J’ai eu le plaisir d’intervenir la semaine dernière lors de
l’inauguration de l’IRT
SystemX. Mon keynote portait sur les défis de l’ingénierie des systèmes de
systèmes, sa vidéo est diponible ici.
Parler d’un tel sujet en vingt minutes a été l’occasion choisir les principales
idées développées dans ce blog sur les
systèmes complexes. Je me suis abondamment servi des contributions de
Nassim Taleb – par exemple dans « The
Black Swan » - et de son livre « Antifragile :
Things that Gain from Disorder » qui va être le sujet de ce billet.
Nassim Taleb est un de mes auteurs préférés, et ce livre m’a
enchanté. Il s’agit d’un véritable « manuel de vie », un livre
profond à méditer tranquillement, devant sa cheminée ou son jardin. Je vais ici
vous livrer une synthèse des idées qui sont les plus applicables à mon domaine
personnel d’intérêt et de recherche. Pour éviter une liste « à la Prévert »
qui nuirait au plaisir de la lecture, j’ai regroupé mes notes en cinq
paragraphes, autour de cinq concepts :
- Un système est « antifragile » si son exposition aux aléas de son environnement le renforce au lieu de le détruire ou de l’user. On reconnait ici tout de suite la propriété des systèmes vivants/organiques par opposition aux systèmes matériels/inertes. On est bien à l’opposé d’un système fragile qui casse ou se détériore face à un choc. Un des corolaires fondamentaux est que l’homéostasie (équilibre) d’un tel système se définit dans le mouvement et le changement perpétuel : « For something organic, the only stable equilibrium (sans mouvement) is death » (et pas vraiment pour longtemps :)). Les livres précédents de Taleb doivent nous convaincre d’accepter la variabilité et la nature aléatoire de notre environnement ; ce livre nous donnes des clés pour construire des systèmes – au sens large, incluant notre propre vie – qui bénéficie de ces aléas et de ces chocs (dans une certaine mesure). Le concept d’ « antifragile » ne s’oppose pas à la fragilité : « Some parts on the inside of a system may be required to be fragile in order to make the system antifragile as a result ». On est très proche de l’éloge de la fragilité développé par Xavier Le Pichon.
- Il ne faut pas essayer de contrôler / maitriser les systèmes complexes par une action volontaire « top-down » (« Do not top-down tinker with complex systems »). Dans la lignée de Kevin Kelly, Taleb nous montre les désastres de l’absence d’humilité lorsqu’on souhaite piloter de façon hiérarchique, en contrôle-commande, des grands systèmes. L’exemple des grandes famines en Chine (30 millions de morts entre 1959 et 1961) est saisissant. Le centralisme de l’état a échoué là ou – probablement – un contrôle distribué et organique aurait été beaucoup plus efficace – c’est ce que l’analyse des historiens a mis à jour. A la suite d’Edward Deming (« cherish your errors »), Taleb déclare « Thank you, errors ». Les aléas, les imprévus et les efforts d’adaptation permettent d’éduquer et de renforcer le système. Une signature de la complexité est que « la vérité réside dans les nuances » et que la logique (en tant que méthode rigoureuse d’analyse et de pilotage) est vouée à l’échec face à la complexité du monde organique. Il faut à la fois de l’humilité devant les systèmes complexes et un respect de la nature, en tant que système qui a fait la preuve de sa résilience « what Mother Nature does is rigorous until proven otherwise ; what humans and science is flawed until proven otherwise ».
- Dans un monde complexe, il faut accueillir et accepter la nature aléatoire des événements et ne pas chercher à prévoir pour maîtriser. « Our record of understanding risks in complex systems (biology, economics, climate) has been pitiful, marred with retrospective distortions (we only understand the risk after the damage takes place, yet we keep making the mistake). » Cela n’empêche pas de se préparer, mais en se concentrant sur la réaction plutôt que sur l’illusion de la prévision (on retrouve ici le potentiel de situation cher à François Jullien). « The payoff, what happens to you (the benefit or harm from it), is always the most important thing, not the event itself ». Accepter la “non-prévisibilité” est une attitude face à l’existence : “If I could predict what my day would exactly look like, I would feel a little bit dead ». Cette tension “preparation versus prevision” s’exprime sous le concept d’option. L’option est le mécanisme unitaire de la construction d’un système antifragile, c’est la capacité à jouer sur l’asymétrie en utilisant notre rationalité pour se préserver de ce qui est mauvais et profiter de ce qui est bon. Le principe des options remonte à Thales de Milet. Un point clé qui revient tout au long du livre est qu’il n’est pas besoin de comprendre le sous-jascent pour exercer une option, ce qui explique l’adéquation avec la complexité : « When you are fragile you need to know a lot more than when you are antifragile. Conversely, when you think you know more than you do, you are fragile (to error) ». Cela nous conduit à cette très belle citation de Paul Valery: “Que de choses il faut ignorer pour agir ».
