dimanche, novembre 14, 2010

Petite bibliographie d’architecture organisationnelle

Je termine les dernières notes du livre que j'ai écrit cet été et j'en profite pour relire quelques classiques et mettre de l'ordre dans mes idées. Je vais commencer aujourd'hui par faire une liste de mes livres préférés sur ce sujet, ce qui constitue ma « petite bibliothèque de l'organisation (des entreprises) ». Elle est plus fournie que celle de 2005, et j'ai déjà commenté dans des billets précédents une partie des livres qui sont cités (le reste suivra un jour …). Un autre exercice intéressant serait de faire une petite bibliographie des livres pratiques sur le management (dans laquelle on retrouverait les « grands témoins »). En attendant, voici ma sélection :

  • Bolman L. G., Deal T.E., Reframing Organisations – Artistry, Choice and Leadership. Jossey Bass, 2003.
    c'est le premier livre que j'ai lu sur le sujet de l'organisation et qui reste pour moi une référence, parce qu'il distingue 4 plans (structure, politique, ressources humaines, symbolique) et qu'il explique chacun de façon remarquable. Le thème de ce blog s'inscrit dans le plan structurel, mais il faut rester modeste : les aspects structurels sont souvent masqués par les autres plans. En particulier, les dimensions symboliques des organisations sont très importantes (ce que j'ai appris en étant DSI pendant 5 ans). Dans sa première partie sur la structure, ce livre fait la part belle aux schémas de Mintzberg, qui distingue dans l'organisation : the strategic apex (direction générale), la techno structure, le support staff, le middle line et the operating core. Ce schéma assez simple permet de faire quelques considérations sommaires selon les tailles relatives de ces 5 éléments, mais cela ne déflore pas le sujet de l'architecture organisationnelle.
  • Drucker P., The Essential Drucker. Collins Business, 2005.
  • Drucker P., Management Challenges for the next century,. HarperBusiness, 1999.
    Ces deux livres sont des synthèses ou des collections d'articles, qui permettent de se familiariser avec la pensée de Drucker. En attendant de faire ma propre synthèse, voici quelques pépites. Tout d'abord Drucker défend les hiérarchies (« One hears about the end of hierarchy. This is blatant nonsense"), mais milite pour des organisations hétérogènes, qui mélangent différents principes ("There is a need for a number of different management structures coexisting side by side"). Drucker fait également un double playdoyer pour les structures et la culture d'entrepreneur ("Organizational Structure is needed", "For the existing business to be capable of innovation, it has to create a structure that allows people to be entreprenarial"). Peter Drucker est agreeable à lire à cause de son sens des formules. Par exemple, sur le sujet souvent abordé dans ce blog de la communication : « The so-called communicator, the person who emits the communication, does not communicate. He utters. Unless there is someone who hears, there is no communication, there is only noise. » En revanche, et même si Drucker est probablement le père du concept de "Knowledge Worker" que j'utilise beaucoup, je n'ai pas trouvé beaucoup d'insights sur l'architecture organisationnelle à la lecture de ses livres.

  • Gabarro J. (ed), Managing People and Organizations. Harvard Business Review Press, 2005.
    Ce livre est une sélection des meilleurs articles de la Harvard Business Review sur ce sujet, c'est une véritable référence et un plaisir à lire. J'apprécie particulièrement les contributions de Kotter et de Mintzberg. Voici par exemple une citation de Kotter que j'ai déjà reprise : « Management is about coping with complexity. Its practices and procedures are largely a response to one of the most significant developments of the twentieth century: the emergence of large organizations. Without good management, complex enterprises tend to become chaotic in ways that threaten their very existence. Good management brings a degree of order and consistency to key dimensions such as the quality and profitability of products. Leadership, in contrast, is about coping with change. Part of the reason it has become so important in recent years is that the business world has become more competitive and more volatile ». Parmi les thèmes qui sont bien traités, on trouve le rôle du manager et la gestion du temps. Tout n'est pas excellent, l'article qui traite exactement du thème de ce blog, « Organization Design », est creux et verbeux.

