Ce billet de fin d’année
sera quelque peu déstructuré car je vais faire le compte-rendu de deux livres,
dont le premier que je n’apprécie que modérément. Pourquoi en faire alors le
compte-rendu ? Parce que les deux sont des livres importants, en plein
dans le sujet du cœur de ce blog, et dont le sérieux et la rigueur font qu’ils
sont quelque peu « incontournables ». Le second, que j’aime beaucoup,
constitue la réponse aux objections du premier livre. Commençons par le premier
« Les Organisations – Etats des savoirs », sous la direction de
Jean-Michel Saussois. C’est un ouvrage collectif, avec une très belle liste de
signatures. Dans la tradition des billets de ce blog, voici un résumé incomplet
de quelques points qui m’ont intéressé :
- Le livre fait justement une grande part aux idées et à l’œuvre de James March. On y trouve un éloge du « slack », la marge de manœuvre nécessaire à l’ajustement et à la coopération (cf. Yves Morieux). « Ce qui permet le maintien d’un équilibre dans l’organisation, c’est l’existence d’une marge entre les ressources disponibles et les besoins nécessaires à la marche normale ». Dans une interview de James March, celui-ci revient sur le « garbage can decision model » (qui est souvent cité à tort par de gens qui surévaluent le coté péjoratif de « garbage can »). Deux citations éclairantes : « Quand une organisation met en relation des problèmes et des solutions, ce n’est pas pour des raisons fonctionnelles, c’est plus prosaïquement parce qu’ils se sont présentés au même moment ». « on constate que les individus dans les organisations for énormément de choses simultanément … En conséquence, les décisions prises dépendent beaucoup des flux d’arrivée des problèmes ». Il y dans cet interview des passages remarquables pour comprendre l’importance de la gestion du temps (cf. Mintzberg) et le fait de faire moins de choses à la fois, mais de les faire bien et surtout plus vite (cf. lean management). On retrouve ce sujet dans l’article de Jacques Rojot: « Les membres (de l’entreprise) varient dans la quantité de temps, d’attention et d’efforts qu’ils apportent aux activités possibles, et en particulier aux décisions ».
- Une autre idée intéressante de March, que je retrouve en ce moment dans «Antifragile » de Nassim Taleb, veut qu’apprendre lentement soit un excellent filtre contre le mouvement Brownien. Cela vaut pour l’individu (apprendre dans un livre plutôt que dans un article, dans un article plutôt que dans les nouvelles, pour favoriser la prise de recul et éviter les « vérités de l’instant ») comme pour les entreprises (March propose le paradoxe suivant « les entreprises qui s’adaptent lentement ont souvent de meilleurs résultats à long terme » - je reviendrai sur ce type de paradoxes en conclusion).
- La contribution que je préfère est la « théorie de la traduction » dans le chapitre de Philippe Bernoux. C’est une vision très juste de l’innovation, qui s’appuie sur le fait que les messages sont reçus, pas seulement en fonction de leurs qualités intrinsèques, mais des stratégies des récepteurs. On retrouve ici mon analyse des subtilités de la communication. « Le cœur de la théorie de la traduction est constitué par l’idée qu’un fait n’a pas d’intérêt intrinsèque, qu’il ne porte de force que dans la mesure où il est mis en chaîne ou en réseau avec un ensemble, des acteurs, seuls capables de lui donner vie ». Cette citation exprime bien mon intuition de l’innovation digitale.
