1. Introduction
Ce billet est un billet
d’été, une période favorable à la prise de recul et l’observation. J’ai décidé
de revenir sur le sujet de l’efficacité personnelle, un sujet que j’aborde
souvent dans ce blog sous le vocable de
selfLean
. Une de mes citations préférées est la phrase célèbre d’Aristote :
«
Nous sommes ce que nous faisons de
façon répétée, l’excellence est une habitude ». Je vais donc m’intéresser
à l’efficacité personnelle, qui est une forme d’excellence, au travers des
habitudes qui sont favorables à son développement. Sur le thème de l’importance
des habitudes, il y a de nombreuses et excellentes ressources, mais je vous
recommande le best-seller de James Clear, «
Atomic Habits – An Easy &
Proven Way to Build Good Habits and Break Bad Ones », que j’ai
commenté
ici. L’importances des pratiques et des habitudes pour implémenter l’amélioration
continue, d’une personne comme d’une équipe, n’est plus à démontrer.
La deuxième référence
que je peux faire ici à la pensée grecque est le fait de s’observer pour se
connaitre : « Gnothi
Seauton ». Mon intérêt prononcé pour le « quantified self »
et le « self tracking », par exemple au travers de d’application
Knomee, est dû à l’importance de l’observation
à la fois pour mieux se comprendre et mettre en place des habitudes. Je peux citer ici Gretchen Rubin dans son livre célèbre « The
Happiness Project » : « Current research underscores the wisdom
of Benjamin Franklin chart keeping approach. People are more likely to make
progress on goals that are broken into concrete, measurable actions, with some
kind of structured accountability and positive reinforcement ». Pour développer son efficacité
personnelle, il est essentiel de bien se connaitre. A l’inverse, les habitudes
qui permettent de développer cette efficacité n’ont rien de révolutionnaire ou
d’original. Elles sont connues depuis longtemps et ce qui est complexe, c’est
la discipline pour les mettre en place et s’y tenir.
J’écoute un certain nombre de podcasts sur ce thème,
comme le « Tim Ferris Show »
ou « Le Gratin » de Pauline
Laigneau. On retrouve dans les différents interviews, tout comme dans le
livre de Bruce Daysley, beaucoup de thèmes communs et surtout de pratiques
communes. Dans cet esprit de
« devenir une meilleure version de soi-même », ce billet se veut une
synthèse des pratiques que j’essaye de transformer en habitudes pour augmenter
mon efficacité personnelle, dans mon activité professionnelle et les
différentes extensions, depuis l’écriture du blog (et des livres) jusqu’au
développement (CLAIRE ,
GTES
ou Knomee).
Comme ce sont des sujets que j’ai déjà abordés, je vais rester synthétique et
essayer d’avoir une vue en largeur plutôt qu’en profondeur. Je vais donc me
limiter à une quinzaine de pratiques ou d’idées, sans trop essayer de vous
convaincre.
Le billet est organisé comme suit. La section suivante
commence par l’organisation des tâches, dans l’esprit de « Getting Things Done ».
Si je marche clairement sur les pas de David Allen, j’y ajoute l’apport de l’approche
lean au travers du « SelfLean » : organiser ses flux, réduire
son WIP et rendre
la complexité visible. La section 3
s’intéresse plus en détail à la gestion du temps (ce qui est bien sûr un des
aspects de la gestion des tâches). Toujours dans l’esprit lean, le plus
important est de savoir maintenir l’ouverture aux opportunités, savoir « se hâter lentement »
pour profiter d’un monde incertain et volatil. La section 4 traite de l’utilisation
des lieux. Les lieux jouent un rôle important dans notre efficacité, à la fois
d’un point de vue fonctionnel (il y a des lieux mieux adaptés que d’autres en
fonction des activités) mais également d’un point de vue symbolique, comme ancrage
de nos pratiques. Associer des pratiques à des lieux est un accélérateur de
discipline. La dernière section porte sur la gestion de l’énergie, un sujet qui
m’apparait de plus en plus fondamental en prenant de l’âge. C’est le sujet d’un
autre best-seller, « The Power of Full Engagement »,
de Jim Loehr et Tony Schwartz, dont le sous-titre résume bien ce dont je vais
parler : « Managing Energy, Not Time is the Key to High Performance
and Personal Renewal ».
