dimanche, février 24, 2008

Lorsque je confonds vitesse et précipitation ...

Je termine ce week-end mes slides pour la conférence ROADEF 2008. J’ai enfin réalisé le jeu complet d’expériences que je voulais faire pour valider mes travaux sur les "systèmes réunions". Je posterai un compte-rendu plus détaillé une autre fois, mais trois points me semblent intéressants à partager tout de suite.
Premièrement, la validation expérimentale et le fait de préparer un article scientifique requièrent plus de soin que de poster un message dans un blog. Je dois avouer que je me suis trompé lamentablement dans une équation postée sur ce blog il y a un an (et qui plus est, j’ai reproduit cette erreur dans mon livre … heureusement qu’une deuxième édition est sous presse).
L’équation (approchée) correcte de la latence est :
L = [log(Di) / log(Dr) ] * R, ou R est le nombre moyen de réunion par personne.
Cet épisode pathétique (j’ai retrouvé mes notes de départ et ma première formule était bonne – log(a)/log(b) étant une caractéristique de l’équation b ^ x = a – tout cela est parti d’une erreur de transcription) me rendra plus circonspect dans le futur – cela montre l’intérêt de la publication scientifique et du « peer review »… Je n’ai pas reçu de message de lecteur outragé, mais je me sens pour le moins stupide :)
Néanmoins, et c’est mon second point, il y a une bonne nouvelle : cette formule approchée est en fait plus précise que je ne le pensais. J’y reviendrai avec les résultats que je vais montrer à ROADEF, mais cette formule donne souvent la latence à 10% près. C’est donc un très bon résultat dans le cadre plus général de la simulation des flux d’entreprise (SIFOA). En effet, l’ensemble de la modélisation des processus que j’effectue a un degré de précision inférieur à cette formule. Autrement dit, il y a une vraie modularité : je peux abstraire la complexité du système réunion tel que je l’étudie en ce moment (à base de réseaux d’affiliation – cf. posts précédents) et l’abstraire de façon simple comme un canal de communication.

Pour finir, l’expérimentation confirme de façon nette l’intuition de la « structure des petits mondes », ce qui signifie que si le système réunion est constitué, conformément à ce que Duncan Watts appelle une « structure de petits monde », de petits clusters fortement connectés (avec une fréquence élevées) et de quelques réunions plus transverses qui servent de « liant », les performances sont supérieures à ce que l’on peut obtenir avec une distribution homogène des réunions. Ici le terme de performance signifie l’optimisation de la latence sous contrainte de débit (cf. le message précédent).
Je rappelle la définition de Duncan Watts ( "Six Degrees", p. 81 , selon ses propres termes, « not perhaps the most scientific of labels but has the great advantage of being catchy ») : … networks which displayed the high local clustering of disconnected caves but were connected such that any node could be reached from any other in an average of a few steps. La connexion avec un système réunion hybride (cf. 2eme annexe de mon bouquin) est frappante … et les résultats de la simulation numérique confirme la pertinence de ce concept.
Après m'être "battu la coulpe" sur l'erreur dans la formule, je ne résiste pas au plaisir de reproduire la conclusion de l'annexe précité:
  1. Il faut utiliser un diamètre réunionnel large pour s’assurer de la fidélité de la transmission d’information, et pour favoriser l’émergence d’une structure de « petit monde ».
  2. A l’intérieur du diamètre réunionnel, il faut favoriser l’existence de petits groupes fortement connectés (avec une fréquence élevée) qui améliore la latence des transferts d’information à haute priorité.

Ce qui n'était qu'une conjecture est maintenant confirmé par la simulation numérique. Il me reste à rédiger un véritable article scientifique :)

dimanche, février 10, 2008

Mesurer un « Système Réunion »