- L’article de Jean-Michel Saussois « Coordonner, Coopérer, Adhérer. Les enjeux du management » porte précisément sur le cœur des thèmes de ce blog. Il commence par un rappel des idées fondatrices de Fayol (management = prévoir, planifier, organiser, commander, coordonner et contrôler), ce qui est fort pertinent mais me rappelle qu’il existe un excellent livre de Bruno Jarrosson « 100 ans de management » que je conseillerai fortement à la place de celui-ci. La décomposition que propose l’article est intéressante et l’importance placée sur l’adhésion est judicieuse, mais la conclusion « Finalement, le retour aux valeurs sures que sont les pères fondateurs du management demeure la seule attitude réaliste pour résister à cette tourmente des idées » ne me convainc pas. L’importance de la complexité croissante est abordée, mais les conclusions ne sont pas tirées et il y a plus dans le « Toyota Way » que l’application de quelques principes intemporels. Au lieu de citer sans arrêt mon propre livre sur le management « post-Taylor », je vous encourage à lire la description de l’entreprise « post –Taylor » de BetaCodex. Les douze principes sont sans surprises, mais ils démontrent que le savoir collectif a cristallisé autour d’une vision qui est très différente de celle de Jean-Michel Saussois « The 12 laws of the codex articulate a coherent new leadership model that is opposed to the command-and-control management model which thought leaders like Frederick Taylor, Henri Fayol, Alfred Sloan, or Henry Ford developed about 100 years ago. »
- L’article de Eugene Enriquez « Pouvoir et désir dans l’entreprise » est également au cœur du sujet. L’introduction est séduisante : « l’entreprise n’est pas cet endroit incolore et sans saveur dont nous parle les consultants d’organisations. Elle est pleine de bruits et de fureurs, et dans ce sens elle est à la fois espace de vie et espace de mort ». Malheureusement, on reste sur sa faim et la tonalité générale me semble trop négative. L’importance du désir de reconnaissance et du désir d’estime de soi est justement soulignée, avec un lien évident sur les thèses de Daniel Pink. Mais il manque beaucoup de structure, il vaut mieux relire « Reframing Organizations » de Bolman et Deal, en particulier les chapitres sur les rôles politique et symboliques du management. L’article d’Isabelle Berrebi-Hoffmann « Des mondes du travail sans hiérarchie ? » porte également sur le pouvoir : « Les regards actuels occultent trop souvent la réalité du pouvoir dans les nouvelles formes d’organisation ». Elle développe une idée classique mais intéressante : la règle comme rempart à l’arbitraire (relire François Dupuy, la bureaucratie a quelques mérites). Sous sa forme duale cela devient « Si les liens hiérarchiques s’en trouvent desserrés du fait de l’autonomie à la base des entreprises, le pouvoir hiérarchique en ressort renforcé ».
- Pour finir, j’ai bien sûr apprécié l’entretien avec Henri Mintzberg « Trop de changement, c’est l’anarchie » - la citation dont le titre est extrait est : « Il faut souligner que le changement sans arrêt, c’est l’anarchie. Il faut changer quand c’est nécessaire, mais pas en permanence ». On y retrouve son plaidoyer pour « l’adhocratie » : « La technologie, la connaissance, la créativité, le travail en équipe : tout cela pousse vers d’adhocratie ». Mintzberg structure les organisations en fonctions de modes de division du travail et des moyens de coordination (pour ceux à qui cela avait échappé, mes travaux de modélisation sont dans la ligne directe de Mintzberg). L’adhocratie correspond à des « structures fluides fondées sur la transversalité et l’organisation en équipe ». Pour continuer à illustrer mon propos avec une référence du BetaCodex, la présentation de Niels Pflaeging « Organize for Complexity » est une bonne représentation de l’adhocratie. Comme toujours, la vision systémique de Mintzberg est enrichissante : il distingue 3 cercles et 3 modes associés : diriger par l’information, par les personnes et par l’action. Une citation un peu longue : « Il y a des managers qui essaient de diriger l’action directement (par le management de projet par exemple). D’autres travaillent plutôt au niveau du facteur humain, en essayant d’encourager, de motiver les autres, pour que ces derniers prennent en charge l’action. D’autres, enfin, travaillent plus en intérieur, au niveau de l’information ( en lisant des budgets, des rapports), et en essayant d’amener sur cette base les gens à agir. Le management c’est faire » les trois en même temps, à l’intérieur de l’organisation mais aussi à l’extérieur ». Mintzberg fait aussi une référence très rapide au « Ba », trop rapide à mon gout car l’ancrage dans le lieu et le contexte est un pivot pour réussir la transformation post-Taylorienne. Si ce concept ne vous est pas familier, je vous recommande « Managing Flow » de Nonaka, Toyama et Hirata (il mériterait un compte-rendu de lecture). Le « Ba » est un terme difficile à traduire ou expliquer. Il s’agit à la fois du lieu (au sens du « gemBA » du lean managament) et du contexte dans une vision dynamique de l’action collective et de la connaissance (« we define ba as a shared context in motion »). Toute la beauté du « Toyota Way » est la rencontre d’une organisation post-Talylorienne (la proximité avec la vision Mintzberg/BetaCodex est claire) et d’un pragmatisme du lieu et du rituel qui favorise le concret par rapport à l’abstrait (le « Ba » est le pivot de l’apprentissage).