2. Bien gérer ses taches
La
première pratique, la plus évidente à énoncer mais qui requiert beaucoup de discipline
à exécuter, est de faire une chose (importante) à la fois, et de la faire
vraiment bien. C’est le deuxième principe fondateur de Google: “Mieux vaut faire une seule
chose et la faire bien ». Cette phrase seule mériterait un billet de
blog; j’ai mis plus de 10 ans à comprendre sa profondeur. La première raison
est l’inefficacité du multi-tasking, qui est aujourd’hui prouvé
scientifiquement. La seconde raison est l’importance de l’impact pour
maintenir notre engagement et notre énergie, j’y reviendrai. La troisième
raison est l’importance de l’apprentissage, de l’amélioration continue pour développer
notre « mastery », au
sens de Daniel Pink. Il y a dans l’expression « la faire bien »
une réflexivité nécessaire qui est la principale cause du dépassement de soi.
La deuxième pratique consiste à décharger son esprit de la charge
mentale des choses à faire, et donc d’écrire des « to do » lists,
en suivant les recommandations de David Allen dans «
Getting Things Done ».
Je pratique depuis très longtemps les « to do », sur des échelles de
temps variées (je vais y revenir), en mode « backlog » : le but
est de vider mon esprit, pas de créer du stress supplémentaire avec des planning
intenables. Tout ce qui est dans le backlog est noté pour ne pas être oublié
(et libérer le cerveau de la tâche de s’en rappeler), mais une grande partie
sera éliminée ensuite, selon les bonnes pratiques lean et agile (« choisir,
c’est renoncer »). Je cherche à maximiser le flux de création de valeur,
pas à faire le maximum de choses ni tenir le maximum d’engagements. La gestion
du backlog a pour but de faire la bonne chose au bon moment, et
donc
de savoir attendre.
Si
la ou les « to do lists » sont des backlogs, il faut
utiliser d’autres solutions pour piloter son flux personnel de travail, et c’est
ici que les outils lean de management visuel sont utiles. J’utilise
depuis une dizaine d’année des « kanbans
personnels » dont le premier but est de rendre visible la complexité/richesse
du backlog pour m’aider à limiter mon « work in progress » et
donc à faire des choix et renoncer. J’utilise par exemple le tableau (ou sa
forme électronique) pour représenter chaque dossier (ou projet) en cours. Dans le
type de jobs que j’occupe, le kanban est un outil essentiel pour mettre en œuvre
la première pratique. Le kanban permet aussi de travailler le plus possible en
mode pull, en fonction des consommateurs de ce que l’on produit. Un document
qui n’est pas lu ne sert à rien, un mémo qui ne permet pas de conduire à une
conversation ne libère, le plus souvent, que 10% de sa valeur potentielle.
3. Bien gérer son temps
L’outil
qui me sert le plus est une structuration « fish eye » de mes
horizons de temps, développée au cours des années. Cela me permet d’avoir une
backlog pour un temps infini, avec des compartiments de même taille (en charge
mentale) pour la journée qui vient, la semaine qui vient, le mois qui vient, l’année
qui vient. Le principe de la vue fish-eye est d’avoir un bon niveau de détail pour
ce qui est proche, et qui diminue pour ce qui est éloigné. Utiliser un planning
multi-échelle avec cette contraction progressive du temps vers l’horizon permet
une manipulation très facile de son backlog. On pourrait penser que la contraction
du temps biaise la gestion de capacité, mais l’expérience montre au contraire
que c’est une bonne pratique d’être d’autant plus restreint que l’horizon est
lointain.
Je
cite ici l’ouvrage de Bernard Leblanc-Halmos, « où trouver le
temps ? » car c’est bien le sujet dont il s’agit ici, et cette
lecture reste jubilatoire, même si le livre a 30 ans. Trouver le temps, c’est
le préserver ; le rôle principal des outils de gestion du temps est de
servir l’objectif de la section précédente – se donner le temps de bien faire ce
que l’on fait ou l’éliminer de sa
backlog – et, encore plus, se préserver
l’agilité de pouvoir saisir les opportunités que l’on ne connait pas encore. Ce
point est fondamental, il est à l’intersection de deux principes. Le premier principe
« lean » veut que pour bien travailler, il faut se laisser des marges
de manœuvre. Je parle très souvent de l’importance des «
buffers »
pour le travail d’équipe, mais cela s’applique également à l’efficacité personnelle,
pour les mêmes raisons de complexité. Le second principe « agile » veut
que chaque utilisation du temps soit comparée à sa
valeur
d’opportunité. C’est raisonnablement facile dans le présent (passer du
backlog au kanban en faisant ses choix), c’est plus subtil lorsqu’il s’agit du
futur que personne ne connait. Je vous renvoie ici
à
l’éloge de « festina lente » de Nassim Taleb dans Antifragile.
