1. Introduction
J’ai décidé d’écrire mon dernier livre, L’approche Lean de la transformation digitale, en 2018 après avoir lu plusieurs articles, et déclarations sur les réseaux sociaux, qui affirmaient que la transformation digitale était terminée, que nous étions maintenant passé à la suite, autour de l’intelligence artificielle et des objets connectés. Comme je l’ai exprimé plusieurs fois, je suis en désaccord avec cette affirmation pour ne nombreuses raisons :
- La transformation digitale n’est pas « une destination mais un chemin », c’est l’adaptation continue de l’entreprise à la révolution numérique, tirée par l’évolution exponentielle des technologies.
- Même si l’objectif était de s’adapter au monde numérique de 2015, cette transformation est difficile et elle n’est pas terminée pour la majorité des entreprises.
- Au contraire, on peut observer que la différence a tendance à se creuser entre des « digital natives » (les entreprises leaders du monde numérique, telles que les géants du Web) et les « digital laggards » (entreprise à la traine dans l’adoption des nouveaux modes de fabrication du logiciel – cf. le livre de référence Accelerate, de Nicol Forsgreen, Jez Humble et Gene Kim).
Depuis, plusieurs livres ont paru qui enfoncent le clou. Je cite ici les quatre les plus évidents dont j’ai parlé dans ce blog :
- « Project to Product » de Mik Kersten, qui insiste sur le changement du paysage compétitif : il y des nouvelles façon de produire du logiciel, et ceux qui ont fait cette transformation sont beaucoup plus efficaces.
- « Designed for Digital – How to architect your business for sustained success », de Jeanne W. Ross, Cynthia M. Beath, et Martin Mocker, qui montre que la transformation digitale ne fait que commencer lorsqu’il s’agit de trouver des nouveaux modèles de création de valeur, et que le prérequis en matière de transformation des actifs de l’entreprise est significatif.
- « Deliberately Digital », de Hubert Tardieu , David Daly, José Estaban-Lauzan, John Hall et Georges Miller, montre que le monde digital requiert une évolution de son « modèle mental » pour faire place à des concepts de plateforme et d’expérience client.
- « The Digital Transformer Dilemma », de Karolin Frankenberger, Hannah Mayer, Andreas Reiter et Markus Schimdt, montre que beaucoup d’entreprises rencontrent des difficultés dans leur transformation digitale et peinent à voir les résultats des investissements consentis.
Le court billet de ce jour est consacré à « Rethinking Competitive Advantage » de Ram Charan. J’ai décidé d’ajouter ce livre à la liste de mes comptes rendus, même si le cœur du message est maintenant bien établi, pour deux raisons. Premièrement, j’ai apprécié la force des propos de l’auteur sur la « customer centricity ». Une véritable « orientation client » est tout sauf simple. Par ailleurs, l’économie des plateformes, des effets de réseau oblige de comprendre ce que Ram Charan appelle les rendements croissants et les changements de métrique de création de valeur. Ma deuxième raison tient à l’auteur lui-même. Ram Charan est l’auteur de nombreux best-sellers, qui s’appuient sur une longue carrière de conseil auprès d’entreprises et dirigeants prestigieux. Son livre est émaillé d’exemples percutants et passionnants, qu’il s’agisse de plateformes, d’écosystèmes ou d’algorithmes.
Ce billet va parler de compétition, puisqu’il s’agit d’un des axes
préférés d’analyse de Ram Charan. Son livre précédent, « The Attacker’s Advantage » était déjà organisé autour de
l’idée que ceux qui analysent leur environnement mieux et plus vite gagnerait
cette compétition. Nous vivons dans un monde incertain et volatile, mais qui
représente également de multiples opportunités. L’idée principale de Ram
Chanran, que nous allons retrouver dans « Rethinking Competitive
Advantage », est que les entreprises « classiques » doivent
abandonner une position défensive pour passer à l’offensive, pour éviter de se
faire « disrupter ». Contrairement à la citation de Pierre de
Coubertin, l’essentiel n’est pas de participer mais de gagner. Pour prendre une
métaphore sportive, la transformation digitale n’est pas une course, c’est la
préparation sportive nécessaire pour pouvoir gagner la course.