Il y a plusieurs choses
qui me gênent dans ce livre, principalement subjectives : je n’ai pas pris
plaisir à le lire (ce qui est le cas des autres livres), je trouve le ton
supérieur et négatif, mais je suis probablement « brain-washed » par
trop de littérature américaine :) Je vais prendre deux
exemples, je ne veux pas trop m’étendre car il s'agit, objectivement, d'un bon livre fort
sérieux et fort intéressant. Mon premier débat porte sur la discussion sur la
gestion scientifique (article p. 158). En tant que (ancien) chercheur
opérationnel, je suis naturellement passionné par les liens entre recherche
opérationnelle et management de l’entreprise. Les tensions entre l’approche mécaniste
(optimisation des processus, MRP,
ordonnancement) et l’approche systémique (optimisation stochastique, lean
management, réaction versus planification) forment un sujet passionnant. Il me
semble vital de comprendre l’apport du management scientifique de Frederick
Taylor, puis pourquoi il devient dépassé dans le monde de la complexité (tout
comme la mécanique de Newton perd sa précision lorsque la vitesse des objets se
rapproche de celle de la lumière). Ce qui est intéressant d’un point de vue
épistémologique c’est que l’on retrouve les mêmes débats dans le monde de la
production (relire « The Goal » ou
« The
Gold Mine ») et dans celui de la communauté académique de la
RO. Ce que j’ai appris il y a 30 ans
sur les bancs de l’université (comment optimiser la production au travers de
l’ordonnancement des machines critiques) n’est pas devenu faux, il faut
combiner la perspective analytique (souvent trop statique) avec une perspective
dynamique et stochastique. Le lean
management, vu du point de vue du management scientifique, nous force à revisiter
les résultats classiques de la théorie des files d’attentes et à considérer de
nouveaux problèmes d’optimisation, plus riches car plus complexes. J’attends
donc d’un tel article qu’il évite de tomber dans la critique d’une forme
d’organisation qui a produit les succès du 20e siècle (ce qui n’est
pas ici), mais qu’il éclaire également la question de l’apport des méthodes
scientifiques face aux défis du 21e siècle. Il n’y a rien de tout
cela dans ce livre, aucune référence aux processus, à Toyota, à Reinertsen,
à Nassim
Taleb, etc.
Mon second débat porte sur
la démolition de « In Search of
Excellence » de Peters et Waterman, qui est devenu un exercice de
style (auquel se livre d’ailleurs Kahneman
dans « Thinking fast, thinking slow »).
Rappelons la « méthode » proposée par Peters & Waterman :
- Sélectionner les entreprises « excellentes »,
- les examiner pour trouver des traits communs dans leurs cultures et modes de management,
- Proposer un ensemble de traits communs comme « principes d’excellence »
Il
est clair que ceci n’est pas une démarche scientifique et ne doit pas être jugé
comme tel. En tant que démarche scientifique, il y des problèmes à tous les
étages :
- Il n’y a rien d’évident à définir les critères de l’excellence, à partir d’indicateurs économique et financiers. Peters a reconnu avoir quelque peu trafiqué ses chiffres pour faire sa sélection …
- « Les performances passées ne sont pas indicatives des performances futures », comme on nous le répète au sujet des produits financiers. Même s’il est possible de capturer des traits explicatifs qui ont amené au succès, rien ne dit qu’ils s’appliqueront dans le futur.
- Il n’y a aucune certitude que les traits qui expliquent la performance, s’ils existent, s’exprime en termes de management et de culture opérationnelle.
- La corrélation n’est pas une causalité, en particulier dès que l’on est en présence d’un phénomène complexe (ce qui est le cas de la réussite d’une entreprise). On peut tout à fait penser que les comportements observés sont causés par la performance, au lien d’en être la cause. « Antifragile » de Nassim Taleb est une excellente lecture sur ce sujet, j’en ferai un compte-rendu bientôt.
C’est
bien ce que tout le monde (cf. l’article de Wikipedia ou l’article de
Jean-Michel Saussois dans « Les Organisations ») a reproché à Peters
& Waterman : les entreprises sélectionnées comme excellentes n’ont pas
eu un futur très glorieux, de façon générale. C’est ce que soulignent Kahneman
ou Taleb : la recherche de formules pour prédire le succès est une quête
vaine. Mais cela n’invalide en rien la démarche phénoménologique de Peters
& Waterman et il reste à chaque manager d’évaluer l’intérêt et la
pertinence de ce qui est observé. Et c’est là que cela devient
intéressant : il y a une convergence frappante, d’une part avec des démarches semblables telles que celle
de Jim Collins, et d’autre part avec des philosophies du travail telles que
celle de Toyota. Nous revenons aux propos de Mintzberg : « tout ne
s’évalue pas, le management est également une question de jugement ». Mon
jugement personnel est favorable
aux principes proposés dans « In Search of Excellence ». Le
succès du « lean management »
constitue un faisceau de preuves convergentes. Je vous recommande de lire la
fin de « Drive »,
où Daniel Pink explique quels consultants et ouvrages utilisent implicitement
ce que la science du comportement et de la motivation nous apprend : on y
trouve Jim Collins cité en exemple. Je vous recommande également de lire la
préface de l’édition de 2003 de « In Search of Excellence » : les
auteurs expliquent qu’ils n’ont pas écrit « Forever Excellent » et que 20 ans plus tard, les idées recueillies
en 1980 leur semblent toujours d’actualité … et les entreprises de l’échantillon ont très
nettement surperformé le Dow Jones et S&P 500 sur cette période de 20 ans. Trente ans plus tard, cela reste une question de jugement, mais il est clair que les 8
traits communs formulés en 1980 sont devenus de plus en plus communs dans
les discours des entreprises qui réussissent (les mesures d’occurrence dans le
discours, contrairement à la performance, sont faciles à évaluer).
