une forme différente, l’importance
du “operational backbone », mais qui n’est qu’un pré-requis : « Digital transformation is fundamentally not about
technology but about strategy. Although it may require upgrading your IT
architecture, the more important upgrade is to your strategic thinking ».
2. Les
entreprises doivent passer de leur vision de marché à des communautés et
réseaux de clients. Je ne reviens
pas sur l’importance de l’orientation client, exprimée dans la section
précédente. Ce qui est propre au livre de David Rogers, c’est de reconnaitre
que les clients dans le monde numérique sont mieux informés, plus organisés et
plus puissants. L’entreprise doit donc s’adapter en facilitant l’accès des
clients – c’est le client qui choisit le lieu numérique de sa rencontre avec
l’entreprise, et en devenant « une source de contenus à valeur » lui
permettant de créer un engagement des prospects et clients. Elle doit également
savoir personnaliser et adapter l’ensemble de sa présence, depuis ses contenus,
ses conversations jusqu’à des produits et services au contexte unique de chaque
client. Elle doit créer une connexion forte, émotionnelle dans le contexte B2C,
avec ses clients, fondée sur le partage d’expériences. Elle doit respecter
cette organisation en réseau numérique des clients et apprendre à travailler
avec des communautés. Tout ceci n’a rien d’évident et représente une
transformation sur le long terme : « For any large organization, this is definitely a
journey. We’re waking up to the fact that we’ve been too passive by trying to engage
with consumers in more traditional ways. How do you build an infrastructure for
ongoing, real-time consumer engagement? It’s a challenge for behemoth companies
who operate around the world ».
3. L’entreprise
digitale est orientée client et guidée par les données. Pour l’auteur, le premier défi de la
transformation digitale est de savoir transformer l’énorme quantité de données
qui est à disposition des entreprises en information produisant de la valeur. Cela commence par la définition d’une « stratégie
données», essentielle pour orienter le travail technique de collecte, stockage,
partage et transformation des données : « To create good data strategy,
you must begin with an understanding of the four templates of data value
creation, the new sources and analytic capabilities of big data, the role of
causality in data-driven decision making, and the risks around data security
and privacy ». Le livre
propose cinq principes pour developper sa stratégie donnée : collecter des
données dans toute leur diversité, penser que les données s’appliquent à toutes
les étapes de la chaîne de valeur, s’intéresser encore plus à ce que les
clients font qu’à ce qu’ils disent, et « dé-siloter » son infrastructure
de donnée pour pouvoir combiner des points de vue multiples. On retrouve dans
le deuxième point cette idée fondamentale de la rétro-propagation des données d’usage
vers le design des produits, illustré dans ce livre par Netflix qui utiliser
les feedbacks d’usage pour influencer les briefs créatifs des contenus à venir.
Pour transformer des données clients en valeur métier, on retrouve des
approches classiques, à commencer par les fameux « insights » :
« The first template for value
creation is insights. By revealing previously invisible relationships,
patterns, and influences, customer data can provide immense value to businesses ». L’utilisation active de ces insights conduit au ciblage (targeting) et à la personnalisation : « By tailoring
their messaging, offers, pricing, services, and products to fit the needs of
each customer, businesses can increase the value they deliver ». On retrouve une citation de Mike Weaver : « We
must understand consumers’ passions, preferences, and behaviors so we can
market to them as individuals ». La dernière forme d’utilisation propose des données
clients est de mieux comprendre le contexte, ce qui conduit également à la notion
de « produits données ». Là où l’utilisation classique des données
sert à optimiser les processus de l’entreprise (mieux voir, mieux comprendre,
mieux prédire, mieux agir), l’approche service consiste à utiliser les données
pour optimiser la création de valeur d’un partenaire, tandis que l’approche « produit
données » consiste à fournir des données à un partenaire qui peut lui-même
optimiser sa création de valeur. Un exemple classique est fourni par The Weather Channel,
qui expose des données météo : « TWC is even using its data to
create new products and services for industries like the insurance sector. For
instance, it has built an app called Hailzone for insurers like State Farm and
Travelers to offer their auto insurance customers ». Une stratégie donnée qui ambitionne
de fournir des services conduit naturellement à penser à l’échange de données
avec des partenaires comme l’exemple
célèbre de GE Predix, ou celui de Caterpillar qui est cité dans ce livre : « Industrial
equipment manufacturer Caterpillar now requires its 189 dealers to enter into
data-sharing agreements; in return, it provides them with benchmarks and tools
to improve their own sales efficiency and with customer leads generated from
Caterpillar’s Web analytics ».