2. Rethinking Competitive Advantage
Le sous-titre du livre « Rethinking Competitive Advantage » est « New Rules for the Digital Age ». L’angle de Ram Charan est d’expliquer ce que le monde numérique change en termes d’avantage compétitif, avec un certain nombre d’idées clés, qui ont déjà été évoquées dans ses livres précédents. Il propose lui-même ce résumé en une ligne: « We have now seen several building blocks of competitive advantage: creating a market space by innovating for the consumer, putting a digital platform at the center, building an ecosystem, and figuring out the moneymaking ». J’ai choisi d’écrire ce court compte-rendu car je trouve son choix éditorial excellent, c’est une excellente boîte-à-outils pour comprendre comment la transformation digitale peut servir la stratégie de l’entreprise et assurer son succès dans un monde de plus en plus compétitif. Tout n’est pas nouveau ; on retrouve par exemple l’importance de l’exécution. Ram Charan a écrit avec Larry Bossidy « Execution: The discipline of getting things done », un livre que j’ai beaucoup utilisé et que je cite dans chacune de mes bibliographies. J’ai été frappé par la similitudes évidentes avec les « caractéristiques de l’âge numérique » que je mets en avant dans mon propre livre (une des raisons pour lesquelles ce billet sera court), mais je voudrais souligner ici:
- Le style direct et inimitable de Ram Charam, avec à la fois des formules chocs que son autorité et son expérience lui permettent d’écrire et des commentaires savoureux issus d’une longue pratique de conseil
- De nombreuses illustrations concrètes tirée de ses collaborations avec des entreprises phares, telle que Amazon (lire « The Amazon Management System » sur lequel je reviendrai dans un prochain billet).
Pour
éviter trop de répétitions et pour vous donner envie de lire le livre, je vais
me concentrer sur l’essentiel et, par exemple, laisser de côté les aspects de
culture d’entreprise et d’organisation, qui ne devraient pas vous
surprendre : « Great ideas often come from a handful of people
with different kinds of expertise working closely together ».
2.1 La réussite digitale nécessite de s’appuyer sur des plateformes et des écosystèmes
Je commence par ces deux points, ils sont les plus essentiels pour comprendre en quoi la stratégie des entreprises – comment développer leur avantages compétitifs – est modifiée par la digitalisation du monde (ou, une fois de plus, parce que le logiciel dévore le monde). Pour Ram Charan, les acteurs qui gagnent « ont une plateforme digitale dans leur cœur ». Ce n’est pas un objectif en soi, mais c’est un accélérateur de valeur qui est massivement différentiant: « A digital platform in and of itself is not an enduring competitive advantage, but not having one is a competitive disadvantage given everything it enables a company to do ». Les exemples proposés montrent que la plateforme co-évolue avec le développement de la stratégie et de la position dans l’écosystème. Une plateforme est un avantage pour de multiples raisons : elle fluidifie – donc accélère – les échanges avec les partenaires de l’écosystème, elle permet d’accumuler des données, elle crée des cycles vertueux – les célèbres « network effects » des plateformes bi-faces. Tous ces avantages se combine pour créer cet « accélérateur exponentiel » de création de valeur : « A digital platform is also the key to exponential growth … the data it gathers can point to opportunities for a new consumer experience that can be delivered by the existing platform ». La plateforme est une manifestation visible de la stratégie digitale car elle incarne les caractéristiques d’ouverture, d’agilité, d’adaptation permanente et de création de valeur à partir des données dont nous allons parler par la suite. C’est un outil d’apprentissage permanent qui exploite d’autres cycles vertueux : la plateforme produit des traces numériques dont l’utilisation algorithmique (section 2.6) permet d’améliorer l’expérience client pour progressivement découvrir leurs besoins de façon de plus en plus fine (plus de données => plus de richesse dans l’expérience => plus de pertinence => plus de données). Je vous renvoie à un billet précédent pour approfondir le rôle clé des plateformes dans la transformation digitale.