Le livre de Gary Hamel, « The
Future of Management », est une synthèse des réflexions de l’auteur
sur le management, orientée autour de l’idée du besoin constant d’évolution et
d’innovation. Il s’agit d’une synthèse personnelle d’un des grands spécialistes
américains du management, un peu sur le même modèle que le livre de Kahneman. Gary Hamel explique bien qu’il
ne cherche pas à prédire le futur, mais qu’il souhaite proposer quelques clés
pour permettre aux prochaines générations de managers d’inventer ce futur du
management. La « boite à outils » qu’il propose est sans surprise,
dans la continuité des idées du « Toyota Way », de « The Lean
Startup », de Jim Collins ou des principes de « In Search of
Excellence ». Il s’inscrit donc dans la lignée des ouvrages qui propose
une nouvelles vision « post-Taylor » selon un plan classique :
(a) reconnaitre les avancées et bénéfices du modèle « Management 1.0 »
du 20e siècle (lire page 151
les principes du management « moderne » en une table) (b) souligner
les nouveaux défis en terme d’incertitude, de complexité, de rapidité d’évolution,
de nécessité d’innovation … (c) proposer une boîte à outils du « Management
2.0 ». C’est également l’approche de BetaCodex ou de mon
propre livre … Lorsque j'ai lu le livre il y a trois ans, j'ai été un peu déçu car je n'y ai rien trouvé de bien original. Ce n'est qu'à la relecture, après avoir lu "Les Organisations - Etat des savoirs", que je l'ai véritablement apprécié :). « The
Future of Management » est un livre très bien écrit, qui fourmille d’exemples.
Voici un résumé de quelques idées clés, mais qui ne remplace pas la lecture :
- L’introduction qui pose le débat en rappelant les principes de Weber, Fayol et Taylor est très agréable à lire. Gary Hamel introduit tout de suite Toyota comme une des ruptures, autour de la capacité à capter l’innovation de tous « capturing the wisdom of every employee ». Il faut lire, page 20, le compte-rendu d’Américains qui sont allés voir Toyota, ont été stupéfaits des résultats, mais ont fait les mauvaises analyses : il ne s’agissait pas de méthodes, mais d’un changement systémique de culture. « It’s only in the five years that we finally admitted to ourselves that Toyota’s success is based on a wholly different set of principles – about the capabilities of its employees and the responsibilities of its leaders ». Contrairement à l'ouvrage précédent, Gary Hamel a compris la puissance du Toyota Way: “If Toyota became one of the most renowned companies by harnessing the problem-solving abilities of its employees, just think of what your company could accomplish if it fully utilized the creative capabilities of each and every one of its employees”.
- Une des idées clés du livre est qu’il faut distribuer les rôles de reconnaissance et de sélection des innovations dans l’entreprise, pour éviter le goût naturel du status quo. Cette idée est reprise sous des formes multiples (concours d’idées, plateforme 2.0, organisation de marchés internes ou externes des innovations …) et avec des exemples contraires nombreux dans lesquels la restriction du pouvoir autour d’un petit nombre de « seniors executives » conduit à l’aveuglement. Je ne résiste pas au plaisir de cette citation un peu longue : « Contrary to popular mythology, the thing that most impedes innovation in large companies is not a lack of risk taking. Big companies take big, and often imprudent, risks every day. The real brake on innovation is the drag of old mental models. Long-serving executives often have a big chunk of their emotional capital invested in the existing strategy.”