- L’attitude la plus efficace face à la complexité est la procratination, « festina lente » : se hâter lentement. «Procrastination turned out to be a way to let events take their courses ». Je retrouve ici des principes lean consistant à retarder la prise de décision « au dernier moment, en mode pull, plutôt que de la prendre trop tôt, en mode push ». L’autre principe lean est le célèbre « less is more », que l’on retrouve plusieurs fois dans ce livre. Par exemple avec la constatation que les règles et les méthodes les plus simples fonctionnent souvent mieux « simpler methods for forecasting and inference can work much, much better than complicated ones ». « A complex system, contrary to what people believe, does not require complicated systems and regulations and intricate policies. The simpler the better”. Je retrouve également les principes du « calm computing » dans la phrase « technology can cancel the effect of bad technologies, by self-subtraction ». La procrastination dont il s’agit ici est celle de la décision, pas celle de l’action. Au contraire, le livre en entièrement tourné vers l’action, sous une forme itérative de petits pas que ne renierait pas Eric Ries dans « The Lean Startup ». Taleb nous raconte l’histoire de la mise au point des avions à réacteur (« jet engine », au chapitre 15) : « Scranton showed that we have been building and using jet engines in a completely trial-and-error experimental manner, without anyone truly understanding the theory ». L’innovation est un processus antifragile, qui se produit lorsque l’action rencontre l’imprévu et l’aléatoire. « There is something sneaky in the process of discovery and implementation. We are managed by small (or large) accidental changes, more accidental than we admit. We talk big but hardly have any imagination, except for a few visionaries who seem to recognize the optionality of things. We need some randomness to help us”.
- « The Soviet-Harvard illusion »: méfiez vous des épiphénomènes dans les systèmes complexes. Attention à la « narrative fallacy » : à cette volonté de tout vouloir comprendre, en confondant souvent cause et corrélation. Un des axiomes des systèmes complexes est que les chaines causales sont difficiles à démêler et à interpréter. Cette illusion – je vous laisse lire le chapitre « lecturing birds on how to fly » pour savourer le comportement « soviétique/Harvard » - consiste à se tromper dans l’ordre des chaines de causalités et confondre la cause et l’effet. Ce comportement favorise le modèle, puis l’analyse sur la réalité, et conduit à inférer une supériorité de la science théorique sur la science appliquée, de la technique sur la pratique. Taleb se situe résolument dans l’approche inverse – que j’associe naturellement au lean façon Toyota – qui place la pratique, l’action et la réalité concrète à la source. Ceci conduit Taleb à postuler : « Wisdom in decision making is vastly more important – not just practically, but philosophically – than knowledge”. “I ‘ve had a hard time conveying to intellectual the intellectual superiority of practice”. Cette méfiance vis-à-vis des corrélations sans signification se retrouve à la fin du livre avec une courbe passionnante pour les amateurs de “Big Data”. Taleb illustre une loi statistique sur les corrélations qui apparaissent naturellement lorsqu’on augmente le nombre de variables. « If I have a set of 200 random variables, completely unrelated to each other, then it would be near impossible not to find a high correlation of sorts, say 30 percent, but that is entirely spurious”.