Une
idée reçue veut que le temps soit fini, et qu’il soit le même pour tous.
Pourtant, la perception du temps est relative et subjective. L’efficacité
permet justement de dilater le temps, ou de compresser ce qui soit entrer dans
une période de temps. C’est vrai pour le travail personnel, c’est également vrai
pour la communication : une communication bien préparée est plus efficace
et prend, ce que je constate années après années, moins de temps. Tout ceux qui
travaillent avec moi savent que je suis un grand amateur de dessins, de schémas
et d’illustrations. J’aime collaborer en dessinant au tableau, j’utilise des
schémas pour expliquer, et cela marche beaucoup mieux en construisant le schéma
pendant la conversation, ce que savent tous les enseignants. Collaborer exige
de partager un contexte, utiliser les illustrations est une façon de « compresser
le contexte » : plus le schéma est pertinent, moins il faut de temps
pour se synchroniser sur ce contexte. De la même façon que la complexité
de Kolmogorov lie l’intelligence à la compression, mon expérience est que
le temps passé à construire ses arguments et représenter ses idées sous formes
de dessins et schéma est un accélérateur d’efficacité, personnelle comme collective.
C’est d’ailleurs le même argument qui me conduit à penser que l’utilisation des
assistants cognitifs – qui se préparent pour les décennies à venir – vont être un
formidable accélérateur de communication et de collaboration.
4. Bien gérer sa communication
Qu’il
s’agisse d’email, de SMS ou de messages sur les différentes plateformes
collaborative modernes, la communication asynchrone est un outil indispensable pour
optimiser son efficacité, pour deux raisons évidentes : le découplage temporel redonner la liberté d’optimiser
son temps et l’efficacité de la lecture (on
lit beaucoup plus vite que l’on n’écoute) permet de mieux gérer le problème
de la surcharge des flux entrants. J’ai beaucoup écrit dans ce blog sur l’approche
lean appliqué à la gestion des courriels (LEMM :
Lean E-Mail Management), mais en me concentrant surtout sur le « système »
émetteur-lecteur et les règles collectives d’usage. De façon plus personnelle,
la pratique essentielle est de réduire le temps de traversée de sa boite mail,
pour réduire le nombre (cf.
la loi de Little), ce que je fais avec deux pratiques : éviter le rework
(traiter chaque mail une seule fois) en utilisant des couleurs, et
traiter mes emails une fois par jour au moment que je choisis (matin) et de façon
contrôlée (en exploitant sans remords la dimension asynchrone). Maintenir sa
boite email dans un « état ordonné » est à la fois une application
des principes précédents (réduire sa charge mentale) et la façon de résoudre un
paradoxe : comment participer à l’accélération des flux (approche
lean de l’efficacité collective) sans devenir un esclave de sa boite aux
lettres. Si vous voulez plus de conseil sur la bonne façon de gérer le flux
entrant désordonné de demandes, je vous conseille d’écouter
Elizabeth Gilbert.
Une
des idées les plus importantes de ce blog, tirée à la fois de mon expérience et
de mes lectures, est que le travail dans un monde complexe exige la
collaboration synchrone. Je vous renvoie au livre de Bruce Daisley,
« The
Joy of Work », que j’ai déjà commenté. La communication synchrone, qu’il
s’agisse du standup meeting, du coup de fil, de la visio ou de la conversation
devant un café, offre une «
bandwidth »,
au
sens de CMC,
beaucoup plus importante,
c’est-à-dire la possibilité de construire des multiples boucles courtes de synchronisation,
précisément. La communication synchrone est donc un bien précieux à protéger. D’une
façon générale, je la réserve aux personnes avec qui je travaille et je renvoie
les autres vers les canaux asynchrones. Pour être efficace, la communication
synchrone demande un fort engagement, ce qui me conduit à réguler les plages de
temps que je lui alloue, par exemple en ne répondant pas au téléphone lorsque
je travaille. Pour être encore plus précis, j’utilise le synchrone pour le
transport des informations complexe mais l’asynchrone pour la signalisation (la
mise en place des flux synchrones). De façon plus générale, je souscris à 100%
au besoin de
chasser
les interruptions, un point clé de Bruce Daisley qui correspond à plus de 20
ans de recherche scientifique. La suppression des notifications est un « must »,
cela ne me semble plus être un objet de débat.