4. La
transformation digitale est une démarche d’apprentissage continu. Ce livre insiste plus sur l’importance de
l’expérimentation que le précédent, mais je n’insiste pas trop, c’est un sujet
que je couvre abondamment dans ce blog : « Constant
learning and the rapid iteration of products, before and after their launch
date, are becoming the norm ». L’auteur établit une distinction entre l’innovation
« convergente » pour améliorer des produits et des services
existants, et l’innovation divergente, pour découvrir des nouveaux produits et
services : « Innovating in the digital age requires that you
have a firm understanding of both convergent experiments (with valid samples,
test groups, and controls) and divergent experiments (designed for open-ended
inquiry) ». L’influence de l’approche Lean Startup est évidente : « Fall in Love with the Problem,
Not the Solution. This phrase is a mantra at many innovative companies, cited
by Waze cofounder Uri Levine as well as Intuit CEO Brad Smith ». On retrouve des principes tels que : apprendre vite,
itérer rapidement, construire une boucle de feedback de qualité, mesurer et
tester ses hypothèses. Sans surprise, puisque Intuit est cité dans presque tous
les livres mentionnés dans ce blog qui parlent d’innovation, on retrouve
également une référence à la culture d’expérimentation généralisée pour tous :
« The
experiment-driven approach to innovation was not isolated to emerging markets
but became the hallmark of Intuit’s company-wide efforts to rethink innovation.
“We have gone from a company of 8,000 employees to 8,000 innovators ».
5.
L’entreprise digitale utilise des plateformes comme modèle de création de
valeur. David Rogers consacre une
part importante de son livre aux plateformes et aux business models
associés. Il
emprunte au travail de Andrei Hagiu et Julian Wright la definition
suivante: « A platform is a business
that creates value by facilitating direct interactions between two or more
distinct types of customers ». Le livre insiste sur l’importance du « frictionless acquisition », c’est-à-dire de faciliter le plus possible le recrutement et l’usage
pour les participants que la plateforme souhaite attirer. On retrouve une explication
de la puissance des
effets de réseau, et des raisons qui font de l’approche plateforme une
dimension incontournable de la transformation digitale : « Three
of the five most valuable companies in the world—Apple, Google, and
Microsoft—have built their businesses on platform business models. The secret
to their success—and that of many other companies—is that platforms provide
several powerful benefits to the companies that can build them effectively ». Comprendre la puissance des plateformes ne signifie
pas toujours vouloir créer sa propre plate-forme, il faut comprendre les
relations de pouvoir entre écosystèmes et savoir utiliser les écosystèmes
installés. Comme le souligne David Rogers, même les plus grands savent utiliser les
plateformes de leurs compétiteurs : « But, in fact, all five are
deeply enmeshed with each other, cooperating and linking their products and
services. Apple devices have long run Google as their default search engine.
Facebook is the most popular app on everyone’s mobile devices ».