- Une autre idée générale qui est reprise au long du discours est le besoin de motiver et mobiliser autour de défis (« BIG problems »). L’importance de la motivation, du sens rappellent clairement les thèses de Daniel Pink (ou de Viktor Frankl). A coté de sujets d’organisation, on trouve dans ce livre d’excellents conseils pour construire une stratégie et une vision d’entreprise. On trouve également des références intéressante sur le sujet de la baisse de « l’engagement » dans les entreprise modernes. Une étude de Towers Perrin en 2005, portant sur 86000 employés, montre que « The vast majority of employees across all levers in an organization are mess than fully engaged in their work ». 15% seulement des employés auraient un “très fort niveau d’engagement”, tandis que 24% seraient en retrait. Ces résultats sont semblables à la dernière enquête IPSOS en 2012. Les enquêtes se sont multipliées, mais le diagnostic reste le même. Et c’est donc sans surprise que l’on voit apparaître dans le livre de Gary Hamel les ingrédients du « social business » (cf. p. 253) : autonomie, droit à l’expression de l’opinion de chacun, capacité à expérimenter, volontariat, flexibilité dans l’allocation des ressources, sérendipité et dé-cloisonnement.
- Trois exemples sont détaillés au milieu du livre : Whole Foods Market, Gore et Google. Dans les trois cas, on retrouve beaucoup de choses en commun, mais également des leçons propres à chaque expérience. L’autonomie des équipes, la « règle des 20% » - implémentée sous des formes différentes dans une demi-douzaine d’entreprises citées dans ce livre, le remplacement des hiérarchies par des réseaux sont des piliers communs. « As is true at Whole Foods Market, the core operating units at Gore are small, self-managing teams, all of which share two common goals : to make money and have fun ». La description de Google insiste sur l’idée du Web comme métaphore du management de demain (une autre façon de dire ce qui est exprimé dans le paragraphe précédent, ou de faire un plaidoyer pour une “entreprise 2.0”), et sur l’importance de l’itération et des essais/erreurs pour développer l’innovation (un résumé en quelques pages du « Lean Startup »).
- Même si le thème de « l’Entreprise 2.0 » n’est évoqué que dans le dernier chapitre, les idées sous-jacentes que j’expose dans ce blog (liens faibles, communication informelle, importance de la sérendipité – cf. p. 175) sont partout. Il ne s’agit pas d’ailleurs de les restreindre au monde virtuel : ces principes se déclinent dans le monde physique, à la fois dans l’organisation de l’espace et du temps. De la même façon, on retrouve des « principes lean », tels que la décomposition en « petits lots »/ « short blocks ».
- Le dernier exemple détaillé est celui de l’innovation de rupture à IBM. Gary Hamel revient sur la difficulté à s’intéresser sur des « petites pousses » en dehors du domaine métier principal. « To tackle a systemic problem, you need to understand its deep roots » : IBM a fait un effort très poussé et très intéressant pour comprendre les biais naturels qui empêchait d’allouer les moyens suffisants à des idées « en dehors du cadre ». Une fois de plus, il souligne l’importance de la vision et du « défi », même si un « grand défi » doit être attaqué de façon incrémentale, avec persévérance (« Iterate : Experiment, lean, experiment, learn » + « Don’t give up : Innovators are persistent » - lire p. 127 l’histoire extraordinaire de Barry Marshall et Robin Warren qui ont reçu le prix Nobel de médecine après 20 ans de défiance).
Ce billet est déjà
beaucoup trop long, je reviendrai donc sur les paradoxes du « Futur du
management » une autre fois. Une des signatures des phénomènes complexes
est qu’il est facile d’affirmer une chose et son contraire. Le domaine du
management est assurément un domaine complexe, et ce qui m’a fait m’y intéresser
en 2004 est la constatation que pour chaque affirmation des consultants que je
voyais passer, on
pouvait tout également défendre l’opinion opposée.
Ce billet est long parce que j'ai choisi de juxtaposer ces deux livres, non sans malice. D'une part parce que le premier contient un article intitulé "L'hégémonie américaine en question" ... et parce que le second est un pur produit de cette "pensée américaine". Il aurait été facile d'écrire une critique du livre de Gary Hamel, en particulier sur ce qu'il ne contient pas. Ce type de livre ne correspond pas aux canons d'un livre de "sciences de gestion", puisqu'il s'agit d'avis et d'exemples.
A vos commentaires :)
Ce qui m'intéresse tout particulièrement parmi les enjeux des architectures organisationnelles, c'est l'importance qu'elles accordent à la place faite à chacun. Est-ce que chacun va pouvoir y trouver une place satisfaisante? De ce point de vue, que vaut une architecture qui ne poserait pas la question du capital et du pouvoir de l'actionnaire majoritaire? De mon point de vue, le minimum que chaque acteur d'une entreprise est en droit d'exiger c'est une structure de cogestion, sinon, tout le reste ne peut être que cosmétique, aussi adroit qu'il soit.
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