Un
cas particulier de la communication synchrone qui mérite beaucoup d’attention
dans nos vies modernes est celui des réunions. Ici aussi, c’est
un sujet dont j’ai beaucoup parlé dans ce blog, mais plutôt d’un
point de vue systémique et collectif. Du point de vue de l’efficacité
personnelle, je retiens deux principes.
Le premier est de limiter constamment le temps passé dans les réunions planifiées
pour garder du temps pour des réunions non planifiées, pour profiter de la
sérendipité et augmenter son agilité. C’est très difficile, même avec beaucoup
de discipline (j’utilise depuis 15 ans un tableau mensuel pour mesurer la
charge des réunions planifiées) et cela ne doit pas faire oublier que plus
l’organisation est large, plus la planification est nécessaire. Autrement
dit il s’agit de faire le moins de réunions possible, mais pas moins que le
nécessaire. Le second principe, encore plus exigeant du point de vue de la
discipline, est de bien préparer chaque réunion. Une réunion est un « commun »,
dans le sens des économistes, il appartient à chacun d’en tirer le meilleur profit
et évitant « la
tragédie des communs ». Je m’étais proposé, il y a 15 ans, de ne pas
participer aux réunions que je n’avais pas le temps de bien préparer, mais je
ne suis jamais arrivé à me tenir à cette règle. En revanche, la version plus
souple de ce principe, qui consiste à allouer du temps de préparation à chaque
réunion au moment où elle est inscrite dans l’agenda, fonctionne très bien et
augmente significativement l’efficacité personnelle.
L’application
des principes de cette section peut conduire à un renforcement des « liens
forts » et un renfermement sur son monde connu. C’est pour cela qu’il faut
complémenter ces pratiques avec d’autres
qui permettent de développer ses liens faibles. Développer ses liens
faibles, c’est en premier lieu parler à « des gens que l’on ne connait pas »,
alors que tout est fait pour rester dans son « réseau personnel ». Depuis
Mark Granovetter, nous connaissons la
force des liens faibles. L’écriture de ce blog est un exemple de pratique
qui correspond à ce principe. La même remarque s’applique bien sûr à la
présence sur les réseaux sociaux. La pratique de l’écriture de billet de blog est
à la fois un exercice de « compression » (écrire c’est mettre ses idées
au clair) et une façon de constamment développer des liens faibles. Au bout de
15 ans de pratique (sous toutes ses formes, au-delà du blog), je peux témoigner
de la grande contribution de mon « réseau faible » à mon efficacité personnelle.
Bien sûr, cela ouvre la question de la surexposition à des flux entrants, mais
une fois de plus, tout
est question de discipline. La meilleure
pratique que je connaisse pour éviter d’être noyé sous les flux d’articles qui
me sont poussés quotidiennement est de donner une solide préférence aux livres.
5. Bien gérer sa localisation
Je
me suis considéré pendant de nombreuses années comme un « road warrior »
capable de travailler n’importe où avec mon ordinateur, indépendamment du lieu
ou du contexte. La raison principale étant de pouvoir grapiller toute occasion
d’ouvrir le PC et de pouvoir coder, avec le sentiment d’une grande efficacité personnelle.
Pourtant, même si la technologie donne des ailes à cette ambition ATAWAD (anywhere,
anytime, any device), le
lieu où l’on travaille compte, et il faut savoir en profiter pour développer
son efficacité personnelle. Après deux mois de confinement lié à la COVID, nous
avons pu constater que le télétravail à la maison fonctionne, mais que le
bureau est souvent mieux adapté pour le travail collectif, lorsqu’il s’agit de
cocréer, d’influencer ou d’expliquer. Il me semble d’ailleurs clair, comme le
souligne Emmanuelle Duez dans cet interview, que ce que nous avons appris sur l’adéquation
entre le lieu et le type de travail va
nous conduire à réinterpréter le rôle des lieux collectifs. Cette importance
du lieu s’applique également à l’échelle individuelle : même s’il est
possible de faire « tout partout », il y a des lieux qui se prêtent
mieux que d’autres à certaines activités : du silence pour se concentrer,
de la vie pour « s’aérer les neurones », la capacité de bouger, la
vue qui incite à la réflexion ou la distraction, etc.
