dimanche, novembre 15, 2015

Innovation et entreprenariat


Le billet de ce jour est un complément à ma série de billets sur l’innovation, à partir d’un certain nombre de livres et de témoignages sur l’entreprenariat. La culture d’entreprenariat est un sujet à la mode, en particulier dans les grandes entreprises et dans les ouvrages sur le management de l’innovation (sic), à juste titre. Pour simplifier, on pourrait dire qu’innover requiert :
  • Des compétences pratiques (en particulier dans le domaine numérique)
  • Un peu de méthode pour travailler avec les utilisateurs, le sujet du dernier billet sur Lean Startup,
  • Un « mindset » (culture et attitude) différent, ce qui va être le sujet de ce billet.
Je vous renvoie à un autre billet sur l’interaction entre les deux premiers points (« from code to customer » and « from customer to code »). Mon propos aujourd’hui est d’appuyer l’importance du « mindset », avec une double lecture à la fois conceptuelle, en m’appuyant sur le principe d’effectuation, et pratique, en m’appuyant sur des témoignages structurés comme ceux de Guy Kawasaki ou d’Oussama Amar.

1.  Effectuation


J’ai eu à la fois le plaisir de lire le livre « Effectuation : Les principes de l’entreprenariat pour tous » de Philippe Silberzahn et d’écouter l’auteur lors d’un séminaire sur le même sujet.  J’ai utilisé de nombreuses fois implicitement les principes de l’effectuation lorsque je parlais de « affordable loss » ou de l’utilisation des surprises. Le livre de Philippe Silberzahn est une référence pour comprendre ce paradigme de l’effectuation, qui me semble la façon la plus concrète et la plus efficace d’absorber une partie de culture entrepreneuriale dans l’entreprise. L’effectuation a été théorisée par Saras Saraswathy en suivant le protocole « classique » de partir de de 45 entrepreneurs ayant connu des succès. A travers des entretiens approfondis et des mises en situations, elle a pu définir cinq caractéristiques de la façon de penser, de résoudre des problèmes, d’agir, propres aux entrepreneurs. Je vous donne ici la version  de Philippe Silberzahn des cinq traits de l’effectuation :
  • « Un tiens vaut mieux que deux tu l’auras » : Démarrez avec vos moyens : qui vous êtes, ce que vous savez et qui vous connaissez, et pas avec une opportunité.
  • « Perte acceptable » : Agissez sur la base de ce que vous êtes prêts à perdre, pas de ce que vous pensez gagner
  • « Patchwork fou » : Concentrez-vous sur la construction d’un réseau de partie prenantes auto-sélectionnées, pas sur une analyse concurrentielle
  • « Limonade » : Tirez parti des surprises, n’essayez pas de les éviter
  • « Pilote dans l’avion » : L’avenir dépend de ce que chacun fait. Il n’y a pas d’évolution inévitable, et l’avenir n’est pas écrit

Je vous recommande la lecture du livre, même si vous êtes familiers avec ces idées, parce qu’il est très bien construit, en tissant les exemples et les principes. Voici quelques illustrations et citations qui m’ont le plus intéressé.

  1. L’effectuation est le fondement rationnel et scientifique de l’axiome fondamental qu’innover c’est faire. Comme l’affirme le pretotyping manifesto, « innovators beat ideas ». Je cite ici le livre : «Plus que l'idée, c'est l'action autour de celle-ci qui compte » et « L'expérience a été confirmée de nombreuses fois. L'origine du projet entrepreneurial, ce n'est pas l'idée, c'est vous ». Sur ce point, il y a une cohérence totale entre effectuation, pretotyping et Lean Startup. Mais il y a plus encore dans le premier principe de l’effectuation : il faut partir de ce qu’on est et ce qu’on a, au sens large : « L'effectuation consiste non pas à partir des buts pour déterminer les moyens nécessaires pour les atteindre, mais au contraire de considérer les moyens dont on dispose pour déterminer les buts possibles. ». Nous sommes ici dans l’application complète des idées de l’efficacité et du potentiel de situation de François Julien (L’entrepreneur est « Chinois » - il s’adapte et profite des opportunités de l’environnement – et non pas « Grec » - il ne cherche pas à imposer son plan au monde).

