lundi, avril 01, 2013

Entretien avec Tim Equysse, le candidat qui part battu d’avance


J’ai eu l’opportunité de rencontrer Timothée Equysse lors de la conférence CASPI 2013 à Marseille. CASPI (Conférence sur l’Application de la Systémique aux Problèmes Insolubles)  est une conférence peu connue et quelque peu ésotérique sur les systèmes complexes qui rassemble avant tout des chercheurs français mais également quelques européens. L’intérêt de cette conférence, qui ressemble plus à un workshop, est d’attirer des participants de tous les horizons, y compris des acteurs du monde politique.


Tim Equysse est un conseiller général d’Ile-de-France qui est un avide lecteur de Nassim Taleb (Antifragile), de Acemoblu & Robison (Why Nations Fail) ou encore de Brynnjolfsson & Mc Afee (The Race Against the Machines). Ces trois livres ont certainement nourri ma réflexion politique ces derniers mois et nous avons rapidement sympathisé. Il a fait sienne la remarque de Nassim Taleb : « the central problem we face with top-down tampering with political systems … » et prône une action « émergente » sur les causes profondes plutôt que « volontaire »  et « top down » … sur les symptômes. J’ai apprécié son approche qui relève du « jardinage », mais je lui ai fait remarquer que ses propositions avaient peu de chance de plaire aux électeurs. Sa réponse est qu’il cherche à éduquer, face à des choix difficiles, plutôt que de convaincre. Tim s’inscrit dans la ligne de François Bayrou, mais plutôt que de rassembler « à droite et à gauche », ses dix propositions sont de nature à faire fuir les électeurs de droite comme de gauche.