En refermant le livre, l’idée qui me vient à l’esprit est
que Nassim Taleb lui-même est antifragile : plus il rencontre d’opposition,
de personnes et comportements qui l’énervent, plus il devient intéressant. Ce
livre contient un bon nombre de portraits au vitriol et de critiques acerbes de
certaines professions. Je suis prêt à parier que certains seront agacés par de
tels propos, et par une forme de complexe de supériorité qui est à peine voilé
(d’où des phrases comme « What is
nonmesureable and nonpredicatble will remain nonmeasurable and nonpredictable,
no matter how many PhDs with Russian and Indian names you put on the job – and
no matter how much hate mail I get »). Mais les autres éprouveront un
véritable plaisir intellectuel, celui de remettre de l’ordre dans leurs
observations et de mieux comprendre le monde qui nous entoure. Le comportement
antifragile existe autour de nous. Par exemple, le mécanisme des stock-options,
bien plus que de récompenser la performance de l’entreprise (qui est plus ou
moins reflétée, avec un décalage
temporel, par le marché), est un système antifragile qui récompense la fidélité :
sur une longue période, le facteur multiplicateur des options récompense en
premier lieu la variabilité. Il est
préférable de traverser des périodes d’oscillations qu’une croissance lente et
régulière.
Pour conclure, il est facile de voir ce que j’ai pu tirer de
ce livre pour mon intervention à l’IRT sur les systèmes de systèmes :
- Il faut embrasser l’irrégularité et les aléas de nos environnements, penser nos systèmes sous forme de processus en perpétuel mouvement.
- Il faut accepter l’asymétrie entre la prévision/analyse qui est soit très difficile, soit impossible, et l’action contingente. C’est la base de l’approche Chinoise du potentiel de situation.
- Il faut conserver une bonne dose d’humilité en matière de systèmes complexes, qu’il s’agisse de comprendre ceux qui existent ou d’en construire de nouveaux.
C'est décidé, je m'y mets!
RépondreSupprimerMerci Bien! Tres bon resumé.
RépondreSupprimerNassim
Ça me fait penser à l'une de mes citations fétiches : "Linux is evolution, not intelligent design" (Linus Torvalds). Il est très anti-saint-simonnien ce monsieur, j'aime bien ! :) Mais le problème n'est-il pas que l'on se coupe alors de toute aspiration à une vision téléologique ? C'est que l'industrie est très compatible avec les plans (St-Simon inside) : on sait où l'on va — heu, où l'on veut aller, en fait —, et comment. Finalement, entre KISS et "let it be", j'ai l'impression que c'est quasi-bouddhiste comme esprit (peut-être confucéen, à voir dans le détail). J'y pressens une certaine fraicheur de sagesse (mais en même temps, atteint-on vraiment le fond de l'affaire ? Derrière le culte très actuel de l'innovation se cachent surtout les Lumières et le progrès technico-social !). Au moins, l'axe d'étude choisi est original ; et le "non mesurable" vs la science et la technique (et l'économie), c'est un large sujet en soi en Occident moderne (alors, Pierre Legendre ? ;) ).
RépondreSupprimerMerci Gilles, c'est pile-poil LA bonne question :) Jettes un oeil à ma conférence IRT, je commence par l'importance de la téléonomie dans les systèmes complexes, à la fois comme outil d'analyse et de construction. Comment réconcilier Taleb/Jullien/Agilité avec l'utilité de la vision/plan/objectif avérée dans tout projet à grande échelle dans l'industrie ? Avec cette notion profonde de téléologie déclarative et distribuée, illustrée par SlapOS dans mon talk à l'IRT. Dans un système complexe, cela signifie que la finalité est distribuée/partagée dans les sous-composants et que le contrôle est autonome et distribué. En terme de programme industriel, il reste de la place pour des plans, des visions et des objectifs, mais ils doivent rester dans le domaine des finalités et déléguer tous les aspects opérationnels aux acteurs autonomes. Je suis en plein dans ce sujet pour la construction de la "Lean Software Factory", pour le passage à l'échelle du Scrum et de l'agile. Je ne vais pas prétendre avoir la solution, mais c'est bien un mélange de KISS (à la Free :)), de "let it be" et de vision partagée.
RépondreSupprimerBeaucoup de points d'accord avec le contenu de ce billet, points qu'on retrouve pour la plupart dans l'organisation sociocratique qu'on peut donc qualifier d'antifragile (c'est tout à fait ce que je constate dans la pratique de cet outil d'organisation très souple et très adaptatif).