  2. L’entrepreneur construit un réseau de partenaires (le « patchwork fou ») qui sont intéressés comme lui au succès de son entreprise. Dans de nombreux cas, le trait de génie, c’est de construire un modèle qui intègre la vente et la distribution au moyens des autres, partenaires ou utilisateurs, dans un cercle vertueux ou le succès appelle le succès : «  L'innovation, écrivent-ils, est l'art de l'intéressement » ; « le décollage d'une startup se produit lorsque le réseau sociotechnique des acteurs ayant intérêt à son succès atteint une masse critique et devient un marché ». Le plus bel exemple de cet axiome est Uber, qui a construit un business model sous forme d’une équation du comportement des acteurs dont l’unique solution est de contribuer au succès global ! En liant non seulement les rémunérations mais aussi l’apport d’affaire à la satisfaction exprimée des clients transportés, la plateforme produit par construction des partenaires « alignés ».

  3. Le quatrième principe (« limonade ») est celui que j’ai qualifié d’antifragile en référence à Nassim Taleb: savoir profiter des aléas et de l’adversité. L’auteur écrit : « l'incertitude est la matière première de l'entrepreneur ». Non seulement on part de ce dont on dispose, mais on s’adapte de façon continue à ce que l’on trouve en chemin : « La caractéristique d'un entrepreneur est peut-être précisément de savoir donner une valeur à une ressource grâce à un usage inattendu de celle-ci, auquel d'autres n'ont pas pensé, ou qui leur répugne ». En particulier, l’entrepreneur s’adapte de façon continue à ses utilisateurs ou futurs clients.  Philippe Silberzahn insiste sur l’importance du design, à la fois comme le cadre de l’observation nécessaire de l’environnement et comme une démarche de co-construction : « Parce qu'elle représente une théorie générale de création d'artefacts ancrée dans une logique sociale de co-construction, l'effectuation constitue ainsi la philosophie d'action naturelle d'une démarche de design thinking ». Je vous renvoie aux slides de mon intervention au Lean IT Summit sur le lean startup.

  4. S’adapter ne signifie pas ne pas avoir de vision, de volonté ou de passion. L’effectuation s’inscrit dans le cadre d’un environnement complexe qu’il n’est pas possible de prévoir. Mais l’entrepreneur n’est pas un simple opportuniste, il construit son terrain d’action de façon progressive : c’est son action qui détermine son futur, « Résolution de l'incertitude et création de marché : deux face d'une même pièce ». C’est toute l’ambiguïté de la posture d’entrepreneur : « l'effectuation … affirme que dans la mesure où nous pouvons contrôler l'avenir, nous n'avons plus besoin de le prévoir ». Nous allons revenir sur l’importance de la passion et de la volonté dans la suite du billet.

  5. Philippe Silberzahn fait référence au Lean Startup qu’il oppose partiellement à l’effectuation : « pour ce qui concerne la relation avec un client potentiel, l'effectuation observe qu'au contraire de Lean, l'entrepreneur ne la conçoit pas comme un exercice de découverte de besoins cachés au moyen d'un produit, mais comme une démarche de co-construction de ce dernier ». Je ne partage pas son analyse, car j’ai une vision plus large du lean startup, suivant les idées de Nathan Furr et Jeff Dyer. Par exemple, je n’oppose pas design thinking et minimum viable product, ce sont deux phases d’un même processus. La quasi-totalité des reproches fait au Lean Startup dans ce livre tombent si l’on adapte ce point de vue plus large.

