samedi, juillet 17, 2010

Une journée à l’USI 2010

J'ai passé une journée à l'USI 2010 (Université du Système d'information) organisé par Octo (et différents sponsors). L'an dernier, j'avais posté mon compte-rendu sur mon autre blog, mais cette année je trouve que les sujets que je vais traiter, et en particulier les keynotes, sont d'une portée très générale et relèvent encore plus de ce blog.

Comme d'habitude ce compte-rendu n'a pas vocation à être exhaustif, mais plutôt de souligner les points qui sont connexes avec les sujets que je traite dans ce blog. Ce qui est remarquable avec l'USI, c'est que vous trouverez bientôt l'intégralité de ces interventions en vidéos sur le site USI. Je ne vais parler que ce de que j'ai entendu, mais je viens d'écouter la géniale conférence de Martin Fowler et Neal Ford, et elle est à la fois passionnante pour les informaticiens et très judicieuse pour comprendre le lean ou l'approche chinoise de la stratégie (sans parler des remarques sur la communication qui font un vibrant écho à ce qui est développé dans ce blog).

  • Chris Anderson (éditeur de Wired, connu pour « The long trail ») a parlé de son nouveau livre « Free : the future of a radical price ». Le point de départ de son raisonnement est que la puissance de calcul, le stockage ou la bande passante sont devenus « too cheap to meter », créant une économie de l'abondance. Une partie de ce raisonnement se trouvait dans « The long trail », rendue possible par la baisse spectaculaire du coût de stockage. J'ai particulièrement apprécié l'idée selon laquelle l'abondance modifie les processus et pousse à essayer d'abord et corriger ensuite … sous forme d'amélioration continue (« Test & Invest » puis « kaizen »).
  • Olivier Hascoat a fait un exposé sur l'innovation dans les services … et les causes des nombreux échecs que l'on peut constater ces dix dernières années. Son idée première est qu'il s'agit avant tout d'une question d'exécution. Son exposé était très convaincant, avec des propos qui ne sont pas sans rappeler des grands auteurs américains tels quel Larry Bossidy ou « From Good to Great » dont j'ai parlé la dernière fois. J'ai apprécié l'insight selon lequel le sujet n'est pas de « lancer un service », mais de « faire vivre un service » (cf. le point précédent).
  • J'en arrive maintenant à la keynote d'Yves Morieux, « Let IT be », qui a été un grand moment de plaisir intellectuel. Je ne vais pas rendre justice à la qualité de l'orateur en résumant quelques idées, mais c'est bien le principe de ce billet. Le thème principal était la question « quelle organisation d'entreprise est la mieux adaptée pour gérer la complexité qui nous afflige et qui est, entre autres choses, une conséquence de la mondialisation ? ». La première partie nous a présentés trois symptômes : (1) l'excellence de l'exécution –cf. le talk précédent – devient une des préoccupations essentielles des CEO dans une enquête du Boston Consulting Group (2) la productivité est en crise, l'amélioration régulière annuelle baisse régulièrement depuis 30 ans – cf. le paradoxe de Sollow (3) on assiste à un déclin régulier et inquiétant de la satisfaction au travail. Ce dernier symptôme est spectaculaire : en 1985, 70% des américains étaient satisfaits de leur travail, ils n'étaient plus que 45% en 2007. Le premier point est également très net parce que le BCG effectue ces enquêtes auprès des CEO depuis de nombreuses années, ce qui permet d'analyser les changements. La thèse d'Yves Morieux est que ces trois « tendances énigmatiques » sont liées à la complexité croissante des organisations. Il cite des chiffres qui ne nous surprennent plus : 40% du temps des managers est passé à produire du reporting, 30% en réunion et seulement 30% à produire de la valeur ajoutée. Pour contrer cette tendance, il a ensuite développé les « valeurs anti-complexité » : leadership / engagement / coopération. Son développement sur la coopération était particulièrement brillant (dans une progression coordination - collaboration - coopération). La coopération est ce qui permet d'être efficace à plusieurs pour précisément résoudre des problèmes complexes. Mais il se trouve que coopérer n'est pas évidente ni intuitive. Pour commencer, la coopération « fait mal » car elle suppose un « coût d'ajustement ». Précisément, coopérer c'est utiliser ses marges de manœuvre au service des autres. La coopération ne se mesure pas (même si son effet est, lui,mesurable), et elle se fait même le plus souvent au détriment de ce qui est mesurable. Elle ne s'obtient pas simplement par « bonne entente », au contraire, si les participants ont une trop forte connivence, il se produit un évitement contraire à l'efficacité. La dernière partie de l'exposé a proposé quelques « smart rules » pour promouvoir la coopération, très intéressantes par leur connotation systémique. Quelques exemples :
  1. Reinforce integrators – l'intégrateur est le promoteur/catalyseur de la coopération … en particulier le manager !
  2. Expand shadow of future – faire vivre aux acteurs les conséquences de leurs décisions dans des situations complexes
  3. Enlarge domain of reciprocity – les objectifs de chacun incluent ce qui augmente la performance des autres
  4. Modify payoff matrices – une application de la théorie des jeux pour résoudre le dilemme de la « tragédie des communs » dont j'ai souvent parlé.