  • Galbraith J., Designing Organizations. Jossey-Bass, Wiley, 1998.
  • Galbraith J., Designing the Customer-Centric Organizations. Jossey-Bass, Wiley, 2005.
    Jay Galbraith est le spécialiste de l'organisation orientée client. Le chapitre 2 de « Designing Organizations » est le meilleur texte que je connaisse sur le design organisationnel (on pourrait ajouter les classiques schémas de Mintzberg, mais je préfère Galbraith). On y trouve « the star model » (qu'on retrouve dans le livre de Lawler), et une vraie discussion dans le chapitre 3 sur les liens entre la structure de l'organisation et les propriétés de l'entreprise (le vrai sujet, en fin de compte). On trouve également les différents leviers, ou autrement dit les différents traits (plat ou profond, central ou décentralisé, hiérarchique ou matriciel, différent types d'alignement sur les processus métiers, selon différentes catégories, etc.). Galbraith est un avocat de la flexibilité et du changement en termes d'organisation. Le monde de l'entreprise n'est pas figé, son organisation doit évoluer constamment (d'autant plus que toute organisation est un compromis entre des objectifs contradictoires). Le chapitre 8 est consacré à l'organisation orientée client, c'est un résumé de ce que l'on trouve dans le deuxième livre. Ce deuxième livre est plus pratique et plus appliqué, et, selon moi, moins intéressant J Il contient plein de conseils pratiques pour mettre en œuvre cette « organisation orientée client ».

  • Hamel G., The Future of Management. Harvard Business School Press, 2007.
    J'ai failli ne pas citer ce livre car j'ai été déçu à sa lecture, surtout avec un titre aussi intéressant. Avec le recul, il reste une bonne lecture et contient quelques passages fort intéressants, en particulier sur pourquoi les entreprises américaines ont autant de mal à appliquer les principes du lean management façon Toyota (cf. mon prochain livre J). Il traite beaucoup du management de l'innovation, un sujet clé pour lequel j'ai une autre bibliographie avec une quinzaine de livres ! Le livre se termine avec quelques pages sur le « management 2.0 » qui reprennent ce à quoi on peu s'attendre en lisant par exemple le blog de Cavazza ou de Duperrin. Même si elles ne sont pas très originales, les idées du « management du futur » sont convaincantes : on y trouve la variété (une leçon de la biologie), la flexibilité (une leçon des marchés), l'activisme (au sens 2.0, de la démocratie), le sens (un point clé de la motivation, cf. Daniel Pink et sa sublime vidéo … si vous le l'avez pas vue, laissez tomber ce blog et allez la voir !) et la sérendipité (une leçon des villes). De façon plus générale, tout comme Galbraith, Gary Hamel est un promoteur de l'innovation dans le management. Les trois leçons qu'il propose à ce sujet sont savoureuses : (1) l'innovation de management redistribue le pouvoir, donc ne vous attendez pas à plaire à tout le monde, (2) au début, le coût de l'innovation est plus visible que ses bénéfices et (3) ne soyez pas timide (pensez Google J).

  • Jarosson B., 100 ans de Management – Un siècle de management à travers les écrits. Dunod, 2004.
    Un livre que je recommande chaleureusement (c'est le seul livre en français de la liste, et le plus facile à lire, tout en étant dense). Une excellente source pour se remémorer les idées des grands penseurs de l'organisation du début du 20e siècle (Taylor, Fayol, Weber, Mayo, Coase). Le chapitre 5, sur la motivation avec les fondamentaux (Maslow, Herzberg, …) et une introduction à l'analyse transactionnelle, est excellent. Beaucoup de référence à Mintzberg, en particulier dans le chapitre 9 sur la dimension structurelle (et les organisations matricielles).

  • Lawler E., From the ground up : six principles for building the new logic corporation. Jossey-Bass, 1996.
    Un livre qui n'est pas sans rappeler celui de Langdon Morris. Le point de départ est que l'organisation hiérarchique « work best as long as work is simple and stable ». Sur la base d'une séparation entre « old logic » and « new logic », on retrouve le principe de « creating order out of chaos » (le chaos est créé par les nouvelles conditions du business : rapidité, hyper-compétition, incertitude, etc.). Lawler s'inscrit dans la suite de McGregor, et de ses Théories X (le fondement des grandes organisations hiérarchiques du 20e siècle) et Y (un modèle plus participatif fondé sur la motivation, que l'on retrouve facilement dans les principes des start-ups, par exemple). A titre d'exemple, et pour citer un proverbe chinois qui illustre le concept de « level 5 leader » de Jim Collins (clairement un point de vue de la Théorie Y), « The best leader is one who, when he is gone, they will say we did it ourselves ». On y retrouve également les fondements de l'organisation orientée-client, construite autour de ses processus métiers. Le cœur de l'organisation est la motivation des employés, avec une vision très proche du lean selon Toyota (engagement et sens de la valeur que chacun apporte au client). Très logiquement, les équipes jouent un rôle fondamental dans cette « nouvelle » organisation (cf. Chapitre 7). Sur le sujet de la théorie X et Y de McGregor, je vous recommande l'excellent article de Matthew Stewart, « Theory U and Theory T », qui commence par une analyse des travaux de McGregor et de leur influence sur le management d’aujourd’hui, avant d’introduire deux axes : U(topian) et T(ragic) qui lui permette de rafiner les Théories X et Y selon une matrice à quatre cases.

