Un des objectifs concrets de ce travail est d’étudier 5 « leviers » de l’architecture des organisations. Ces cinq leviers font partie de la « boite à outil » des consultants en managements:
- Réduire, ou augmenter, le nombre et la durée des « comités », c’est-à-dire des réunions planifiées
- Aplatir l’organisation (en augmentant de nombre de « direct report »)
- Introduire une forme d’organisation matricielle pour piloter les processus transverses de l’entreprise
- Eliminer les « buffers » pour construire une organisation « lean and mean »
- Augmenter la polyvalence, ou inversement, embaucher/former des spécialistes
Ce qui est intéressant, c’est que chaque idée est bonne, mais que chaque fois, l’idée contraire peut être également adaptée à une situation donnée. Mon objectif est donc de comprendre l’impact de ces leviers, non pas pris de façon isolée, mais globale. Il est probablement illusoire de chercher une théorie complète, nous allons le voir, chaque levier joue de façon subtile et multiple, en fonction du contexte et de la culture d’entreprise. En fait, il serait probablement plus pertinent, pour un sociologue des organisation, de pousser l’analyse levier par levier.
Nous allons, au contraire, étudier les impacts combinés selon l’axe des flux d’information. Cette approche, dans la quelle l’organisation est vue comme un ensemble d’agents échangeant des flux d’information suivant plusieurs canaux, et pour laquelle la ressource critique est le temps, ne peut que produire des vérités simples.
Dans ce message, je me contente d'une réflexion générale sur les effets de ces leviers en terme d'emploi du temps (au sens littéral) et de flux d'information.
1. Faut-il faire des comités ?
Il n’y a pas de question sur l’utilité des réunions planifiées:
- Priorisation des sujets (file d’attente implicite)
- Mutualisation des flux (1 émetteur -> n récepteurs)
- Capacité à planifier (vs. Réunions spontanées)
- Mutualisation des sujets (éviter le temps de « setup/déplacement »
La question est plutôt de savoir comment mesurer cette efficacité pour la contraster avec des inconvénients:
- Crée une structure rigide qui n’est pas forcément adaptée aux urgences
- Tendance à accumuler des acteurs inutiles
- Tendance à remplir l’espace temps, au détriment du reste
Cela pose la question de l’efficacité de la réunion en tant que canal de communication, qui est une des mesure de la performance de la culture d’entreprise.
2. Faut-il des organisations plates ?
L’idée qu’il faut aplatir les pyramides de management est particulièrement à la mode depuis 10 ans. Elle a été popularisée par un certain nombre de grands patrons américains et s’est transformé en véritable dogme. Parmi les avantages évidents, on trouve:
- Temps de propagation (descente des consignes) raccourci
- Temps d’arbitrage des conflits prioritaire raccourci (attention la bande passante est identique)
- Favorise une culture de la délégation
Il faut néanmoins balancer par un certain nombre d’effets pervers :
- Moins de temps disponible pour le coaching de ses « direct report » : l’effet « binôme » est moins fort et le contrôle est plus lâche
- Moins de managers: moins de capacité à transporter de l’information dans l’organisation
- In fine, moins de temps personnel pour chaque manager
La question ouverte est : est-il possible d’étudier cet impact d’un point de vue quantitatif ou est-ce avant tout un problème qualitatif qui revient à connaître la valeur du « temps libre consacré à la réflexion et à l’anticipation » de chaque manager.
Même si il y a un consensus à peut près égal dans les ouvrages de management sur le fait que 20 à 30% du temps d’un « top manager » doit être consacré au futur et à la réflexion, voire à la formation (cf. P. Senge), personne ne s’aventure à quantifier une telle proposition. En attendant une hypothétique étude à la M. Porter sur la corrélation entre la valeur crée par l’entreprise et le temps qu’elle passe à imaginer son futur, cette piste semble hasardeuse et spéculative.
3. Faut-il des structures matricielles pour piloter les processus transverses ?
Ce sujet est parfaitement expliqué et traité par Galbraith dans son livre fondateur « Designing Organizations ». Il montre précisément ce qui est la thèse de ce travail: les avantages et inconvénients de chaque modèle d’organisation, et les traits caractéristiques qui prédisposent à l’une ou l’autre.
Dans la réalité, le sujet de l’organisation matricielle est complexe car il y a de nombreux axes: géographiques, segmentation par ligne de marché, par fonction ou compétence, par processus, etc. Dans le cas de la modélisation FIAO, il ne reste que deux axes mais ils sont suffisant pour évaluer certains concepts de base et voir si les « perles de sagesse » reccueillies par Galbraith peuvent se « démontrer » à partir d’un modèle quantitatif.