 

  • Le keynote suivant de Michael Ballé n'était pas moins passionnant. Michael Ballé est un des grands experts français du lean, l'auteur de nombreux livres primés dont le dernier, « The Lean Manager », que je résumerai bientôt. Le titre, et l'idée principale est que le lean est une « école de management par la résolution de problèmes ». Le lean dont il s'agit est bien celui de Toyota, et j'ai particulièrement apprécié l'ensemble de cet exposé. Michael Ballé a rappelé que l'idée forte de Toyota est de vouloir utiliser le « cerveau de tous ses employés ». Il s'agit donc de prendre le slogan « nos collaborateurs sont notre plus précieux capital » au sérieux et d'en conclure que l'apprentissage permanent est la meilleure façon de créer du « capital immatériel » (« le lean, c'est la montée en compétence de tous »). La résolution de problèmes concrets, en suivant la démarche et les méthodes du lean, est une école pratique pour développer ce potentiel. Les meilleurs processus viennent des savoirs-faire et des connaissances individuelles des « acteurs du terrain » (gemba). C'est un apprentissage systémique qui apprend à raisonner sur les causes profondes (ce que fait un expert) plutôt que de raisonner sur les causes superficielles (les symptômes – ce que fait un novice). Une autre idée profonde du lean est qu'il est encore plus important de « faire les bonnes choses » que de « faire les choses bien ». Michael Ballé remarque que le lean enseigne de standardiser, puis d'améliorer en continu (kaizen), avant de tirer les conclusions et de faire des changements profonds et radicaux (kaikaku), alors que notre approche occidentale du « process re-engineering » est souvent de faire l'inverse. Je reviendrai sur ce sujet – qu'est-ce que le lean ? - dans un billet séparé, pour faire écho au post de 2007. J'ai néanmoins beaucoup aimé ce résumé de ce qu'est la pratique du lean : (1) aller voir (2) visualiser les problèmes (3) révéler les problèmes et réagir (4) résoudre  un par un (5) améliorer les pratiques.
  • Dans un genre très différent, le philosophe Bernard Stiegler nous a parlé de sa vision de la « crise planétaire », un « chant du cygne » qui annonce l'arrivée nécessaire d'un « nouveau modèle ». Le discours général n'est pas forcément original en ce moment, mais j'ai apprécié les commentaires sur la perte d'attention, le fait que les étudiants aujourd'hui ont plus de difficultés que leurs anciens à se concentrer sur un seul sujet pendant plusieurs heures, parce que Bernard Stiegler nous a fourni de nombreuses références, telles que Katherine Hayles, qui vont me permettre de creuser ce sujet plus sérieusement.
  • Un exposé très distrayant de Ludovic Cinquin, « Trop humains pour réussir », sur les biais cognitifs (un sujet passionnant, traité par de nombreux auteurs dont je parle dans ce blog, depuis Malcom Gladwell ou Nassim Taleb jusqu'à Daniel Pink). Je vous recommande de voir la vidéo. Une idée clé, selon moi, est qu'il faut pratiquer des boucles de feedback courtes, et affronter la réalité fréquemment, car c'est le meilleur remède contre ces nombreux biais (qui nous affligent tous).
  • La journée s'est terminée par un keynote de Leo Apotheker, qui m'a bien plu lorsqu'il a attaqué le ratio IT/CA comme élément de benchmarking (c'est un des sujets du 3e chapitre de mon dernier livre, et le sujet de nombreux débats lorsque j'étais DSI). J'ai également apprécié l'insistance sur l'importance du datamining en temps réel et la prochaine fusion du transactionnel et de l'analytique (sans base de données relationnelle, en mémoire vive sur des architectures massivement parallèles).

Cette liste est très hétérogène, mais elle peut néanmoins vous donner envie d'aller voir les exposés, puis de vous inscrire pour la prochaine édition ! Modelée selon TED, cette conférence est une formidable opportunité d'aller écouter des exposés et des orateurs passionnants.

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