lundi, mars 24, 2008

Challenges Scientifiques pour la Simulation de l’Efficacité dans l’Entreprise

Je vais ce matin prendre un peu de recul et faire un petit bilan prospectif sur l’avancement de ma réflexion. Ce blog a maintenant deux ans et demi, ce qui correspond à trois années de « réflexions sur l'architecture d'organisation et la gestion des flux d'information » (à partir du printemps 2005). Le thème général de ce blog est l’étude de l’efficacité de l’entreprise, du point de vue de son organisation et de la gestion des flux d’information.

Il s’agit donc d’identifier les thèmes scientifiques sous-jacents qui méritent un approfondissement dans les 3 à 5 années qui viennent. Ce qui va suivre est une liste des sujets liés à ce thème qui est l’intersection de deux listes :
  • Les sujets qui semblent mériter l’intérêt de la communauté scientifique, et qui l’ont déjà reçu par ailleurs, dans le sens ou il existe déjà des résultats intéressants et une dynamique d’émergence de ces sujets. Le fait de filtrer en fonction de l’existence de cette dynamique permet d’éviter une partie de la subjectivité de cet exercice.
  • Les sujets qui mériteraient plus d’attention et de d’attribution de crédit de la part des programmes de recherches nationaux et internationaux, parce que il faut des ressources importantes pour progresser (rôle clé de la simulation, où rôle clé de la collecte de données réelles) et parce qu’il existe un enjeu économique et compétitif.


Il ne s’agit pas d’une approche exhaustive ni top-down, il s’agit d’un travail de synthèse à partir de mes lectures scientifiques (en ce qui concerne l’état de l’art), de ma visite régulière des blogs et des sites internet qui touchent à ces sujets (ce qui permet de juger la popularité et une partie des enjeux d’aujourd’hui) et de ma participation à certaines manifestations ou conférences.
J’ai retenu trois thèmes :

  1. La modélisation des processus de l’entreprise et la théorie de l’optimisation de ces processus qui peut lui être associée.
  2. L’étude des réseaux sociaux de l’entreprise.
  3. La modélisation économique multicritère, multi-agent, issue de la théorie des jeux.

La modélisation et l’optimisation des processus de l’entreprise est un sujet majeur en terme de compétitivité et de performance. Pourtant, les travaux qui touchent à la modélisation de l’entreprise du point de vue micro-économique ne sont pas très nombreux (il n’y à pas beaucoup de successeurs aux travaux de March & Simon, même si, à titre d’exemple, l’approche du CEISAR est remarquablement pertinente). Comprendre et appliquer des principes tels que ceux du Lean Management nécessiterait une approche scientifique qui réconcilie la simulation, la recherche opérationnelle et la théorie du management. L’optimisation des processus (BPO , BPM, et autres acronymes) est un sujet très à la mode en terme de littérature de management. A juste titre, lorsqu’on observe les résultats pratiques obtenus à partir de l’application de différentes techniques. En revanche, il y a peu de fondements scientifiques pour comprendre la pertinence de ces méthodes (à l’exception peut-être de Six-Sigma).


L’étude des réseaux sociaux de l’entreprise, au sens large, c'est-à-dire à l’intérieur de l’entreprise mais aussi ceux de ses clients, est également un sujet qui mérite un approfondissement. C’est un enjeu majeur du développement de l’Internet 2.0 (et 3.0) : il y a un consensus sur l’importance des réseaux sociaux, de leur compréhension et de leur utilisation par les entreprises comme moteur de leur développement (voir par exemple l’excellent article de Fred Cavazza). C’est un sujet « à la mode », qui fait partie, par exemple du périmètre des systèmes complexes (voir, par exemple, l’excellente présentation sur le web de Pip Pattison de l’Université de Melbourne).Nous avons tout ce qu’il faut en France en terme de compétences et d’intérêt (une des agréables surprises de ma participation à la conférence ROADEF de Février), mais pas assez de moyens et de reconnaissance pour une discipline qui n’existe pas encore vraiment en tant que telle (donc qui a un accès difficile aux ressources et financements).


Le développement de nouvelles méthodes de modélisation multi-agent s’appuyant sur la théorie des jeux et sur l’apprentissage (l’adaptation des agents) doit également être soutenu par les instances de gouvernance de la recherche publique. J’ai déjà fait plusieurs fois un plaidoyer pour l’hybridation des techniques (ex : l’approche GTES) en matière de modélisation micro-économique. Dans son excellent livre « The social atom », Mark Buchanan donne à la fois de multiples illustrations de la puissance de ces approches hybrides (dont les travaux d’Axelrod qui ont été cité dans ce blog) et sur la nécessité d’inclure l’adaptabilité (mauvaise traduction de « adaptiveness ») dans la simulation de phénomènes complexes (comme les marchés boursier). Ce point est tellement fondamental que j’y reviendrai dans un prochain article (une part importance des fluctuations importantes observées sur des marchés réels ne s’explique que par des mécanismes adaptatifs avec apprentissage, ce qui invalide des méthodes plus classiques et plus simples de simulation).


Pourquoi faudrait-il investir (massivement) dans ces sujets ? Pour au moins deux raisons :

  1. Parce que d’autres le font ! D’autres pays et d’autres acteurs sont plus avancés sur l’ensemble de ces trois sujets. En particulier, ils consacrent des efforts importants en termes de simulation et mobilisent d’importantes ressources de calculs. Une très bonne illustration est fournie par l’effort de Google sur le « cloud computing » Pour une introduction, lire la synthèse de Deitel. La maitrise du « cloud computing » (ou « grid computing ») me semble un enjeu stratégique pour demain et il faudrait que la France suive l’exemple du cours « Google 101 ».
  2. Parce que l’importance de la simulation pour découvrir des nouveaux domaines scientifiques est une caractéristique du 21e siècle. Sans vouloir ouvrir une polémique, on pense forcément à Steve Wolfram (A New Kind of Science). Un point commun à ces trois familles de sujets est qu’ils sont hors de portée d’une approche purement analytique. La simulation numérique devient un outil incontournable pour étudier et découvrir.

Pour conclure, ce message a un double but : servir de « manifesto » pour soutenir les efforts de simulation sur le domaine de l’efficacité de l’entreprise. C’est également, dans la suite des messages précédents, un appel à la connaissance collective de mes lecteurs : continuez à m’envoyer des références de travaux connexes avec ces trois thèmes ! J’en profite pour remercier tout ceux qui l’ont fait au cours des deux dernières années :)