La
technologie et la numérisation sont les supports de cette capacité de pouvoir
faire ce qu’on veut où l’on veut. En revanche, je reste un fervent partisan du
papier et des tableaux blancs. Bien sûr, il est difficile de dissocier cette
remarque de mon âge ou mon éducation, mais le tableau blanc, ou les feuilles (multiples)
de papier, permettent à la fois un affichage concurrent d’une grande masse d’information
(ce que Nicolas
Lochet appelle un « radiateur d’information » : le support « émet »
l’information, que vous le lui demandiez ou non ) et une capacité d’édition
collaborative multi-échelle inégalée (la résolution d’un feutre au tableau permet
de faire des annotations multiples, à des niveaux de détail différents, qui
restent visibles de tous). Il y a les lieux sans tableaux, les lieux avec un
tableau et les lieux avec des multiples tableaux (sur les murs ou à la place
des murs) … et on ne travaille pas de la même façon, avec la même efficacité. Je
parle souvent de stigmergie
dans ce blog,
la capacité d’utiliser les lieux pour communiquer, qu’il s’agisse des tableaux
blancs, des murs pour le management visuels ou des différentes formes d’affichage
sur les lieux de passage. C’est une des nombreuses composantes qui font des
bureaux des outils collaboratifs indispensables. Comme le disent Eric Schmidt
et Jonathan Rosenberg dans « How
Google works », les projets
ambitieux du monde complexe nécessite des lieux où les gens « work, eat
and live together » : « Buildings should promote
interactions between employees … This sort of
serendipitous encounter will never happen when you are working at home ».
L’utilisation
des lieux peut se faire d’une façon plus personnelle comme un support aux bonnes
habitudes, aux pratiques que nous avons mentionnées. Associer un type d’activité (lire, préparer
ses réunions, répondre à ses mails, coder, annoter un document, etc.) à un lieu
(une pièce de sa maison, un endroit sur son lieu de travail) est une façon de
créer un ancrage. L’évolution nous a rendu très susceptibles à ce type d’ancrage,
c’est donc un excellent outil pour développer des pratiques. Cela fonctionne
dans les deux sens : le lieu peut devenir l’endroit où une bonne pratique
se développe, mais également un rempart contre des mauvaises habitudes. J’ai
évoqué – brièvement, c’est un autre sujet – l’importance de l’information overload.
Utiliser les lieux peut signifier créer des « sanctuaires », des endroits
où certains flux de sollicitation ne sont pas admis. Pour prendre la bonne habitude
d’utiliser les livres comme principal vecteur d’apprentissage, les lieux sont
très utiles (une fois l’habitude prise, elle devient facilement nomade). Le
temps et l’espace sont également importants, il faut les associer pour
construire ses habitudes. Faire une chose dans un lieu, c’est une façon d’éviter
de céder à l’urgence, d’attendre son « rendez-vous avec soi-même »,
au bon moment et au bon endroit, pour faire quelque chose mieux, et plus tard.
6. Bien gérer son énergie
L’importance
de la gestion de l’énergie est devenue un sujet de grande attention depuis une
quinzaine d’année. Si vous ne connaissez pas ce domaine, je vous recommande l’article
de Harvard Business Review, de Tony Schwartz et Catherine McCarthy :
« Manage
Your Energy, Not Your Time ». Le point fondamental est que les habitudes
et rituels permettent de mieux gérer notre énergie : « energy
can be systematically expanded and regularly renewed by establishing specific rituals
– behaviors that are intentionally practiced and precisely scheduled, with the
goal of making them unconscious and automatic as quickly as possible ». Les idées clés ne devraient pas vous surprendre
: il s’agit de bien gérer son sommeil, de faire de l’exercice, de savoir
prendre des pauses et de nourrir sa motivation. Il est important de savoir s’observer,
d’apprendre les activités qui consomment de l’énergie et celles qui permettent
de se « resourcer », pour construire, comme
les athlètes, un programme de développement fractionné, par intervalles. L’article de HBR parle de « ultradian
sprints » qui sont des périodes de 90 à 120 minutes, séparées par de
vraies pauses. Pour reprendre une idée clé du livre citée en
introduction, l’énergie se perd (n’est pas utilisée avec l’efficacité
maximale) lorsqu’on en utilise trop ou trop peu. Il faut penser sous forme d’alternance
de sprints et de récupération, et pas une utilisation continue (ce qui n’est
pas forcément intuitif). On retrouve dans les
recommandations pour bien gérer son énergie des pratiques que nous avons déjà
évoquées : éviter le multi-tasking, prendre des décisions rapide pour
alléger la charge mentale, se fixer des zones et des limites.
