1. Introduction
J’ai écrit ce livre pendant les grandes-vacances 2019. Je
suis très reconnaissant à mon groupe de relecteurs qui m’a permis d’affiner le
manuscrit pendant les six mois suivants, et moins à l’épidémie COVID qui aura
produit plusieurs mois de décalage pour la sortie. Le mois de juillet est loin
d’être idéal, vu qu’il ne s’agit pas d’une lecture de plage. Ce livre est le
résultat d’un peu plus de 10 ans d’expérience dans le développement des
services numériques, chez Bouygues Telecom puis chez Axa. C’est bien sûr une
synthèse des différentes méthodes mises en place avec succès, la combinaison
des lectures et multiples rencontres avec d’autres acteurs numérique innovants.
Mais c’est encore plus un retour d’expérience nourri par ce qui n’a pas
fonctionné, depuis les services qui n’ont pas rencontré leurs utilisateurs
jusqu’à ceux que l’absence de « maitrise digitale » n’a pas
permis de produire avec succès. Toutes ces années, passées à comparer ce que
nous faisions par rapport aux « best practices » des meilleurs
entreprises numériques, depuis les géants du Web jusqu’au startups de la
Silicon Valley, m’ont aidé à apprécier la difficulté qui existe pour importer
des méthodes de travail développées à une échelle différente ou dans une autre
culture. Le livre reprend le contenu de mes deux blogs, distillé sur une
dizaine d’années, mais comme chaque fois, le travail d’écriture m’a permis
d’avoir des idées plus claires, mieux
structurées et mieux « tissées ». L’écriture d’un livre est également
l’occasion de travailler en profondeur, les références sont considérablement
enrichies par une bibliographie conséquente et de multiples notes de bas de
page.
2. Pourquoi ce livre
Ce livre, tout comme mon deuxième livre qui parle du système d’information, est construit en réponse à des paradoxes, des situations de frustration et d’incompréhension que j’observe souvent. Voici les trois exemples que je cite en introduction, je pourrais les qualifier de « pain points » :
- Beaucoup de grandes entreprises se plaignent du faible retour sur investissements de leurs programmes de développement de services numériques. Après une période de fort engouement, lorsque l’on fait les comptes, on se rend compte que l’usage reste faible et que ces programmes n’ont généré qu’une faible partie de revenus additionnels. De plus, assez souvent, des acteurs récents et petits – des startups – se sont immiscés dans ce périmètre de services numérique, pour s’intermédier et prendre la place de la relation numérique avec le client. « Nous avons les moyens, les talents, les clients, la notoriété de la marque … et nous nous faisons dépasser par des startups ».
- Les discours sur la transformation digitale, la création de valeur par les données, la réinvention avec l’intelligence artificielles sont tellement nombreux et assourdissants qu’il n’existe pas une entreprise qui n’ai pas décidé d’adopter les « technologies exponentielles » : cloud, apprentissage automatique et data science, intelligence artificielle. Pourtant, l’adoption de l’ambition « data-driven » est lente, et la création de valeur ne reproduit pas ce qu’on trouve chez les entreprises numériques leaders, celles que Salim Ismail appelle les « Exponential Organizations ». On trouve des POC partout (proof of concept) mais le passage à l’échelle est long et laborieux.
- L’engouement pour la transformation digitale a coïncidé avec une adoption massive des nouvelles organisations de développement de projets informatiques, autour des « méthodes agiles » qu’il s’agisse des directions digitales ou des DSI. Beaucoup d’entreprises ont espéré que ce changement de méthode les rapprocherait des performances logicielles des « Géants du Web », pourtant les progrès en termes de fiabilité, de vitesse de déploiement, et encore plus de vitesse d’adaptation au marché et aux concurrents (ce que les managers associent à « agile ») sont faibles et décevants. La création de nouvelles plateformes digitales n’a pas réussi à faire oublier la lenteur et les frustrations que nombre de managers expriment à propos de leurs services informatiques.
