jeudi, mai 08, 2008

Petite Réflexion Prospective sur l’Entreprise de Demain

Après plusieurs posts un peu techniques, je profite d'une journée tranquille pour prendre un peu de recul et proposer quelques réflexions sur l'organisation de l'Entreprise 3.0 (une fois que la révolution 2.0 sera digérée). Il y a bien sur un clin d'œil dans l'utilisation de « 3.0 », mais la feuille de route qui suit va plus loin que l'adoption des « pratiques 2.0 ». Aujourd'hui, je me contente d'effleurer le sujet avec trois idées (qui sont en tension les unes avec les autres) :

  1. L'unité de temps, de lieu et d'action n'est plus le mode de travail par défaut.
  2. L'enjeu fondamental d'efficacité est la qualité de la collaboration, qui exige de gérer précieusement le mode de travail précédent (face-à-face)
  3. Nous sommes passés d'un monde de l'entreprise avec une communication autour du travail à un monde dans lequel l'essentiel du travail est la communication. 

L'entreprise de demain est train de perdre sa structure « spatio-temporelle ». Les collaborateurs travaillent n'importe où et n'importe quand. Nous ne sommes pas encore là, mais la tendance est en route (voir l'article de BW cité plus loin). Je parle abondamment de ce sujet dans mon livre. Cette tendance est renforcée par les aspirations et les habitudes des « digital natives ». C'est à cause de ce premier point que les entreprises doivent basculer en « mode 2.0 ». Bien entendu, je ne parle pas d'un atelier de boulangerie, mais d'une entreprise qui produit des services dans une économie digitale. Pour accompagner cette transformation, il faut « tisser du lien social », pour reprendre une expression de Michel Godet, selon trois axes :

  • Donner du sens, créer de la sémantique, relier les « communautés de pratique ».
    On retrouve ici l'utilisation des outils 2.0 pour le « knowledge management » : wiki, forums, communautés, etc. Cette dimension est du ressort de l'entreprise, ces réseaux sociaux font partie de son patrimoine, de son capital immatériel.
  • Resynchroniser nos horloges biologiques, rétablir le « beat », reconstruire une « connexion permanente ».
    Ce besoin de la connexion permanente, celui qui explique les micros coup-de-fils « inutiles » avec nos portables (t'es où, tu fais quoi, etc ?) est viscéralement lié à notre condition humaine (je ferai un compte-rendu de ma lecture du moment, «  Social Intelligence » de Daniel Goleman, un autre jour, c'est exactement ce sujet). L'utilisation de la messagerie instantanée, de Twitter, des indications de présence/humeur sur Facebook et autres portails communautaires relèvent de ce besoin. Les expériences dans certaines entreprises qui ouvrent des connexions visiophoniques entre deux lieux de façon continue, sans objectif particulier, s'inscrivent dans la même approche.
  • Mailler un temps discontinu pour reconstruire une destinée commune et ininterrompue.
    L'enjeu ici est de construire un tout avec des pièces éparses et asynchrones. La messagerie asynchrone (email) ne suffit pas, il faut des outils plus riches et plus collectifs. Il faut reproduire la stygmergie des fourmis, une capacité de communication collective permettant à chaque petite bribe de temps individuel de s'inscrire dans un temps global et collectif. Cela nous conduit aux « walls » de Facebook, aux outils de conception collaborative et de pilotage de projet « en mode 2.0 ». Cela va beaucoup plus loin que les outils électroniques, l'espace physique de l'entreprise peut devenir un outil collaboratif (et pas simplement en mettant des tableaux blancs dans les couloirs ou en affichant des informations sur les murs)

Malgré la pertinence spectaculaire des outils du Web 2.0 pour accompagner ces transformations, les psychologues et les sociologues nous ont prouvé qu'il n'y avait rien de comparable au contact face-à-face pour communiquer (en attendant peut-être la présence virtuelle de Cisco ou de HP). Or les entreprises font face à un enjeu d'efficacité en termes de collaboration. Les processus sont de plus en plus complexes, dynamiques et transverses (un autre sujet que je traite dans mon livre). Ce deuxième point modère le premier : l'entreprise 2.0 doit conserver un visage humain. En fait l'utilisation des technologies de l'information rend encore plus important ce qui ne peut pas se réduire à des transferts de flux d'information. Le « temps partagé » est un capital précieux qui doit être optimisé :