  • March J., Simon H., Organizations. Second edition, Blackwell Business, Cambridge, 1993.
  • Morgan G., Images of organization. Sage Publications, 2006.
  • Mintzberg H., Managing. Berett-Koehler Publishers, San Franciso, 2009.

  • Morris L., Managing the Evolving Corporation. Van Nostrand Reinhold, 1995.
    Ce livre de Langdon Morris a joué un rôle important dans l'évolution de mes idées et je m'appuie dessus dans mon livre precedent, ainsi que le prochain. Il méritera que je lui consacre un billet entier. Par exemple, il explique très bien le concept « on the edge of the chaos », une application de la
    théorie de la complexité. Le domaine de la complexité s’inscrit dans l’interface entre l’ordre et le chaos, c’est là qu’on trouve l’émergence, l’auto-organisation, la vie (cf. le billet précédent). Sa plus grande contribution est de montrer pourquoi le modèle de « contrôle-commande » propre aux hiérarchies et aux bureaucraties doit être remplacé par un modèle « reconnaissance- réaction » qui s’appuie sur la distribution des responsabilités et une organisation en réseau (ceci est expliqué en détail dans mon précédent livre). En quelques mots, il s’agit d’une question de stabilité, de variabilité (en particulier de ce qu’il appelle « the rate of change »), et d’incertitude. Les conditions d’efficacité de l’organisation « contrôle commande » ne sont plus remplies. Ecrit en 1995, ce livre est prémonitoire des caractéristiques de l’entreprise 2.0 (cf. le chapitre 3 et ses caractéristique de l’organisation du futur). Evolution et Apprentissage sont les maitres mots, je vous renvoie à mon prochain livre, intitulé « Processus et Entreprise 2.0 ».

  • Nadler D., Gerstein M., Shaw R. and Associates, Organisational Architecture, Jossey Bass (Wiley), 1992.
    Un recueil d’articles qui part un peu dans tous les sens. Le 8e, « teaching organizations to learn : the power of productive failures » est le plus intéressant, meme s’il traite moins de “design organisationnel” que les autres chapitres. De même le 6e chapitre sur la gestion de la qualité totale est absolument remarquable. Le cœur du livre est le chapitre 5 qui décrit les « high-performance work systems », autrement dit les organisations de demain. On y retrouve un mélange des principes du lean (customer-centric, organizational learning, capacity to reconfigure, control of variance at the source) ainsi que des principes des organisations en réseau/bottom-up telles que décrites par Langdon Morris. Les 60 premières pages contiennent des généralités sur l’architecture organisationnelle, qui sont assez banales même si plaisantes à lire.

  • Perrow C., Complex Organizations – A Critical Essay. Mc Graw-Hill, 1986.
    Au-delà de ce que j'ai déjà écrit sur ce livre, il faut noter le premier chapitre "Why bureaucracy ?" qui contient une analyse très construite des forces et faiblesses du modèle de l'organisation du 20e siècle (je vais y revenir). Parmi mes citations préférées : « Bureaucracies are set up to deal with stable, routine tasks », « Organizations remember by doing . They keep records and write manuals, but memory involves more than this … routines are the skills of the organization». Ce dernier point sera développé dans mon prochain livre … Je n'ai pas cite "An Evolutionary Theory of Economic Change" de Nelson & Winter, car c'est un livre plus difficile d'accès, mais Perrow le cite abondamment.