La deuxième caractéristique associée est
l’importance des écosystèmes. Ram Charan nous explique que les entreprises qui
gagnent « ont un écosystème qui accélère leur croissance ». Il va
même jusqu’à écrire dans ses « nouvelles règles de la
compétition » : « A company does not compete. Its ecosystem
does ». Plateformes et écosystèmes sont liés, mais l’argument ici est plus
général. Dans un monde de services ouverts, dans lequel le client « est
l’architecte de son expérience », toutes les entreprises, même les plus
grandes, ont besoin d’alliés pour aller plus vite et plus loin. Ram Charan cite
des exemples emblématiques des GAFAM – Apple et Amazon en particulier. On
retrouve ici l’impact majeur de la part croissante du logiciel dans la chaîne
de valeur.
2.2 Puisque (souvent) “le gagnant prend tout”, on constate des rendements croissants, et non pas décroissants.
Le monde numérique se caractérise par des coûts fixes importants et des coûts variables faibles. Qui plus est, le rôle central des plateformes et de leurs écosystèmes se traduit par des « Matthew effects » (the winner takes all), à cause des effets d’amplification des réseaux. L’exploration d’un marché ne présente plus alors le profil habituel des « rendements décroissants » (on commence par les clients les plus profitables, puis le rendement baisse) mais un profil opposé : « In a digital world with a first mover-advantage, companies should aim for “increasing returns”». Le pilotage financier d’une nouvelle activité est donc profondément différent, puisqu’il s’agit de gagner la course pour créer un avantage exponentiel, qui deviendra « une vache à lait » une fois sa position monopolistique acquise. Dans les « nouvelles règles de la compétition », il écrit : « Moneymaking is geared for huge cash generation, not earnings per share ».
Une partie importante du livre est
consacrée aux métriques de pilotage, avec l’exemple d’Amazon : « Bezos’s
business acumen was to focus not on earnings per share, Wall Street’s favorite
metric, but on revenue growth and cash gross margin ». La règle simplifiée
est bien la génération de cash qui est tout de suite ré-investie dans la
plateforme pour assurer sa croissance puis sa domination : « Funders
who recognize the law of increasing returns are willing to ease the liquidity
issues in the early going to reap exponential rewards later ». La
construction d’une plateforme n’est pas un investissement avec un business case
assuré, c’est un pari stratégique : « For a digital company,
capex looks like opex. Much of the
foundation for the business is not a hard asset, like a building or
manufacturing equipment, that requires capital expenditures (capex). The cost
of building the future takes the form of compensation paid to software
developers and other technology experts, licenses for external software and
services, and marketing efforts to build scale ». On retrouve l’argument
développé au sujet des plateformes bi-faces : « For many digital companies, especially
those that are building two-sided platforms, the need for large amounts of cash
comes very early on ».
2.3 Il faut être agile pour capturer les opportunités et décider vite pour être agile.
Une autre part importante du livre est consacrée à la nécessité des organisations agiles. Ram Charan insiste sur l’importance de la culture qui crée les conditions pour tirer de la valeur de ces nouvelles méthodes de travail (l’agilité est bien ici un principe d’organisation et d’exploitation des opportunité, pas seulement une méthode de développement logiciel). On retrouve facilement les principales caractéristiques d’une organisation agile: “Breaking work into bite-size missions and giving stand-alone teams the autonomy to figure out the “how” leads to faster, better decision-making. Coupled with agile methodologies borrowed from the world of software development and fast feedback enabled by a digital platform, teams can quickly test a prototype, or minimum viable product (MVP), and use data to revise and relaunch it very quickly. Cycle times for innovation get shorter, and risk is reduced”. Cette organisation fonctionne d’autant mieux que les individus ont assimilés et se sont approprié les principes de l’agilité, ce qui fait de la culture d’entreprise des champions digitaux un « moteur social » : « One of the greatest and least recognized competitive advantages that today’s digital giants have over traditional players is a powerful social engine that drives their exponential growth». Une des caractéristiques de ce « social engine » est la capacité à décider rapidement. C’est à la fois une question de mindset personnel (un sens de l’urgence) et d’organisation collective (une capacité à rendre les équipes les plus indépendantes possible).