  6. Pour terminer, Philippe Silberzahn évoque une idée que nous allons retrouver, celle que l’entrepreneur a pour but d’être le leader incontesté de son micro-domaine. Il cite Geoffrey More : « La solution préconisée par Moore est assez simple en théorie : devenir leader en s'attaquant à une micro-niche » ; il me semble intéressant de faire le lien avec le best-seller de Peter Thiel  « From Zero to One ». L’idée centrale de Peter Thiel est que le monde numérique est un monde avec peu de friction dans lequel «winner takes all », ce qui implique que pour réussir une entreprise doit soit construire un monopole soit être le leader incontesté de sa propre niche de marché. «  Every startup is small at the start. Every monopoly dominates a large share of its market. Therefore, every startup should start with a very small market”. Une des conséquences est que pour réussir, il faut construire et développer sa communauté de « fan absolus », qui est la marque d’un leader incontesté. Cette idée essentielle va se poursuivre dans la suite du billet. J’en profite pour faire une autre citation de Peter Thiel qui résonne avec le thème de l’effectuation : “all companies must be “lean”, which is code for “unplanned”. You should not know what your business will do; planning is arrogant and inflexible. Instead you should try things out, “iterate” and treat entrepreneurship as agnostic experimentation”.



2. Réussir sa startup selon Guy Kawasaki


Guy Kawasaki est une des figures de l’internet et de l’art des présentations. Il a été le « Chief Evangelist » d’Apple à la grande époque du début du Macintosh (je le cite sur ce terme : « Evangelism comes from the Greek word that means, approximately, “to proclaim the good news.” I was Apple’s second software evangelist, and I proclaimed the good news that Macintosh could make people more creative and productive”). Je vais m’intéresser à son livre « The Art of the Start 2.0 : The time-tested, battle-hardened Guide for Anyone Starting Anything”. Il s’agit d’un livre très concret et pragmatique, avec des exercices, des checklists, des FAQ. Ce livre n’est pas sans rappeler « Running Lean », c’est un livre pour l’action, donc en faire un résumé n’a pas beaucoup de sens. Il y a des remarques savoureuses sur les « intrapreneurs » et sur leur meilleure stratégie pour survivre dans un contexte de grande entreprise, qui ne sont pas sans rappeler les propos de Trevor Owens. Je vous livre ici quelques idées et points saillants sur l’entreprenariat, mais je vous recommande chaleureusement la lecture, il y a plein d’autres raisons de lire ce livre !

  1. Par exemple, c’est pour moi un livre de référence sur l’art du pitch, pour de multiples occasions. Bien sûr, c’est particulièrement utile pour des entrepreneurs en quête d’investisseur, mais l’applicabilité de ses conseils est beaucoup plus large. Voici quelques illustrations de ces conseils : «  The next step is to create a three- to four-word mantra that explains the meaning that your startup is seeking to make”; “Pitch Constantly, familiarity breeds content. When you are totally familiar and comfortable with your pitch, you’ll be able to give it most effectively. There are no shortcuts to achieving familiarity—you have to pitch a lot of times”. L’idée que le pitch est la pratique fondamentale de l’entrepreneur est maintenant devenue une évidence, relayée par les incubateurs, que nous retrouverons dans les propos d’Oussama Amar. Kawasaki exhorte les entreprises à organiser des compétitions internes de pitch. C’est ce que j’ai pratiqué à Bouygues Telecom avec un très grand succès. Selon Kawasaki, il est plus important d’encourager le développement des pitchs que d’encourager la création d’idée dans une entreprise pour favoriser l’innovation. “GET TO IT. Explain what your product does in the first thirty seconds. Explain the problem or pain that it addresses in the second thirty seconds”.

  2. Le design joue également un rôle important dans ce livre, tout comme dans le livre précédent. L’influence de la culture Apple est sensible, avec comme objectif la création de produits qui obéissent à l’acronyme DICEE (Deep, Intelligent, Complete, Empowering, Elegant). « Empowering »  signifie « Curve-jumping products make people better by increasing their productivity and creativity” tandis que l’élégance est la combinaison de la puissance et la simplicité.