  • Senge, P., The Fifth Discipline. Currency Doubleday, 1995.
    Je m'aperçois à cet occasion que je n’ai toujours pas fait de résumé dans ce blog, une lacune que je vais essayer de réparer bientôt. Il ne s’agit pas d’un livre de théorie du management, mais bien d’une contribution à la théorie de l’organisation parce que Peter Senge place l’entreprise au centre d’une analyse systémique. Il en déduit l’importance de l’apprentissage, et plus précisément de la capacité à apprendre des nouvelles compétences en continue (le « double loop learning » de Chris Argyris). Cette vision systémique conduit également Senge à parler de « the illusion of being in control », avec un accent sur le « localness » et l’humilité qui n’est pas sans rappeler le lean. Comment apprendre dans un monde complexe ? en équipe ! Le chapitre 12 (« Team learning ») est également une référence dans la communauté du lean (à la quelle Peter Senge contribue).

  • Shafritz J. M., Ott J.S., Classics of Organisation Theory. Wadsworth, 2001.
    C’est le livre le plus “universitaire” de cette liste, puisqu’il s’agit d’une collection d’articles et de textes qui ont marqués l’histoire du management. A lire après avoir lu Jarosson, c’est plus un ouvrage de référence (pour pouvoir lire la pensée originale de Fayol, de Taylor ou de Weber). Le texte célèbre de Simon sur l’administration est remarquable et très instructif. On y retrouve également un texte de Peter Senge tiré de «The Fifth Discipline ». Le chapitre 5, intitulé « Systems Theory and Organizational Economics » est entièrement dédié à des sujets connexes avec ce blog. On y retrouve les fondamentaux que sont les systèmes complexes, la théorie des transactions, et l’analyse des finalités de l’organisation
    .

Qu’est-ce que tous ces livres ont en commun ? Ils partagent la conviction que le mode d’organisation de l’entreprise doit évoluer au 21e siècle, pour quitter la bureaucratie (au sens de Max Weber) et introduire une forme de réactivité émergente basée sur des réseaux dynamiques (si cela ressemble à de l’entreprise 2.0, ce n’est pas un hasard). Selon Max Weber, la bureaucratie, qui est une évolution de l’organisation hiérarchique, se distingue par quatre caractéristiques :

  • Le principe de compétence (la séparation de la décision et de l'action, qui permet de spécialiser et de développer des compétences abstraites)
  • Le principe d'ordre/contrôle (« control-command » en anglais, cf. le livre de Langdon Morris)
  • La séparation des intérêts privés de l'intérêt général, avec l'émergence de l'entreprise en tant que personne morale
  • La supériorité des règles sur les relations personnelles (les procédures et les standards).

On reconnait dans ces traits des avantages déterminants pour les entreprises du 20e siècle (je ne développe pas, c'est précisément très bien fait dans les livres que je viens de citer). Lire par exemple « In praise of Hierarchy » de Jacques Elliott dans « Managing People and Organizations ». La bureaucratie se prête parfaitement à l'optimisation fonctionnelle et à la spécialisation, elle hérite naturellement du management scientifique de Taylor (même s'il ne faut pas confondre les deux - la fin du billet sur le « Business Process Communication Model »). La bureaucratie est une organisation « scalable », à même d'affronter des grands défis et de croitre pour mobiliser des ressources considérables (on pense au challenges de la NASA ou aux grandes entreprises américaines). La décomposition permet la spécialisation, la séparation de la pensée et de l'action favorise la capitalisation, la scalabilité (une fois de plus), l'optimisation.

En revanche, tous ces avantages s’appuient sur une certaine stabilité des tâches à accomplir. La critique de la bureaucratie (Lawler, Morris, etc.) commence toujours par établir les limites en termes d’agilité et de flexibilité. L’approche lean est précisément une critique de la séparation pensée/action face à des défis complexes et changeants. Le « control-command » doit laisser la place au « recognition-response » dans un environnement incertain : c’est sur le terrain qu’on reconnait les opportunités, pas dans une « tour de contrôle », fut-elle un panoptique. La bureaucratie engendre des flux importants de communications, qui augmentent de façon non-linéaire avec la taille et l’incertitude. C’est le sujet de la moitié des billets de ce blog J L’organisation du 21e siècle doit reprendre le contrôle de ces flux de communication et favoriser des circuits plus courts et plus rapide. C’est le mariage du lean et du 2.0, ce qui est précisément le sujet de mon prochain livre.

Pour conclure, il existe un excellent site (MIX : Management Innovation eXchange) sur le management de demain dont je vous recommande le manifesto. En attendant la sortie de "Processus et Entreprise 2.0", c’est une excellente synthèse de ce que peut être l’organisation de demain, post-bureaucratie, et avec un rôle allégé et différent de la hiérarchie (car, comme Drucker, je ne crois pas à une grande organisation sans hiérarchie).