Comme chez Amazon, le recrutement et
la solidification des pratiques qui incarnent la culture doivent se développer
de façon conjointe : « Once
established, the culture becomes a magnet for others who share those values and
behave that way—for example, for those who care more about learning and
contributing than accumulating power by whatever means. It
becomes self-perpetuating ». Je vous laisse lire le livre pour
découvrir ce que Ram Charan considère être les points clés des « digital
leaders ». Sans surprise on retrouve l’importance de la synchronisation et le
fait que le leader est un facilitateur
du travail de ses équipes : « Team leaders who adhere to the principles of simultaneous
dialogue, where everyone hears the same thing at the same time, and servant
leadership, that is, helping others achieve a higher purpose, expand a team’s
collective learning and fire up people’s imagination ». Même si
ce n’est pas le sujet du livre, la question du passage à l’échelle des
pratiques agiles est évoqué de temps à autre et on retrouve des bonnes
pratiques telle que le « PI planning » : « Coordination
is also facilitated through “big room planning.” Once a quarter, the top hundred leaders gather in a
room to review all of their interdependencies ».
2.4 La meilleure façon de créer de la valeur de la transformation digitale est de gagner la compétition de la personnalisation
Dans ses « nouvelles règles de la compétition », Ram Charan écrit « A personalized consumer experience is key to exponential growth ». Pour lui, l’aspect le plus important de la révolution numérique est le fait de permettre de créer des expériences uniques et personnalisées. Cela passe évidemment par un souci permanent de comprendre les attentes et retours d’expériences de ces clients. Je vous laisse lire les pages savoureuses sur la difficulté qu’ont les grandes entreprises à être « customer centric » pour de vrai. Il décrit le comportement « product centric » de certaines entreprises avec lesquelles il a travaillé : « That perspective has to radically change. Every company must understand that their ultimate customers are the human beings who consume or use the products or services that their business provides or contributes to. I intentionally use the words consumer and end user instead of customer throughout this chapter to reinforce this critical distinction. Every so-called B2B (business to business) or industrial company must be as riveted to the end user as a retailer or consumer goods maker ».
Cette recherche de la personnalisation est une quête continue, en forme du
cercle vertueux évoqué dans la première section : « Leaders should
strive for personalization at every touch point in the customer journey. As you will see in the next chapter, an earnest search
will reveal opportunities to create a huge new market space ». Tout comme Ash Maurya nous le rappelait
dans « Running
Lean », Ram Charan insiste sur l’importance de l’observation et du contact
direct avec les utilisateurs : « However
sophisticated the data and methodology, analysis of the customer journey can
only supplement, not fully replace, unfiltered observation of the consumer ».
Dans une perspective que je qualifierais de “lean”, Ram Charan encourage
tous les employés à aller voir ce qu’il se passe sur le terrain : « Every leader and employee should
look for opportunities to directly observe consumers and reflect on why their
experience is the way it is. Why are people behaving that way or doing things
the way they do? What is unsatisfactory to them? What might a consumer wish
would happen differently? What is missing? Simple questions like these can
generate powerful insights ». On trouve d’ailleurs dans le livre des remarques
qui font penser à Rich Sheridan et ses « products
anthropologists » : « He
brought this group together and assigned them to go into the field as consumer
anthropologists and reconvene to share their observations ».
2.5 L’apprentissage permanent est une condition essentielle pour durer
Parce que le monde numérique est nourri par des technologies exponentielles – je vous renvoie ici bien entendu au best-seller « Exponential Organizations » - les compétences doivent être développées en flux continu, et n’ont qu’une durée de vie limitée : « Core competencies have a shelf life. They become obsolete, and new ones have to be built. Today, because of the availability of information, the consumer rules the day, yet rarely do I see a company describe a core competence in understanding the end-to-end consumer experience ». On pourrait penser qu’il enfonce ici une porte ouverte, tant le besoin de l’apprentissage permanent est maintenant universellement reconnu. Il n’en est rien. Le besoin d’apprendre des nouvelles choses est en effet globalement accepté, mais la réalisation que ce qui a été appris ne fonctionne plus et doit être laissé de côté est plus difficile. Ram Charan souligne avec des exemples à quel point il est difficile de remettre en cause ce qui a été construit : « Guess what they don’t include, ever. They never show the shelf life of their competitive advantage. They omit a clear description of why the consumer prefers them. They reflect no deep understanding of the end-to-end customer experience, which includes every interaction with the company from first exposure to the product or service to usage and repairs or service later. Finally, and most important, they ignore future competitors that may come into their space and how the competitive actions and reactions might play out ». On retrouve ici l’idée de la citation célèbre de Alvin Toffler: « The illiterate of the 21st century will not be those who cannot read and write, but those who cannot learn, unlearn, and relearn ».