RépondreSupprimerUn point de divergence avec votre analyse sur les stock-options, parce que je la trouve incomplète. Les stock-options ont aussi pour effet de solidariser le capital avec le management et ainsi de créer un hiatus avec le salariat. Paul Jorion propose plutôt d'instaurer une participation universelle et de supprimer les stock-options réservés à une "élite":
http://www.pauljorion.com/blog/?p=43359
Trois remarques sur mon commentaire de fin de billet sur les stocks-option
RépondreSupprimer(1) effectivement, ce n'est pas une analyse, c'est une remarque factuelle et mathématique, qui correspond au départ à une observation ... la prime à la variance est supérieure (dans les faits sur les 15 ans) à la prime à la croissance, à cause de l'effet cliquet ...
(2) que je note parce que c'est la première fois que le la vois clairement exprimée dans in livre. Le débat sur les SO est idéologique en France, ici c'est une critique systémique.
(3) Je ne vais pas pas me risquer à donner mon analyse, mais si je le faisais, elle serait diamétralement opposé à celle de Paul Jorion :)
Les positionnements vis à vis de l'organisation et du management sont principalement de deux types: ceux qui croient au volontarisme, aux chefs providentiels, aux leaders charismatiques, aux capitaines d'industrie, aux guides, aux hiérarchies descendantes (ce qui correspond aussi à un positionnement politique à droite, méfiante vis à vis des utopies et des bons sentiments qui mènent en enfer ), et ceux qui préfèrent le collectif, la solidarité, les décisions partagées et qui se méfient un peu de ces chefs qui finissent si souvent par tirer la couverture à eux dès lors qu'on leur laisse le pouvoir. Votre positionnement est très clairement du côté des guides, mais de ceux qui savent déléguer et organiser la confiance et la subsidiarité, la synergie des efforts et des intelligences, c'est en tout cas ce que je peux lire ici, avec le lean management ou vos propres écrits.
SupprimerLa sociocratie vous pose un petit problème, au point que vous avez cru y déceler la fin du management, alors que c'est au contraire un des modèles d'organisation qui favorise le management en le débarrassant des innombrables arbitrages auxquels la plupart des directions ordinaires sont confrontées. La sociocratie est aussi un hybride, parce qu'elle est profondément hiérarchique et qu'en même temps elle est profondément participative et subsidiariste, jusqu'au niveau de la gestion du capital. Et c'est sans doute ici que le clivage s'opère avec votre position. A moins que ce ne soit le choix des leaders par vote sans candidat?
Pour en revenir aux stocks-options, votre position s'inscrit naturellement dans ce cadre élitiste, alors que celle de Jorion est participative.
Je soutiens pour ma part que votre position très ouverte à la participation du plus grand nombre, en apparence très moderne et très sophistiquée, demeure cosmétique dans la mesure ou le capital et ses revenus ne procèdent pas d'un mode de décision participatif.
J'écris ce blog pour exposer mes idées aux critiques, pour apprendre et progresser. J'entends et j'écoute avec intérêt ce que vous dites sur la sociocratie ... même si je ne me reconnais pas forcément dans votre catégorisation binaire :)
SupprimerJ'espère en particulier que ma vision participative est plus sincère que participative !
Feedback,
Supprimerj'ai peut-être été un peu radical, mais ce n'est pas inutile pour s'éclaircir les idées, quitte à affiner par la suite. Etant donné le nombre important de points que nous partageons, je vous cherche un peu sur les franges, j'apprends aussi beaucoup à lire vos articles.
Une proposition de formulation simple (simpliste?) pour se faire une idée de l'organisation dans laquelle on se trouve: "Est-ce que le chef roule pour le groupe ou est-ce que le groupe roule pour le chef? Telle est la question." Posez là sous une forme ou sous une autre dans les bureaux et dans les ateliers, vous saurez la perception qu'en ont les membres du groupe. Les salaires et le capital entrent en ligne de compte dans la réponse.
SupprimerLe profil du chef à la remorque du groupe et qui s'accapare ses résultats est assez fréquent dans les organisations classiques non vaccinées contre l'arrivisme ordinaire.
