Je termine la préparation de mon cours sur le Système d’Information à Polytechnique, une activité qui aura consommé ma « bande passante » des week-ends/vacances de ces six dernier mois, et qui a ralenti considérablement mon travail sur les sujets de ce blog. J’ai profité d’un A/R aux US pour lire le dernier livre de Malcom Gladwell, « Outliers ».
Ce post sera bref car le livre de Malcom Gladwell ne s’intéresse pas à l’Entreprise, mais à l’individu, et précisément aux conditions de succès (exceptionnel) d’une personne, en partant d’exemples célèbres. Je ne souhaite pas le résumer car ce serait déflorer un vrai moment de plaisir. Malcom Gladwell a un superbe talent pour démontrer par l’illustration et la mise en situation, quelque chose qui ne se résume pas. Je vous recommande chaleureusement de lire ce livre, en particulier si vous avez des enfants.
Je ne vais donc pas traiter des points les plus intéressants et spectaculaires, mais relever trois points qui ont un lien direct avec le thème de ce blog :
- · Les erreurs/accidents sont le plus souvent liées à des problèmes de mauvaise communication. C’est une idée classique, j’ai déjà fait référence dans ce blog à Charles Perrow ("Normal Accidents") ou Christian Morel ("Les Décisions Absurdes"). Néanmoins, l’analyse approfondie des exemples du livre tels que certains accidents d’avion est une preuve spectaculaire.
- · Les miscommunications sont souvent liées à traits culturels, tels que la capacité à tolérer l’ambiguité ou à remettre en cause l’autorité. Ce dernier caractère « culturel » se mesure avec le PDI. Le PDI – Power Distance Index – est un indicateur de la distance qu’une personne place inconsciemment avec des supérieurs hiérarchiques. Ce concept est du au psychologue Hollandais Geert Hofstede, exposé dans son livre « Culture’s consequences ». Ce livre suscite beaucoup d’intérêt en ce moment ; par exemple, l’exposé de Julien Levy lors du forum Netexplorateur 2009 y faisait abondamment référence. C’est parfaitement justifié car le PDI est un indicateur fascinant. Sa corrélation avec les problèmes de miscommunication, ce qu’explique Malcom Gladwell, est assez stupéfiante. Pour faire simple, le fait de placer sa « hiérarchie sur un piédestal » est un facteur de risque très important... (j'espère que cela vous donne envie de lire le livre).
- · Le PDI est corrélé avec la taille du management nécessaire pour gérer une organisation donnée. Là, cela devient franchement pertinent pour une entreprise : Hofstede avance que la différence de PDI entre la France et l’Allemagne se traduit, à fonctions comparables, par des taux de management de 26% en France pour 16% en Allemagne. Un PDI élevé « requires and supports » un taux élevé d’encadrement.
Ce dernier point est très intéressant dans la perspective de l’Entreprise 2.0. La tendance sociologique qui alimente la « transformation 2.0 » conduit à la réduction progressive du PDI. On peut en effet arguer que c’est le « monde » qui devient 2.0, et que le Web 2.0 n’en est que la manifestation (et le facilitateur) parce que le Web est un médium « plastique ». La société évolue parce que ses membres (en particulier les Millenials) recherchent :
- - à faire entendre leur voix, à prendre la parole,
- - le plaisir (tribal) de communiquer avec « ceux qui leur ressemblent »,
- - à être l’architecte de leur propre expérience (le concept de «mash-up » dépassant largement le contexte informatique).
Ce point (le fait que le Web 2.0 est le reflet d'une transformation plus profonde de la société post-moderne) mériterait un plus ample développement. Ici, je suppose simplement (voir le chapitre 6 de mon dernier livre qui donne des références et des preuves) que les "nouvelles générations" qui intègrent les entreprises ont des attentes et des modes de travail différents. Si l’on admet que ces tendances s’accompagne d’un affaiblissement de la « distance hiérarchique », un corolaire est que l’ « entreprise 2.0 » peut s’accompagner d’une réduction du management, sous la forme d’un aplatissement des organigrammes. Cette idée a déjà été évoquée par différents auteurs comme une caractéristique des "nouvelles entreprises", d’une part parce qu’on constate un tel aplatissement dans des entreprises « jeunes et modernes » (on pense par exemple à Google et sa hiérarchie applatie), et d’autre part parce que cet aplatissement réduit la latence de transmission, donc augmente la réactivité (cf. 30% des messages de ce blog).
Ce qui est intéressant (pour moi), c’est que ce type d’analyse permet de faire rentrer le concept d’ « entreprise 2.0 » dans mon champs d’étude « Architecture Organisationnelle et Flux d’Information ». On peut caractériser une telle entreprise par :
- - un « diamètre social » plus grand (des réseaux sociaux de liens faibles – cf mon post sur les réseaux sociaux et les liens faibles – s’ajoutent aux liens forts – géographiques, hiérarchiques, projets, …). Une excellente présentation de Dominique Cardon, sociologue chez Orange, lors du même forum Netexplorateur, a mis en évidence le fait qu’on ne peut pas traiter les liens faibles comme des liens forts (ce qui générerait une multiplication des contraintes de synchronisation).
- - une plus forte utilisation d’ « outils 2.0 » pour gérer ce diamètre plus large. C’est la suite du point de Dominique Cardon (« du plan à la carte ») : l’utilisation de tels outils peut être vue comme la seule réponse logique et efficace pour « gérer » un réseau étendu.
- - une hiérarchie plus aplatie, ce qui n’est aucunement nécessaire, mais rendu possible par le changement de culture des nouvelles générations.
Ces traits peuvent être analysés dans le cadre de la simulation de la performance globale. A suivre cet été, lorsque je reprendrai mes travaux sur la modélisation et évaluation des flux d’information.
Je reviendrai également sur cette notion d'extension du réseau social "des liens faibles" parce qu'il me semble être un des "leviers concrets" qui augmente l'efficacité de transfert d'information dans les entreprises qui adoptent les "outils 2.0".