Voici un petit résumé de son programme, avec mes propres termes systémiques sur le discours de Timothée, qui est plus politique et plus structuré que ce que j’en rapporte (Tim est diplômé du Master de Systèmique Complexe Appliquée aux Territoires de l’université de Toulouse avant de faire l’ENA – Promotion Hobbes).
  1. Dans une approche lean qui favorise le lead time et les petits lots, Tim propose de fluidifier le marché du travail, d’une part en facilitant grandement l’embauche et le licenciement et, d’autre part, en changeant la granularité pour faciliter les tâches de courtes durées et à charge partielle (quart de temps, mi-temps, etc.). Le marché du travail doit permettre de favoriser « le mode projet » dans lequel beaucoup d’individus gravitent autour des entreprises avec un ou plusieurs contrats, avec un modèle hybride d’auto-entreprenariat et de portage salarial.
  2. Un des principes systémiques est l’adaptation à l’environnement, c’est pourquoi Tim Equysse propose de réduire les salaires en les compensant par une réduction du coût de la vie pour les besoins élémentaires. « Le Monde est plus grand que la France, c’est à nous de s’adapter et pas l’inverse ». Son idée est de réduire progressivement le SMIC au fur et à mesure que les actions de l’état pour réduire le coût de ces fonctions primaires (logement, alimentation,  transport et chauffage, santé, éducation) sont effectives.
  3. Tim est un adepte de l’homéostasie, c’est pourquoi il cherche à progresser par petits déplacements, en constatant les effets avant de poursuivre, ou non, la modification. Par exemple, il souhaite supprimer la fiscalité qui pèse sur le travail (pour remettre la France dans un contexte compétitif au plan mondial). Son approche consiste à supprimer de façon progressive les taxes/impôts/prélèvements qui sont attachés aux salaires, tant que le taux de chômage est trop important et que les balances de la France sont déséquilibrées. Il ne sait pas jusqu’où il faut aller et ne prétend pas le savoir.
  4. Sa vision systémique le conduit à s’intéresser aux flux de valeur ajoutée et à prôner une taxation finale qui ne décourage pas plus la création de valeur sur le sol français que celle qui a lieu à l’étranger. Cela conduit à une « TVA sociale » qui rappelle certaines propositions faites par les deux camps, mais qui va plus loin. Non seulement cette taxation inclut une taxe carbone payée par les consommateurs pour favoriser l’économie locale, mais elle renforce la segmentation entre usages de nécessité et usages de confort, en reprenant le concept de panier énergétique du gouvernement socialiste actuel.
  5. Tim est l’inventeur du concept de « bouclier fiscal dynamique » dont le principe est de limiter les prélèvements et impôts à un pourcentage qui est égal à l’âge du contribuable (plafonné à 65 ans). Cette asymétrie a pour but de favoriser la création de valeur chez les plus jeunes et d’encourager la solidarité des plus âgés, qui sont par construction plus responsables de l’état pitoyable de notre dette nationale. Lorsque je lui ai fait remarquer qu’il combinait l’impopularité du concept de « bouclier fiscal » avec la provocation d’un discours qui remet la génération « sénior » face à ses responsabilités, il m’a fait remarquer « qu’au moins, il serait populaire auprès des footballers ».  
  6. Le mémoire de Master de Tim portait sur la cybernétique et les mécanismes de contrôle asservis, il en a conservé un goût pour la régulation auto-adaptative. Sa proposition est d’imposer un (faible) taux de réduction des dépenses de l’état en fonction de la taille de la dette, au-delà de ce qui est raisonnable. A 80% du PNB, une réduction de 2% par an est demandée, à 100% on passe à 4%. Cela rappelle le « fiscal cliff » américain, mais c’est un mécanisme continu et plus doux, mais qui joue sur les effets de composition. En exigeant des efforts continus de réduction de quelques pourcents, on évite les « coups de hache » du modèle américain. L’état est libre de jouer sur les recettes pour s’adapter à la conjoncture, mais un mécanisme constitutionnel encadre ses dépenses.
  7. Timothée Equysse est persuadé que le coût de l’énergie est une variable systémique clé pour permettre à l’écosystème industriel français de regagner en compétitivité. Ses positions en faveur de l’énergie nucléaire et de la prospection des gaz de roche-mère n’ont pas été appréciées pendant la conférence. Tim n’est pas un « conservateur énergétique », il prône une réduction de la consommation et l’adaptation progressive à la raréfaction programmée (à long terme) des énergies fossiles, mais il souhaite que cette adaptation soit financée par des modèles vertueux au-dessus d’une énergie produite à un coût compétitif par rapport à la scène internationale.
  8. Pour ce qui est des retraites, Tim a été très impressionné par Philippe Aghion et le modèle Suedois. Il est possible de construire un modèle équilibré qui s’appuie sur la flexibilité. Tim avait proposé une équation qui résout le problème, mais je n’ai pas eu la place de la noter dans la marge de mon cahier. On retrouvait un principe de retraite à points, avec un minimum garanti et une valeur dynamique du point qui reflète la santé de l’économie.  Tim a commencé par rappeler que les retraites devaient baisser, mais que la combinaison d’une activité rémunérée et d’une retraite fonctionnait très bien dans de nombreux pays.
  9. Il s’inspire également du modèle Suédois pour proposer un plan de compétitivité numérique qui est beaucoup moins timoré que ce qu’on proposé les différents gouvernements ces dix dernières années. Il veut garantir à tous les citoyens une infrastructure numérique en termes de réseaux, données et moyens de calcul. La Suède a subventionné l’achat des PC par les citoyens pour augmenter la pénétration de l’économie numérique. La Corée soutient son industrie et ses opérateurs avec des réglementations et des conditions qui favorisent l’investissement et le développement. Tim souhaite que l’état investisse dans des infrastructures pour que chacun, citoyen ou entrepreneur, ait accès à la fabrique numérique (y compris l’accès aux données publiques) qui nous permette d’être dans le peloton de tête dans la course à l’innovation numérique.
  10. Ce qui m’a le plus intéressé dans l’exposé de Tim lors de la session de CASPI (il intervenait dans la session du 22 Février intitulée « Le déclin est-il une spirale inéluctable ? ») est précisément son analyse sur les causes profondes de notre déclin. Il est parti d’une chaine causale fort simple :  valeurs (a sens de la  culture) > éducation > connaissance > entreprenariat > valeur (au sens financier). Il en a déduit des « mesures de jardinage » pour travailler sur nos causes profondes, pour remettre l’éducation classique et le savoir à l’honneur. Il a beaucoup insisté sur ce point « Un pays dans lequel les parents d’élève insultent, voire frappent, les enseignants est gravement malade, et très mal disposé à jouer un rôle proéminent dans 50 ans ». Certaines de ses propositions sont iconoclastes, comme celle de faire de l’anglais la seconde langue officielle de la France. Il nous a démontré que les pays de l’Europe du Nord qui ont plus ou moins suivi cette voie en ont tiré un véritable avantage. Tim propose également une intensification des dépenses de l’état en recherche fondamentale. Sa position est que le rôle de l’état n’est pas l’innovation mais le développement du savoir et des connaissances.