  • En favorisant ce qui est informel et spontané sur ce qui est organisé, pour conserver l'agilité maximale à l'entreprise
  • En se déchargeant sur des moyens électroniques (webinars, visio-conférence, conference calls, …) pour ce qui demande un transfert d'information mais pas nécessairement un échange. Ici, le concept de bandwidth des spécialistes du CMC (un sujet dont j'ai déjà parlé sur ce blog) devient fondamental. Il faut gérer cette « bande passante » et l'optimiser.
  • En optimisant les réseaux sociaux représentés par « le système réunion » (un autre classique de ce blog). Je ne reprends pas aujourd'hui les recommandations en termes de CMS (Corporate Meeting System), je ferai une synthèse après avoir terminé mon article sur l'étude des réseaux d'affiliation.

Le fait que le traitement et le transfert de l'information deviennent progressivement la majorité du travail de la majorité des entreprises moderne conduira nécessairement à s'affranchir du « chaos » actuel en termes d'utilisation des différents outils. Le chaos vient d'une part du fait que nous utilisons le même outil et le même canal pour gérer des flux très différents. Ceci nous conduit à des situations d'embouteillage, où des flux de basse priorité obstruent les canaux (un sujet déjà abordé). D'autre part, l'utilisation des différents outils est personnelle, et chacun utilise ses propres règles, ce qui conduit à des incompréhensions et de l'inefficacité. Ce sujet est d'autant plus important que les canaux électroniques se multiplient, et est donc aggravé par l'apparition des outils « Web 2.0 ». Mon intuition est que le volume et l'importance croissante des communications vont conduire à l'émergence d'un « ordre », au moins selon les 3 axes suivants :

  • La séparation du signal et du contenu. Elle permet d'utiliser les canaux réactifs (faible latence) pour propager le contrôle, et utiliser les outils collaboratifs pour gérer le contenu (avec des gains évidents en termes de partage, de sécurité, de sauvegarde, …). Ce point est déjà compris et noté par les spécialistes de l'entreprise 2.0 (voir les articles de Fred Cavazza).
  • Séparer les flux critiques des non-critiques, les flux liés aux processus métiers des flux informels. Il faut utiliser l'abondance des outils pour que chacun soit utilisé à bon escient, et de la même façon par tous (bien sûr). Cela passe par la rationalisation et l'édiction de règles collectives (cf. le chapitre 5).
  • Une gestion plus rigoureuse du temps. Le temps est clairement devenu la ressource critique dans les entreprises. Il ne sert à rien d'avoir le téléphone ou l'email d'une personne si vous n'avez pas son attention. La multiplication des flux est illusoire, et les outils modernes offrent des « tuyaux bouchés ». Les outils de pilotages des flux critiques liés aux processus métiers de l'entreprise (ex : workflows) vont progressivement s'interfacer avec des outils de gestion de planning. La pratique du « lean management » va conduire à prendre en compte le temps disponible dans le pilotage des communications « critiques ».

Deux références de BusinessWeek :

  1. Ancien – 11 décembre 2006 : « No Fixed Schedules. No mandatory meetings. Inside BestBuy's radical reshaping of the workplace - Smashing The Clock" by Michelle Conlin. L'exemple de BestBuy est très instructif, avec des resultants spectaculaire en réduction du turn-over (-50 à -90%) et augmentation de la productivité (+35%). L'emphase est mise sur la flexibilité, la formation et la mesure …
  2. Récent – 28 Avril 2008: "White-Collar workers shoulder together – like it or not" by Matt Vella. Ce court article est plein de statistiques fascinantes. Par exemple, à la question "Do you like working together to learn from each other? », 51% des femmes et 40% des hommes disent oui (60% pour les plus jeunes). En revanche, à la question « Do you like to working together to complete tasks? » 13% des 18-14ans seulement répondent oui, on passé à 27% pour les 25-65 et 36% pour les seniors (36% pour les hommes en général, 25% pour les femmes). 82% des employés travaillent déjà de façon collaborative aujourd'hui (46% pour apprendre des autres, 30% pour accomplir une tâche). Le mode de travail préféré est le travail à 3 !

J'ai ouvert un nouveau blog, Enterprise Collaboration Sociometry, qui me servira de marque-page (en anglais) pour les différents éléments que je collecte patiemment pour nourrir ma réflexion, en parallèle du travail de modélisation qui est décrit dans ce blog.

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