L’outil
fondamental de la gestion de l’énergie est l’auto-observation et la chrono-analyse.
Je vous recommande ici la lecture du livre de Daniel Pink : « When
– The scientific secrets of perfect timing ». Il
faut savoir reconnaitre ses variations d’énergie et utilise les bons moments de
la journée : « First, our cognitive abilities do not remain static
over the course of a day. During the sixteen or so hours
we’re awake, they change—often in a regular, foreseeable manner. We are
smarter, faster, dimmer, slower, more creative, and less creative in some parts
of the day than others ». J’utilise l’application Knomee pour “tracker” mon énergie et construire
mes histogrammes, ce qui m’a permis de redécouvrir ce qu’explique Daniel Pink :
nous avons des cycles semblables. On retrouve la même conviction
dans l’article de Sebastien Martin « How
to start managing your energy levels instead of your time”. Je pratique le
conseil qu’il donne : « One important thing to do in high-energy times is to
plan tasks for low energy. That is why I put “writing to-do lists” in the
high-energy time: planning is much easier when you have an overview ».
Je
suis de plus en plus persuadé que la gestion de l’énergie est le levier le plus
central de l’efficacité personnelle. On retrouve d’ailleurs l’importance d’un
des cycles fondamentaux de la biologie, celui de l’apprentissage, qui se résume
de façon un peu caricaturale par : l’action réussie procure un plaisir qui
engendre le désir qui conduit au plan qui entraine de nouveau l’action. Dans
une boucle d’apprentissage, le plaisir lié au feedback et au sentiment d’impact,
tout comme le désir qui nous relie au sens et alimente la motivation,
sont essentiels. Pour développer son énergie, il faut cultiver sa motivation. Ce
qui conditionne le succès, « c’est
d’avoir envie ». On touche ici à une dimension personnelle, et je ne
connais pas de pratiques ou de conseils qui s’appliqueraient à tous. C’est à chacun
de savoir ce qui nous motive, ce qui nous donne le sentiment de progresser, ce
qui nous rassure sur l’impact de nos activité (à l’exact opposé des fameux « bullshit jobs »
sans impact). En revanche, ce que tous les articles et livres qui traitent de
la gestion de l’énergie soulignent, c’est qu’il nous appartient de nous
connaitre et d’inclure dans nos agendas les quantités nécessaires des activités
qui nous ressourcent, soit simplement par le plaisir qu’elles procurent, soit
parce qu’elles contribuent au sens que nous souhaitons donner à nos actions.
7. Conclusion
Ce billet se veut être un
partage d’expérience, même si chacun bénéficie différemment des pratiques et
des habitudes que je viens d’évoquer. D’un côté, les pratiques et les raisons
scientifiques qui les soutiennent sont assez universelles, elles sont d’ailleurs
en général connues depuis longtemps. D’un autre côté, l’impact sur l’efficacité
personnelle de chacun est variable et surtout, l’effort nécessaire à mettre en
place ces habitudes est très différent d’une personne à l’autre. Puisque les
efforts varient selon l’invididu et les circonstances – exactement comme le
télétravail –, le rapport coût/bénéfice reste à l’appréciation de chacun. De
plus , les pratiques que j’ai évoquées ici ne sont pas forcément intuitives. Il
ne faudrait pas d’ailleurs penser que je les adoptées facilement, suite à une lecture
éclairante. Tout au contraire, sur la plupart de ces points, mes habitudes
personnelles de départ étaient à l’opposé de ce que j’écris aujourd’hui. Il
convient donc de prendre tout cela avec un grain de sel, comme une invitation à
la réflexion. Je termine en soulignant
que j’ai traité ici de l’efficacité personnelle, par opposition à l’efficacité
collective, qui est le sujet de mon précédent livre « Processus et Entreprise
2.0 ». Les deux thèmes sont en fait fortement liés, à la fois sous forme
de synergie – chacun alimente l’autre – et sous forme de contraintes
systémiques. Certaines des pratiques que j’ai exposées ici sont indépendantes,
chacun peut les appliquer ou non, sans
se préoccuper du système global. A l’inverse, certaines pratiques comme la
bonne façon d’utiliser ses canaux de communication, ou de gérer ses réunions sont
complètement couplées aux pratiques collectives de son organisation.