A côté de ces exemples imaginaires mais précis (toute
ressemblance avec une situation ayant existé dans votre entreprise serait
fortuite), il existe un « meta pain-point » lié à la difficulté culturelle, pour nous
Français, à adopter les postures et les comportements nécessaires pour cette
transformation, parce qu’ils ne correspondent pas à nos modèles
mentaux. Notre culture et notre éducation apporte un poids excessif à la
conceptualisation. Plus que d’autres nations, nous avons tendance à confondre
« la carte et le territoire ». Nous avons de plus besoin de
« comprendre avant d’agir », alors que la nature VUCA de notre
monde demande souvent « d’agir pour comprendre ». Notre culture du
pouvoir et du rôle du chef ne favorise pas l’accession à l’autonomie et la
responsabilisation des équipes. Ce livre n’a pas vocation à changer ce constat
… mais d’en tenir compte et d’aller au fond des choses, d’appliquer la
recherche des causes
profondes, lorsqu’il explique ce que constitue la transformation digitale
et les différentes capacités que les entreprises doivent développer, à la fois
des capacités techniques et des capacités d’organisation.
Dans un
billet precedent, j’ai parlé de l’excellent livre « Designed for Digital – How to
architect your business for sustained success » de Jeanne W. Ross, Cynthia M. Beath, et
Martin Mocker. Je partage l’ensemble du diagnostic sur la transformation
digitale et sur les conditions pour la réussir. En particulier, il existe bien
deux formes de transformation digitale : la transformation des processus
existants – à la fois l’optimisation par les progrès numériques mais également
la réinvention grâce aux capacité de transformation
des technologies exponentielles – et la création de nouveaux « business
models » qui exploitent la « transformation numérique du
monde ». L’idée importante est qu’il ne faut pas les opposer :
l’entreprise a besoin de construire son « digital backbone »,
qui lui permet de réaliser la première transformation, pour se mettre en capacité
de penser à la seconde. Je vois « L’approche
lean pour la transformation digitale » comme la suite de « Designed
for Digital » : un livre plus technique et beaucoup plus précis,
qui explique comment mettre en œuvre les recommandations du second.
3. Le contenu du livre
De façon simplifiée, on peut dire que le livre est organisé autour de trois contenus, qui sont trois capacités qui me semblent nécessaires pour réussir une transformation digitale :
- La première partie parle de l’approche « Lean Startup » pour cocréer des produits et des services avec ses utilisateurs. Je n’entre pas ici dans le détail, c’est un des sujets fréquents pour les billets de ce blog. Cette partie du livre propose une synthèse pour la mise en œuvre de l’approche Lean Startup dans une grande entreprise – ce qui est spécifique et différente d’une petite structure – dans une vision globale qui va du Design Thinking au Growth Hacking.
- La seconde partie du livre parle de la transformation du système d’information pour qu’il devienne un « système d’information exponentiel », c’est-à-dire une plateforme ouverte pour évoluer rapidement et absorber avec succès les vagues successives des évolutions technologiques, en particulier les progrès continus de l’intelligence artificielle. Cette partie est donc dédiée au « digital backbone », avec la conviction que la partie plus visible de la transformation digitale (création de nouvelles expériences, de nouveaux services et nouveaux produits) repose sur la transformation des « fondations » que représente le système d’information.
- La troisième partie du livre est consacrée aux capacités logicielles que l’entreprise doit maîtriser pour pouvoir « jouer dans la cour des grands » du monde numérique. La première capacité consiste à combiner qualité et rapidité en adoptant les pratiques DevOps de l’intégration et du déploiement continu. Il ne s’agit de rien de moins que de développer une excellence du développement logiciel, que je place naturellement dans une vision lean, en appliquant une approche « Lean Software Factory ». La seconde capacité est de savoir construire des plateformes digitales, qui sont à la fois des modèles d’affaire, des modèles d’organisation – autour de communautés – et des modèles d’architecture.
Le titre du livre,
« l’approche lean pour la transformation digitale », n’est pas
simplement un trait d’union entre Lean Startup et Lean Software. L’approche
lean est le modèle mental qui permet d’absorber les défis de complexité et de
changement permanent qui caractérisent la transformation digitale. Je ne suis
pas le premier à voir à quel point les
principes lean sont bien adaptés aux défis du monde numérique, mais ce livre va beaucoup plus loin que la simple
constatation. L’approche lean est « tissée » dans chaque page du
livre pour permette de construire un modèle d’organisation et de travail
apprenant et responsabilisant. Au-delà des différents contenus que je viens
d’évoquer, l’approche lean a pour objectif de nourrir trois thèmes qui
sont essentiels dans la transformation digitale :
- Une véritable orientation client – La satisfaction des clients reste la seule « étoile polaire » du succès de l’entreprise et la transformation digitale est en premier lieu l’accélération de la proximité entre l’entreprise et ses clients.