100% d'accord ! Je suis même arrivé à la conclusion que c'est le point clé de la transformation lean dans une entreprise française : faire comprendre au manager qu'il est au service de son équipe, et pas l'inverse. Une citation de Scott Adams (Dilbert) rapporté par Cecil Dijoux (cf. mon billet sur son guide du changement): "Le premier travail d'un manager n'est pas d'apporter la motivation mais de supprimer les obstacles".
SupprimerJ'ai enfin eu le temps de regarder la vidéo ! :) Je ne sais pas si je suis totalement épaté de voir une année de recherches que j'ai mené en parallèle se voir résumées en 15 minutes, ou si je suis déprimé pour la même raison. Étant d'humeur positive, je vais opter pour le brillant (et puis je n'ai pas toutes ces doctes références — mais j'ai des cartes de visite à la place) (j'aurais quelques personnes à l'agenda aussi chargé que le tien à te faire rencontrer... ;) ).
RépondreSupprimerComme j'ai un peu plus de temps ce matin, un peu de critique (constructive !) de la fameuse vidéo. :)
RépondreSupprimerCela fait une semaine que je cherche désespérément un langage de programmation un peu évolué qui soit efficace ET qui gère le parallélisme correctement. Et bien il n'y a rien (ma plus grosse déception : le Go, qui a priori avait tout pour me plaire, mais qui a été pensé de travers). Et gérer du big data avec quelque chose d'aussi pauvre (du point de vue des paradigmes) que le C, je n'y crois pas une seconde (je pense même que depuis tes travaux de jeunesse, on n'a pas avancé d'un pouce). Donc le big data (mais pas l'open data), c'est comme la domotique d'il y a 30 ans : on est sûr que ça va être énorme, un jour, mais pour le moment, non seulement on ne sait pas vraiment très précisément ce que l'on en fera, mais on n'a même pas le bon outillage (parce que si l'on parle à présent de domotique, d'objets connectés/IoT, smart grids, etc., c'est qu'on a depuis peu des processeurs ARM M3, du zigbee/6lowPan/Ocean qui consomme rien du tout, des travaux sur l'energy harvesting qui se greffent, etc.). Mais comme tu évoques la plateforme-maison, qui effectivement doit être future-proof (parce qu'après on est embarqué jusqu'à la fin des temps, la sédimentation de l'histoire, oui...), j'ai été fort estomaqué d'apprendre comment marche le Zigbee, qui est très, très, très loin du "j'achète un objet, je le pose à la maison, et ça marche" (KISS). Et comme je disais au responsable de Digi, si on ne prend pas en compte dès à présent le fait que dès que cela aura un succès fou, comme le WiFi, qu'il y aura des Id partout (même si la portée est limitée, facilement cinq voisins potentiels en appartement) et une chance sur deux de paramétrer (manuellement !! Horreur !) sa lampe sur le réseau du voisin (mauvaises surprises à venir...), ça ne va pas le faire du tout. D'ailleurs, j'ai parlé chez ST de coupler leur système de RFID pour paramétrer le Zigbee (j'approche ma lampe de la borne, et c'est bon). Bref, penser au système du système, parce que sinon, c'est la catastrophe assurée. Je pense que nos braves ingénieurs sont encore trop techno-centric (et top-down) pour se rendre compte du problème (ce qui est quelque peu inquiétant...).
Du coup, la pyramide de Maslow, pourquoi pas, mais on sait bien que c'est une vision schématique hyper-simpliste très contestable (mais là où tu ne vas vraiment pas te faire d'amis chez les sociologues, c'est par l'utilisation de "sociétal" ;) ). On peut toujours penser en terme de besoins marketing, basiques, cela revient grosso modo au même. Mais tu fais au passage une remarque fort pertinente : outre la techno n'était pas prête, il y a une méfiance vis-à-vis de cette intrusion technologique dans des couches trop proches des niveaux de vie basique (justement !), la classique peur de la dépendance à la machine. Si l'on reprend le (si récent !) téléphone portable, on est en plein ce genre de problématiques ; et pourtant, malgré les excités des ondes (il y a un vrai travail psycho-social à mener dessus...), tout un chacun se ballade à présent avec son transpondeur (mes derniers amis ingénieurs résistants ont cependant fini par tous s'y mettre cette année). Comme quoi, tout s'achète par le confort (vraiment tout, même la liberté). Et quand je dis "tout", n'est-ce pas tout simplement "la confiance". Dans notre cas : la confiance en la technologie intrusive (au contraire de la défiance naturelle). Je suggère donc de troquer la vieille pyramide (qui ne marche d'ailleurs pas avec le très grand succès actuel de l'appareillage le plus cher et inutile de tous les temps : la tablette), contre le concept legendrien de "fiduciaire" (Argumenta Dogmentica).