Merci Yves pour ces conseils avisés. C'est pertinent pour chacun d'entre nous, c'est indispensable pour la vie des équipes et des projets. J'ai coutume de dire que le temps est la seule matière première rare. L'optimiser est un impératif existentiel. On n peut réussir qu'en gérant de façon lucide cette matière première ce qui implique, comme pour toute allocation de ressources rares, des outils de mesure, une analyse du rapport temps/utilité, et surtout une capacité à se corriger constamment, en boucles de rétroaction courtes, en "sacrifiant" des tâches... Tous les clients où j'interviens comme consultant me disent " Ce que vous proposez est très bien (sic), mais nous n'avons pas le temps" ... Je réponde inlassablement par cette citation d'Heinrich Böll dans "Le journal irlandais" : "Quand Dieu créa le temps, il en créa suffisamment." Et je leur demande d'ouvrir leurs agendas en leur rappelant le sens du mot : ce qui doit être fait. De cette exercice riche, il ressort que l'emploi du temps est encombré de tâches vides, routinières, statutaires, qui ne doivent pas être faites ! Il est facile de trouver sans effort majeur (réduire une réunion de 2 h à une heure par exemple) les 4 à 5 heures hebdomadaires indispensables à la réflexion... Conduire le changement c'est propager les bonnes pratiques que tu cites en échappant à cette malédiction du manager français qui est l'illusion de l'intérêt opérationnel des trop longues journées de travail.
RépondreSupprimerBonjour Yves !
RépondreSupprimerSur l'adoption des habitudes, j'aime bien pour ma part la notion de "rituel" - le mot est d'ailleurs cité une fois dans l'article.
Ancrer une habitude se fait à mes yeux plus simplement, dès qu'on parvient à la : "ritualiser".
Derrière la notion du rituel, il y a :
- le lieu (cf le paragraphe sur le sujet des lieux, qui me fait particulièrement penser à des rituels),
- la répétition temporelle (en lien avec l'énergie ? si on essaye de prendre une habitude sans le faire toujours au même moment, voire au moment adéquat versus énergie, cela pourrait être ainsi voué à l'échec),
- la symbolique associée, souvent marquée par un objet (tu parles aussi dans l'article du côté visuel : papier, kanban... qui aide dans les habitudes)
- la pression des pairs : un rituel étant partagé avec d'autres - la difficulté d'application personnelle d'une habitude, abordée en conclusion, pourrait aussi être corrélée à ce sujet.
L'article me fait donc penser à la ritualisation en vue d'une meilleure efficience - l'efficience prenant alors la définition de l'efficacité obtenue non plus en fonction du temps passé, mais de l'énergie consommée.
Merci pour ce panorama !
RépondreSupprimerJ'y ajouterais bien un outil d'efficacité personnelle que j'utilise depuis 3 ans pour ma vie personnelle : un bullet journal.
En début d'année je me note mes grandes envies, Ce qui sera VRAIMENT important pour ne pas me disperser.
En début de chaque mois, je prépare 2 pages :
> Un agenda pour y noter ce qui est déjà planifié sur le mois à venir (et une mini liste avec les dates clés des 3 mois suivants)
> Ma to-do liste du mois organisée par grands thèmes (Famille, Amis, Administratif, Santé, Projets persos) sur ce que je me m'engage à (bien) faire
Puis, au fil de l'eau pendant le mois, j'y reviens quand j'ai besoin de "prendre rv avec moi-même", structurer mes pensées, déposer un souvenir de quelque chose d'important.
NB : J'avais démarré ça plutôt comme un journal de bord pendant un voyage et ai un peu tâtonné entre suivi hebdo et suivi journalier pour finalement trouver un bon compromis avec un découpage par mois complémentaire de mes outils de gestion du quotidien - sur smartphone cette fois :)