- Une transformation vers une organisation adaptative – donc agile et distribuée – ce qui impose un « changement de modèle » en termes d’organisation et de management.
- Une orientation « logicielle » de l’entreprise, qui consiste à reconnaitre que « software is eating the world » et à embrasser le changement technologique en développant, selon les principes lean, le respect des compétences et de gestes associés.
4. A qui s’adresse ce livre
Ce livre a été écrit en pensant à trois types de lecteurs :
- En premier lieu, ce livre s’adresse aux managers, pour leur permettre de mieux comprendre les enjeux de la transformation digitale. Il existe déjà de multiples livres sur le « comment » ; ce livre porte sur le « pourquoi » et le « pourquoi c’est difficile ». Comme je l’ai dit en introduction, ceci n’est pas un « livre de plage » ; mon ambition est d’offrir un outil pour déchiffrer la complexité du monde compétitif des services numériques. Je suis bien conscient, et ceci m’a déjà été signalé par des premiers lecteurs, que ce livre rentre dans des détails techniques qui peuvent surprendre des « managers généralistes ». Mon humble opinion est qu’il est nécessaire de comprendre un peu le fonctionnement de l’intérieur pour être mieux capable de saisir les opportunités que la révolution technologique entraine. Je fais mienne cette citation d’Aurélie Jean que je cite dans l’introduction : « les décideurs doivent s’initier au code pour devenir des leaders éclairés … il faut des décideurs éclairés et non éblouis par l’informatique »
- Ce livre s’adresse également aux praticiens des systèmes informatiques, non pas comme un livre technique qui proposerait des solutions – je fais l’hypothèse que ces lecteurs en savent autant que moi – mais comme un outil de communication. Le rôle des praticiens dans la transformation digitale est essentiel : ils doivent être des passeurs de savoir. La transformation digitale est entre les mains des acteurs métiers, mais le terrain de jeu est défini par les capacités digitales. Mon objectif ici est de trouver des modèles mentaux commun qui facilite la communication entre ceux qui font et ceux qui veulent.
- Je m’adresse également aux développeurs de services innovants, qui cherchent à implémenter une approche Lean Startup dans une grande entreprise. Même si ce n’est pas un livre sur l’innovation, elle tient une part importante dans le récit et ce livre devrait intéresser les responsables d’innovation, tout comme les « product managers » et « product owners ».
La figure suivante est tirée du troisième chapitre. C’est
une forme de clin d’œil puisqu’elle illustre un principe général : permettre
à ceux qui développent le code associé à des user stories de comprendre
l’étoile polaire - les UVP (Unique
Value Proposition) - et
l’observation des pain points qui ont conduit à cette étoile polaire. Ce
schéma s’utilise habituellement sur des exemples de services concrets. Je
milite depuis de nombreuses années sur la construction et la mise à jour de ce
graphe de correspondance, car il est fréquent que les « user stories »
évoluent pendant les allers-retours et les réunions (qui sont la marque de la
taille de l’entreprise), et que le « sens » primitif se dilue. Mon
expérience depuis plus de 10 ans est que la qualité du code produit est significativement
meilleure lorsque le développeur connait les pain points – c’est
évident, implicite et sans effort pour une startup ; dans une structure
plus grande, cela se travaille. Je reproduis cette figure ici car elle résume
le contenu de ce billet et la vocation du livre.
5. Du client au code et du code au client
Pour conclure, les lecteurs de ce blog auront reconnu l’illustration suivante, qui est la colonne vertébrale du livre et l’inspiration du sous-titre « du client au code et du code au client ».
Cette figure permet de reconnaitre les 3 contenus du livre
évoqués plus haut :
- Du client au code : l’approche « lean startup », prise dans un sens large, avec un accent important sur le design et sur l’amélioration continue du produit après son lancement.
- Du code au client : l’approche « lean software factory », qui utilise le « lean software development » pour regrouper des pratiques agiles, CICD et une approche « produit ».
- Une boucle perpétuelle et une organisation unique, en synergie, autour des produits (ou services) et des équipes qui construisent ces produits.