Après la session, nous avons discuté autour d’un café et je lui ai demandé si son insistance sur la taxe carbone était liée à la menace du réchauffement climatique. Sa réponse m’a surprit, pour lui le réchauffement climatique est un défi important du 21e siècle, mais ce n’est que le deuxième, et les conditions d’action auront changé lorsque l’ensemble du monde s’y attaquera sérieusement. « Il est clair que l’humanité va devoir affronter le réchauffement climatique, précisément parce qu’il reste encore assez d’énergie fossile à bas prix, mais elle le fera avec un contexte technico-économique que nous ne connaissons pas encore ». Le premier grand défi est l’adaptation au changement radical de la nature du travail et de sa distribution dans le monde. « Nous ne voyons que la première phase, qui est liée à l’existence de plusieurs milliards d’humains qui sont éduqués, on envie d’apprendre et de sont prêts à travailler avec un effort soutenu».  Dès qu’on voyage dans le monde, on est frappé par ces pays qui ont investi massivement dans l’éducation il y a quelques décennies et qui commence à en tirer les bénéfices. Mais la deuxième phase se prépare, celle de l’automatisation massive du travail, sous toutes ses formes, telle qu’elle est décrite dans « The Race Against the Machines  ».  Même si nous ne sommes pas encore dans le monde de « Real Humans », il faut commencer à réfléchir à ce qui va se passer. La révolution NBIC est en route, elle va transformer notre vie au 21e siècle plus profondément que nous ne sommes capables de le prévoir.

Dans cette redistribution globale et massive des tâches et du travail, la solidarité est une valeur fondamentale. Sans cette solidarité, les décennies qui viennent vont mettre à mal le tissu social et mettre en tension nos sociétés occidentales. Mais comme l’explique Tim, « la solidarité n’est pas la confiscation de l’initiative, la boucle de l’entreprenariat et de l’initiative personnelle reste vitale ». C’est la grande leçon de « Why Nations Fail », et c’est une leçon systémique : les nations qui réussissent d’un point de vue économique s’appuie sur la protection des boucles positives initiative/récompense à l’échelle globale, pour chaque citoyen, ce que les auteurs appellent « inclusive economy ». Il faut cultiver « les petites fleurs » de la création de valeur, et surtout ne pas taxer l’espoir. Les « taxes symboles » qui stigmatisent la réussite ont un effet négatif sur tout ceux qui rêvent un jour de cette réussite, « et ils sont bien plus nombreux que les vrais millionnaires ».  « Il ne faut pas instituer la jalousie en vertu civique ». Si l’égalité en droit et en dignité de notre de devise nationale se transforme en revendication de confiscation, l’esprit d’initiative et d’entreprenariat sera inexorablement mis à mal. C’est la fraternité qui nous permettra de traverser la révolution profonde du travail que le 21e siècle nous réserve.

Tim s’est appuyé pendant sa présentation sur les six « killer apps de la prospérité » de Nial Ferguson. C’est ce qui permet de comprendre pourquoi les valeurs (« work ethic » : le goût de l’effort et du travail, éducation, valorisation du savoir) sont déterminantes pour la réussite des sociétés.  L’événement majeur de ce début de siècle est la fin du « great divide » :  le reste du monde a adopté les « killer apps » de la prospérité occidentale, au moment ou nous commençons à oublier les valeurs de nos ancêtres. Je vous livre sa conclusion que je partage :  lisez « Why Nations Fail » et regardez Nial Ferguson sur TED !