(Obligé de couper, j'ai fait trop long...)
(...Suite et fin)
RépondreSupprimerD'ailleurs, repensant à ce pauvre Mandelbrot (fractales... et finance !) qui a dû s'insurger sur la mécompréhension (arrangeante) de ses travaux (ou encore : http://www.amazon.fr/Finance-paradigme-Comprendre-l%C3%A9conomie-Mandelbrot/dp/2212546572 — que je n'ai pas lu, mais on y revoit Taleb), bref rappelant que le monde ne se réduit pas à une belle gaussienne, comme tu le soulignes si bien, il faut bien voir là que la simplification aux modèles mathématiques (tout de même complexes, certes, il faut bien donner du boulot aux X) se trouve dans le grand mouvement de techno-science-économie moderne (depuis les Lumières, pour le basculement franc de la théorie, et St-Simon & héritiers pour la pratique, industrielle d'abord, économique à partir de 1950 et Samuelson, si je ne dis pas trop de bêtises, en tout cas néoclassique). Nous parlions donc de "révolution" gödelienne de tout ce fatras de pensée qui--a-réponse-à-tout, une fois. Et bien la notion de confiance, justement, depuis le langage (premier dogme) et l'apprentissage du Moi (se reconnaître dans un miroir et savoir que celui-ci est soi), voilà qui est fort intéressant à explorer comme "atome" de construction sociale (notre système humain préféré).
En tout cas, c'est ce que je vais continuer d'explorer de mon côté, histoire d'avoir des bases de pensée solides avant de construire dessus des systèmes chateaux de cartes plus ou moins solides qu'on agrège avant de se rendre compte que ça ne tient pas forcément debout... Puissance et décadence des approximations.
(Ça y est, je me suis encore perdu)
Sur le sujet de la fragilité des organisations, il est parfois productif de se décaler. C'est ce que je vous propose avec le livre d'Azouz Begag, "Le gone du Chaâba" http://fr.wikipedia.org/wiki/Le_Gone_du_Cha%C3%A2ba_%28roman%29
RépondreSupprimerOutre que ce roman autobiographique est remarquablement écrit, il porte un témoignage riche sur les architectures organisationnelles, et pour être plus précis sur leur fragilité relative. Le Chaâba est une structure communautaire qui vient de loin, qui a pu être rodée par la pratique et le temps. C'est une structure dans laquelle le chef possède un fort pouvoir de décision. A priori, il ne s'agit pas d'une structure fragile, puisqu'elle a largement fait ses preuves. Pourtant, hors de son contexte culturel, à Vaux en Velin où le père d'Azouz le dirige, il va se révéler extrêmement fragile, non étayé par les institutions qui ont tout fait pour laminer toute communauté pas plus que par la culture. Un jour que les enfants du Chaâba avaient enfreint les règles et étaient allés dans un lieu interdit avec leurs vélos, le chef avait fait regrouper les vélos des enfants au centre du Chaâba et les avait détruits à coups de masses, appliquant simplement son pouvoir. Peu de temps après, une femme tient tête au chef sur une décision sans importance. Il n'en faut pas plus pour que les memebres du Chaâba le quitte dès qu'ils en ont les moyens matériels, sans pourtant donner de véritable explication. Mais il semble clair que cette structure autoritaire ne peut tenir sans son milieu. Il me semble que les structures autoritaires, hiérarchisées, sont à la fois puissantes et fragiles, un peu comme du verre, il suffit qu'une petite fêlure se produise pour que l'édifice se casse la figure. Les structures qui prennent le temps d'établir les légitimités de leurs décisions, qui savent faire participer les membres à leur élaboration sont en apparence plus faibles, mais en définitive beaucoup plus stables et moins fragiles, plus résilientes ou plastiques.
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