Je suis en train de préparer mon exposé pour la prochaine conférence de recherche opérationnelle (ROADEF) et cela m’a conduit à affiner et solidifier ma vision de la mesure des réseaux d’affiliation, le terme technique que j’emploie pour parler du « système réunion » à des spécialistes des réseaux sociaux.
Je rappelle au lecteur occasionnel que le système réunion est simplement l’ensemble des réunions planifiées et régulières (comités) d’une entreprise. D’un point de vue technique, nous ne considérons que le nombre de participants, la fréquence et la longueur de la réunion. Je rappelle également que ce travail se place dans le contexte, plus général, de l’étude des flux d’information à l’intérieur d’une entreprise, que nous mesurons essentiellement par le temps qui est nécessaire à leur transmission.
Je suis donc arrivé à 5 mesures, dans une liste qui me semble relativement complète:
  1. Latence (latency)
    La latence mesure la vitesse de propagation de l’information dans l’entreprise. Elle est associée à l’agilité de l’entreprise, sa capacité à prendre des décisions rapidement, et à les faire appliquer également rapidement. Elle s’exprime en terme de distance dans un hypergraphe (ou graphe biparti) lorsque les arêtes sont étiquetées par les fréquences (cf. mes messages précédents, ou mon livre).
    L’idéal en terme de latence, c’est le town-meeting quotidien (voir plus), où tout le monde a l’occasion de faire passer un message important. On voit tout de suite sur cet exemple que la latence ne suffit pas à caractériser le système réunion.
  2. Débit (throughput)
    Le débit mesure la capacité du système réunion à déplacer de l’information. L’importance du débit est liée au fait que la communication est un transfert qui prend du temps. Ce sujet est également traité en détail dans mon livre/ dans ce blog. C’est la raison pour laquelle la gestion du temps est tellement essentielle en terme d’efficacité de la gestion des flux d’information (il ne suffit pas de recevoir un mail, il faut aussi avoir le temps de le lire).
    La mesure du débit s’exprime simplement comme la somme des produits (durée * fréquence) des réunions. L’idéal en termes de débit est exactement l’inverse : la multiplication de petites réunions qui peuvent se tenir en parallèle, c'est-à-dire une « distribution » du processus de transfert d’information. Se profile donc un problème de d’optimisation de deux critères contradictoires. Dans la pratique, le débit nécessaire dépend du type d’entreprise/activité (ce que nous avons déjà vu/pris-en-compte dans le modèle SIFOA). On comprend donc que certaines pratiques (ex : le town-meeting) soient idéales pour certaines entreprises et moins pour d’autres.
  3. Retour (Feedback)
    Le retour mesure la capacité à vérifier l’approbation/compréhension lors d’une transmission d’information. En effet le point fondamental de la communication est qu’il s’agit d’un processus, qui implique également celui qui reçoit l’information. LE spécialiste de ce sujet en France, et celui qui l’explique de façon lumineuse est Dominique Wolton . L’importance de l’appropriation ne saurait être surévaluée. C’est ce point qui explique les réunions « à la japonaise » dans la quelle la réunion sert avant tout à l’appropriation d’une décision qui a souvent été déjà prise de façon anticipée, en laissant le temps à chaque participant de reformuler (ce qui semble facilement inefficace à un esprit trop Cartésien).
    Une mesure simple est le temps moyen de parole que chaque participant peut espérer avoir dans chaque réunion, qui s’obtient de façon similaire comme la somme des produits (durée x fréquence x inverse du nombre de participants). L’idéal en termes de retour est le point en tête-à-tête. Le "cas le pire" est la communication asynchrone, qui rend ce retour difficile. Au-delà de l’aspect temporel (qui nous intéresse ici) il y a bien sûr un aspect qualitatif (cf. 5e point).
    Attention aux faux-amis, cette dimension est souvent qualifiée de bandwidth dans le monde du CMC (Computer-Mediated Communication). Ce sujet est également traité en détail dans mon livre.
  4. Atténuation (Loss)
    L’atténuation mesure la capacité à ne pas déformer une information lorsqu’elle est transmise. Il s’agit simplement de la reformulation du principe du « téléphone arabe », c’est-à-dire de la constatation que chaque répétition brouille le contenu du message initial. La mesure est très simple, c’est la longueur moyenne des chemins dans le graphe d’affiliation.
    L’idéal est également le town-meeting, le lieu ou l’on entend directement les messages stratégiques sans intermédiaires (mais avec peu de temps, et sans de capacité de poser de nombreuses questions pour l’appropriation). On voit que ce quatrième critère est semblable au premier, en termes d’affinité par rapport à des structures de réseau.
  5. Qualité (Quality)
    Ce dernier critère est un fourre-tout qui représente la nature éminemment riche et complexe des interactions entre humains. On y retrouve des aspects de dynamique de groupe, de psychologie, de responsabilisation, etc. qui font qu’un format de réunion est plus ou moins adapté à tel ou tel usage (décision, brainstorming, information). Voir par exemple la référence à Christian Morin dans un message précédent . Je ne vais pas propose de critère de mesure (par construction) mais il ne faut pas oublier cette dimension.


Une fois ces cinq critères posés, qu’en déduit-on en terme de modélisation ? Quels peuvent-être les apports d’un modèle tiré des Réseaux Sociaux (représentation avec des graphes & hypergraphes, à la Duncan Watts) ? Ce thème méritera une réponse plus approfondie, mais voici l’essentiel de ma réflexion du moment :

  • Par construction, j’ignore la dimension de la qualité. Cette dimension est trop complexe et trop dépendante du contexte précis de chaque entreprise pour être prise en compte dans une modélisation/simulation. En revanche, mon intuition depuis 3 ans est que l’étude « scientifique » des quatre autres propriétés est légitime parce que la gestion du temps est fondamentale dans la « vie réelle » des entreprises. En clair, si l’on arrive déjà à comprendre cette dimension temporelle du transfert d’information (et les contraintes d’organisation qu’elle induit), nous aurons déjà accompli un progrès significatif.
  • L’optimisation multicritère est trop complexe, à peu près pour les mêmes raisons. Pour décider du bon équilibre entre les différentes dimensions, il faudrait disposer d’information très précises sur les flux d’information (en particulier en termes de priorité et de besoins d’appropriation). Dans une modélisation macro du type de celle des réseaux sociaux, ceci n’est ni possible ni pertinent.
  • La solution que j’ai retenue est l’optimisation de la latence sous contrainte de débit et sous contrôle de l’atténuation. La contrainte de débit représente de facto le type de l’entreprise. L’objectif de la modélisation est donc de déterminer les « bonnes structures » de CMS (système réunion) pour un contexte donné.