Organiser l’entreprise pour permettre cette remise en cause permanente,
qui fait partie de l’apprentissage continu, est un des objectifs d’une
entreprise agile. Ram Charan décrit quelques exemples qui
s’appuient sur un « modèle Spotify » : « Chapter leaders have the responsibility to help set
the strategy for the tribes, develop the skills and expertise of their people,
and coach their performance on an ongoing basis ». Il ne s’agit pas simplement
d’organiser, apprendre de façon continue est la responsabilité de tous dans
l’entreprise, y compris des managers et des dirigeants : « Leaders
are expected to keep learning, too. The top two hundred people at Fidelity PI took classes
at MIT to learn about basic algorithms ».
2.6 La maitrise des données et des algorithmes est un avantage compétitif majeur
Je termine avec une dernière « nouvelle règle de la compétition » : « Algorithms and data are essential weapons ». Il ne s’agit pas d’une nouvelle idée, il s’agit d’un moyen pour réaliser les impératifs précédents : une expérience client unique et personnalisée, ou la croissance d’une plateforme au sein d’un écosystème. Comme le remarque Ram Charan: « What is needed to serve each individual customer, anytime, anyplace, billions of times every day? Algorithms ! ». Dans une approche qui rappelle l’effectuation, Ram Charan insiste sur le besoin de commencer tout de suite, avec des moyens qui sont facilement à disposition : « Acquiring the necessary technology is getting easier and less expensive, so it should not be seen as a barrier. There’s no need to hire armies of technologists to build new systems from scratch. Algorithms can be bought and reverse engineered, and computing power, data storage, and even algorithmic capability is available in the cloud ». L’expertise pointue se co-développe avec la croissance de la plateforme, ce n’est pas une condition nécessaire pour commencer. Plus que les algorithmes qui vont se raffiner de façon progressive, ce qui compte pour développer ses armes compétitives c’est l’ingénierie de données – une fois de plus, je vous renvoie au rapport de l’Académie des technologies - qui assure une circulation fluide et facile (se débarrasser de ses fameux « silos ») : « You have to ensure that the data you need flows freely and can be made compatible ». La transformation pour devenir une « data-driven company » est l’affaire de tous, et c’est une question de culture et d’attitude, tout autant qu’une question de technologie. Ram Charan propose ces deux descriptions pour qualifier ce qui est attendu d’un leader digital:
- They have a facility for and are comfortable with data-based analysis. Facts and knowledge—not predictable outcomes—give them the courage to act.
- They are literate in the application of algorithmic science and value fact-based reasoning. But they know that data is not always sufficient.
