Je reprends la plume (le clavier) après un mois de Janvier un peu chahuté, mais qui m’a permis de progresser sur le principe de « Simulation et Apprentissage ». En particulier, avec une meilleure caractérisation des équilibres, et en utilisant des « modèles robustes », j’ai pu obtenir des résultats beaucoup plus « propres » (avec un taux chaotique beaucoup plus bas). Ceci sera l’objet d’un prochain message. Ce n’est pas à proprement parler un sujet central de l’architecture organisationnelle, mais comme je l’ai expliqué la dernière fois, je suis convaincu qu’il est nécessaire de disposer d’outils de simulation de qualité pour pouvoir valoriser la réactivité (la latence du transfert d’information) dans une entreprise.
Aujourd’hui je vais proposer une analyse du livre « Six Degrees – The Science of a Connected Age ». J’ai cité plusieurs fois le livre de Duncan Watts, dans ce blog comme dans mon nouveau livre (qui sort le 21 Févier). Depuis j’ai eu l’occasion de le retravailler et je pense de plus en plus que c’est un livre fondamental sur le thème de l’architecture organisationnelle et des flux d’information. Je vais donc proposer un « best-of » des idées contenues dans ce livre qui se semble pertinente pour ce thème. Il ne s’agit donc pas d’une « fiche de lecture », dans le sens où je vais filtrer certains des points les plus fondamentaux (je rappellerai juste que ce livre est LA référence pour comprendre le terme de « six degrés de connexion »). Il contient également une foule d’information sur des familles de graphes aléatoires et leurs propriétés.
- La notion de petits mondes désigne une propriété d’un réseau social en tant que graphe, qui s’exprime comme un compromis sur le degré de connectivité et le taux de « cluster ». Cette structure (a) semble exister dans un très grand nombre de cas de réseaux humain (lire le livre pour s’en convaincre) (b) se caractérise par un temps de propagation/ latence logarithmique. Ce qui crée cette structure est le « compromis » entre la structure de « clusters » (les amis de mes amis sont mes amis) et l’existence d’un certain nombre de liens « aléatoires ». Trop de liens aléatoires rendent la propagation difficile (il existe beaucoup de chemins … trop !), pas assez de ces liens oblige à passer par les liens « locaux » ce qui prend trop de temps. Il faut lire en particulier le chapitre qui parle des travaux de Keinberg. J’ai l’intuition que la condition de Kleinberg trouve sa place dans l’optimisation des réseaux de transfert d’information.
- La notion de distribution sur les degrés, et de réseaux « scale-free », est fondamentale même si elle est moins pertinente dans le cadre d’une entreprise. Cette notion prend son importance avec des populations très larges. Les réseaux « scale-free » ont une distribution « puissance » au lieu d’une exponentielle décroissante, ce qui produit plusieurs propriétés remarquables. [En passant, je ne peux que conseiller la lecture du livre de Chris Anderson « The Long Tail », qui est également fondé, du point de vue mathématique, sur une distribution puissance (power law) la où on s’attendrait à une exponentielle décroissante … mais je m’égare J ]
- Une partie du livre est consacré aux « réseaux d’affiliation », qui sont précisément les réseaux obtenus en observant des individus qui participent à des évènements communs (des réunions par exemple !). Qu’on les modélise avec des graphes bipartis ou des hyper-graphes, ce sont les fondements de la théorie du « système des réunions » que je ne désespère pas d’écrire un jour. Duncan Watts donne un exemple très intéressant sur l’étude des réseaux d’affiliations liés à la présence à des conseils d’administration.
- Une référence à « Obedience to Authority » de Stanley Milgram. Ces expériences qui montrent la difficulté à resister à l’autorité (et à faire des choses inacceptables) font partie des exemples classiques, mais elles sont discutées ici avec intelligence et rigueur. De la même façon, la référence aux expériences d’Elisabeth Noelle-Neumann est très intéressante et pertinente dans le monde de l’entreprise. Son concept de « spirale du silence » montre l’importance de la perception, et le fait que les individus arrête de professer une opinion si ils la perçoivent comme minoritaire.
- Une des lois fondamentale de la sociologie est que la « proximité » n’est pas une distance (au sens mathématique - elle viole l’inégalité triangulaire). Ce point mérite le lire le livre à lui tout seul. (ou une explication détaillée une autre fois J)
- Le chapitre 6 établit le lien avec la physique et le concept de percolation. Cette idée, qui m’avait été suggérée par César Douady, est très prometteuse. La percolation (issue, par exemple, de travaux sur la cristallisation, les gels, etc.) permet de caractériser des conditions de transferts « en cascade » (comme, par exemple, les épidémies). Un bonus supplémentaire, une partie de ce chapitre traite de l’application à la caractérisation de la fiabilité, ce qui est directement applicable au thème de recherche de mon autre blog (la biologie des systèmes d’information distribués). J’y ai retrouvé une autre idée qui m’avait été signalée par Michèle Sébag (connue sous le nom du « diner’s dilemna » et qui a trait à l’existence d’une transition de phase dans le comportement d’un groupe de personnes qui partage une responsabilité.
- Pour finir (parce que le livre est tellement riche que je laisse beaucoup de choses sous silence), le chapitre 9 contient … une réflexion sur les challenges de l’entreprise moderne en terme de réactivité et d’agilité, les liens avec l’organisation en terme de flux d’information, et en particulier l’organisation hiérarchique, qui est totalement aligné sur les questions que je me pose dans ce blog. En particulier, la discussion sur le « span of control » est très proche des discussions sur les hiérarchies plates présentées il y a un an. La conséquence est la notion de « multi-scale connectivity » … et je vous renvoie à mon Annexe II lorsque le livre sortira pour mesurer la proximité de ces résultats. Ces travaux sont liés à un groupe du Santa-Fe institute, animé, entre autres par Charles Sabel (auteur, avec Michael Piore, du livre « The Second Industrial Divide: Possibilities for Prosperity »). Bref, cela me fait des pistes à creuser et de la lecture en perspective...