Nous allons donc supposer que nous faisons cohabiter deux rôles de management (qui sont ou non exécutés par les mêmes individus, cela échappe à la précision de notre modèle) : (1) le rôle de pilotage hiérarchique (vertical) et d’optimisation des ressources (2) le rôle de pilotage (horizontal) des processus. En faisant varier la répartition de l’énergie disponible, nous pouvons représenter des organisations plus ou moins « matricielles ».
L’avantage de l’organisation « par processus » est classique:
- Augmente la capacité de transfert de flux pour le pilotage du processus
- Pilotage plus réactif, évite les montées/descente dans l’organisation
- Favorise l’amortissement horizontal des aléas, en faisant jouer la transversalité de l’organisation
Néanmoins, une organisation traditionnelle de « bureaucratie » possède des avantages qui sont également classiques: - Une structure stable (fonctionnelle) qui évite les « overheads »
- Peut éviter l’apparition d’une population de « coordinateurs » qui génèrent leur propre activité (le phénomène du « passeur de plats »)
- Favorise l’optimisation verticale et l’absorbtion des aléas par un meilleur pilotage des ressources.
4. Quel niveau de redondance est souhaitable ?
La question du « juste effectif » est une question éternelle dans l’optimisation des organisations. D’un coté, nous avons l’école de pensée « lean & mean », du « right-sizing » qui cherche à :
- Réduire les coûts associés aux effectifs
- Eviter la dispersion, c’est-à-dire : la capacité à générer sa propre activité, le « bruit » engendré par le sureffectif
- Se concentrer sur le « core » business et externaliser ce qui peut être (mieux) fait à l’extérieur
Même si cette approche est facile à comprendre et à justifier, il existe des facteurs importants de succès qui, au contraire, s’accommodent d’un « léger sureffectif », ou, autrement dit, sont difficiles à obtenir dans une organisation trop « maigre »:
- La capacité à anticiper, à être réactif
- La capacité à capitaliser, à apprendre
Cette question du dimensionnement est malheureusement une question complexe, qui ne se traite correctement que dans le contexte d’une industrie, voire d’une entreprise. Par exemple, on peut reprendre la remarque précédente : il est très difficile de valoriser le temps disponible pour l’apprentissage et la réflexion. L’impact positif ou négatif du sureffectif dépend de l’activité et des conditions de travail.
Néanmoins, dans le cadre d’une évaluation FIOA des capacités de transfert d’information, il est facile de simuler des scénarios qui testent la réactivité (rapidité d’adaptation) et la flexibilité (capacité d’adaptation) d’une organisation.
5. Faut-il des généralistes ou des spécialistes ?
Cette question est la question qui a fait couler le plus d’encre depuis la re-visite du « Taylorisme » que ce soit sur les chaînes de montage ou dans les « bureaucratie ». Comme la question précédente, c’est une question très difficile à modéliser et qui dépend d’un très grand nombre de facteurs. A ce titre, il est imprudent de vouloir la traiter de façon générique, puisque ces facteurs varient d’une industrie à l’autre et d’une culture d’entreprise à l’autre.
Néanmoins, les « bases du Taylorisme » restent d’actualité pour une grande partie des activités humaines:
- La spécialisation, c’est-à-dire le fait de confier les mêmes tâches aux mêmes personnes, produit une courbe d’apprentissage accélérée et permet d’atteindre un plus grand niveau de compétence
- L’efficacité augmente avec le niveau de compétence, en délai et en qualité.
Mais ..
- La polyvalence des acteurs (non-spécialisation) est un facteur de flexibilité
- La non-spécialisation est un facteur de motivation (diversité des activité et vsion plus globale)
- La polyvalence diminue le besoin de coordination de bout-en-bout (elle permet des organisations plus simples)
Notre seule ambition ici est d’étudier l’impact réciproque de la spécialisation et de l’organisation de l’entreprise. L’objectif est de mesurer l’effet positif de la polyvalence en terme d’organisation du travail, qu’il conviendra de comparer avec les bénéfices de la taylorisation propre à chaque métier. Il ne peut donc pas y avoir de conclusion générique, mais il est peut-être possible de caractériser des liens génériques entre flexibilité et polyvalence.
A suivre, le prochain message traitera de la "philosophie" de l'approche FIOA et de ses postulats.