Les circuits de renforcement entre la richesse de l’expérience, la qualité des données et la pertinence algorithmique est une des idées fondamentales du livre, une clé de compréhension du monde digital. Ram Charan donne des exemples tirés d’Apple et d’Amazon. L’exemple d’Apple dans le monde de la santé illustre l’importance d’une stratégie de données construite comme pivot d’un écosystème. On y retrouve le concept essentiel de fédération, qui permet de combiner collaboration, flexibilité, autonomie et dépendance : « As the company moves into healthcare, Apple is using a “federated” computing model that keeps data on individuals’ devices rather than in the cloud, and applies encryption technology and other security measures to protect access to that data». Amazon offer une illustration parfaite du cycle data/algorithm/experience : « While Amazon’s engagement with customers is well known, the company gathers data from critical points in its operations as well, such as the point where the box is sealed and ready to be shipped ». Ce cycle produit une amélioration continue des algorithmes qui sont essentiels à la plateforme, tels que les algorithmes de recommandation : « As Stone writes, that algorithm, called Similarities, was “the seed that would grow into Amazon’s formidable personalization effort.” In the many years since then, Amazon has greatly increased its ranks of computer scientists, who continually create, refine, and enhance its algorithms ». Cette efficacité algorithmique se transforme également en avantage économique, permettant d’augmenter l’efficacité et de réduire les coûts : « Along with the efficiency of generating huge revenues from its digital platform and AWS, Amazon’s use of algorithmic and robotic automation helps explain why its G&A cost is less than 2 percent of revenues ». Ram Charan parle beaucoup d’Amazon qu’il connait bien, mais les mêmes observations peuvent être faites à propos de Netflix: « Netflix spent three years developing an algorithm that reduced churn by analyzing the relevance of content and the demographics of customers who left and did not come back ».
J’ai déjà exprimé dans un billet précédent le paradoxe du monde VUCA et digital dans lequel nous vivons, au sujet de la prévision. D’un côté la nature VUCA rend la prévision à moyen / long terme très difficile – voire impossible et donc dangereuse – de l’autre, la digitalisation et l’amélioration des outils rend à court / moyen terme de plus en plus précise et efficace. Cette frontière est fascinante, elle dépend bien sûr du problème à traiter. On peut à la fois embrasser les thèses de Philippe Silberzahn et Nassim Taleb tout en admirant la puissance et l’efficacité des géants du Web (Google, Amazon, Netflix, Critéo, etc.) dont l’efficacité s’appuie sur des plateformes « intelligentes » qui sont en premier lieu des algorithmes de prévision. Il y a un autre argument plus subtil en faveur de la prévision (fausse) dans un monde complexe : c’est un outil efficace pour apprendre en corrigeant ses modèles complexes. On retrouve ici deux idées clés : la première, portée par Yann LeCun, est que la manifestation la plus visible de l’intelligence est la capacité de prévoir. La seconde m’a été enseignée il y a plus de 30 ans par Hervé Le Lous dans ses cours d’analyse de la décision : il n’y pas de véritable apprentissage sans « skin in the game ». Faire une prévision oblige à prendre parti, « à se mouiller ». Notre cerveau et nos biais cognitifs nous poussent en permanence à la réinterprétation, à la revisite et reformulation pour éviter de reconnaître que nous nous sommes trompés. Une prévision manifestement fausse, si elle est associée à des hypothèses explicitée (un modèle mental), est un outil pour remettre à jour sa vision du monde et apprendre de la sorte. C’est très exactement le principe du Lean Startup.
3. Conclusion
Je vais terminer ce billet en soulignant quatre idées qui me
semblent essentielles et qui sont superbement illustrées dans le livre de Ram
Charan. Une lecture superficielle pourrait faire penser que j’enfonce ici
« quatre portes ouvertes ». Il n’en est rien, même si ces idées sont
simples, elles représentent une véritable révolution, difficile pour la
majorité des entreprises, au cœur de la transformation digitale :
- La nature des avantages dans le monde digital fait qu’il faut bien parler de compétition : il y a un avantage pour celui qui part le premier, et il y a également rapidement un avantage de taille pour les écosystèmes – il faut donc choisir les bons.
- Pour prendre une métaphore sportive, il faut penser à un sport collectif. L’écosystème des partenaires est une équipe avec laquelle l’entreprise va gagner, elle ne peut pas le faire seule.
- Dans ce monde numérique moderne, l’excellence opérationnelle est une exigence des clients. Il faut arriver dans la compétition digitale en étant préparé, avec une parfaite connaissance de ce qui est attendu et de ce que les meilleurs joueurs font.
- La vitesse de jeu compte, la compétition digitale est un théâtre qui change en permanence. La vitesse de décision et d'action est un avantage compétitif majeur.
Top ! Un grand merci pour ce riche résumé et la bibliographie associée, je vais acheter le livre du coup.
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