6. La
transformation digitale est la face positive de la disruption digitale. La transformation digitale s’invite dans la stratégie de toutes les entreprises
parce que la révolution numérique crée de formidables opportunités de
réinvention de la chaîne de valeur. La disruption se produit lorsqu’un acteur s’empare
d’une telle opportunité alors qu’il n’était pas considéré auparavant comme un
acteur du domaine : « Business disruption happens when an existing industry faces a challenger
that offers far greater value to the customer in a way that existing firms
cannot compete with directly ». La disruption ne caractérise pas l’innovation, elle ne signifie pas « très
innovante », elle caractérise le positionnement dans la chaîne de valeur. La
disruption est une surprise, on voit apparaître un concurrent auquel on ne
pensait pas : « Companies can expect to compete with more and
more businesses that do not look much like them. We can think of this as a
shift from symmetric to asymmetric competitors ». Autrement dit, il faut réussir sa transformation digitale
pour ne pas se retrouver comme victime collatérale d’une disruption. C’est d’ailleurs
précisément l’angle de « Exponential
Organizations » : comprendre
et développer les capacités qui permettent à d’autres acteurs d’aller dix fois
plus vite. Une idée fondamentale du livre The Digital Playbook
est que disposer des bonnes capacités digitales permet d’être un « fast
follower » et de ne pas se faire « disrupter ». Il ne s’agit
pas d’être toujours le premier, mais il faut pouvoir suivre si un concurrent
innove de façon significative. Pour éviter de se faire « disrupter »,
il faut donc à la fois développer et maîtriser les capacités du monde digitale
et comprendre leur impact possible sur la chaîne de valeur et les business
models de son activité. Je
cite David Rogers : « My theory begins with the assumption that the
best lens through which to view disruption is business models. Many of today’s
biggest disrupters are not introducing a new fundamental technology to the
market (e.g., a new type of hard drive or mechanical excavator). Instead, they
are applying established technology to the design of a new business model ». L’analyse des supply chains est
un cas particulier des modèles qui sont fortement impactés par les technologies
numériques (il suffit de regarder Amazon
ou Alibaba) :
« One of the biggest impacts of digital technologies has been on the
relationships of businesses to the partners in their supply chain—the companies
that supply critical inputs for the primary businesses’ own products or that
create additional value and distribute or sell those products to their eventual
consumers ».
4. Conclusion
On le voit, il
s’agit de deux livres différents mais qui possèdent de nombreux points
communs :
- La transformation digitale est en premier une transformation stratégique qui modifie la proposition de valeur que l’entreprise fait à ses clients.
- Cette transformation est fortement « orientée par les clients », en utilisant les caractéristiques du monde numérique pour créer une meilleure intimité. Le numérique n’est pas simplement un nouveau terrain de jeu (pour des nouveaux produits et services), ni un nouvel outil (pour l’amélioration continue de ses produits et services) mais également une nouvelle modalité de relation et de cocréation avec ses (futurs) clients.
- La transformation digitale s’appuie sur un socle informatique qui permet de définir, collecter, traiter et valoriser les données de l’entreprise et de ses clients.
- Les approches de plateformes sont incontournables dans le monde numérique parce que les technologies accélèrent les effets de réseaux.
- Dans un monde complexe et imprévisible, une stratégie de transformation digitale s’exécute de façon itérative en utilisant des expérimentations pour appendre de façon continue.
J’ai pris
grand plaisir à lire ces deux livres. Une fois le livre refermé, on reste
néanmoins sur sa faim car un certain nombre de points importants sont évoqués,
plus qu’ils ne sont abordés. On comprend l’importance des « building
blocs » mais leur réalisation reste difficile à appréhender. Voici
quelques exemples de questions qui restent ouvertes après la lecture :
- Comment co-développer avec ses clients ? Comment mettre en œuvre le lean startup dans une grande entreprise qui n’a pas la culture ni les « ways of working » d’une startup ?
- Comment architecturer le cœur (« operational backbone ») et les bords digitaux (« digital platform ») ? Comment construire un système d’information exponentiel ?
- Comment atteindre l’excellence logicielle (depuis la mise en œuvre des approches agiles citées dans ces deux livres jusqu’au développement des pratiques tournées vers la recherche de la qualité logicielle chère au software craftmanship), nécessaire à la réussite de l’exécution de cette stratégie de transformation digitale ?
Ces
trois points sont précisément le sujet de mon prochain livre.