  3. Un des thèmes clés du livre est le soin qu’il faut apporter à son positionnement et à la définition de ses « Value Propositions » (que je vais désigner par UVP par la suite). Il faut travailler soigneusement son message, et choisir une cible precise, en concentrant toute son énergie sur un sujet : « While it’s hard enough to create and communicate one message, many startups make the mistake of trying to establish more than one because they are afraid of being niched and want the entire market”. Le message doit être transformé en histoire, pour toucher son public dans des émotions : « People want more than information. They are up to their eyeballs in information. They want faith—faith in you, your product, your success, and in the story you tell. Faith, not facts, moves mountains ».  Cette histoire doit être facile à comprendre, il faut la tester sur ses proches, et elle doit être unique (le U de UPV) : « Do you describe your offering in a way that is opposite to that of your competition? If you do, then you’re saying something different. If you don’t, then your positioning is useless”.

  4. Le livre contient beaucoup de conseils pratiques pour la création de sa startup, comme par exemple comment trouver les meilleurs noms et s’assurer qu’ils sont libres (en visitant les différents réseaux sociaux). Il y a un alignement implicite sur les principes de l’effectuation – il faut faire avec ce que l’on a. Le chapitre sur les bootstrapping (démarrer sans lever d’argents avec ses propres moyens) est très instructif et valorise cette approche « un tiens vaut mieux que deux tu l’auras » : « It’s a wonderful world! This chapter explains how to survive the critical, capital-deprived early days of a startup by lifting yourself up by the straps on your boots”. Il insiste également beaucoup sur l’importance du Product-Market Fit : “ I’ve seen hundreds of startups die because people simply refused to embrace their product”. Nous reviendrons sur le ce sujet dans la troisième partie. J’ai noté le concept du « premortem analysis », qui consiste à simuler à l’avance la réunion de « post-mortem » qui a lieu lorsqu’un produit échoue (ne trouve pas son marché), et de construire la liste des raisons pour laquelle le produit n’a pas satisfait ses utilisateurs … avant de l’avoir lancé : « Write a list of at least ten factors that could kill your launch. How many can you eliminate? ».

  5. Pour conclure, Guy Kawasaki insiste sur l’importance de la communauté des premiers ambassadeurs, qu’il faut construire et développer. Il s’agit bien d’une communauté, pas simplement d’un groupe, donc il faut la doter des outils de communication et d’animation pour que ce sentiment de communauté émerge. Elle doit devenir auto-organisée et développer sa propre capacité de recrutement (une génération d’ambassadeurs recrute la suivante) donc on retrouve les pratiques et les outils du Growth Hacking appliqués à cette communauté de fans (viralité et exploitation de tous les outils numériques pour propager des messages). Il faut aussi les reconnaitre et les récompenser : « You would be amazed at the power of a free T-shirt, coffee mug, pen, or notepad. (At one point, Apple had a $2-million-per-year T-shirt expense.) Evangelists love these goodies. It makes them feel as if they’re part of the team and special.Il faut bien sûr nourrir le dialogue avec cette communauté en les impliquant dans le processus de développement agile : les ambassadeurs jouent un rôle privilégié dans le « Customer Feedback Learning Loop ». C’est là aussi que le terme de co-développement avec les clients prend tout son sens.



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3. MOOC « The Family »



J’ai suivi pendant le mois d’Aout le MOOC sur l’entreprenariat proposé par The Family, qui s’appuie sur des contenus de Koudetat, dont une bonne partie est disponible sur YouTube. La qualité de cette petite formation (huit modules de 1h à 1h20, essentiellement par Oussama Amar) me fait vous encourager à vous inscrire et à en profiter. Je ne vais pas résumer ce que j’ai appris, ce serait trop long, je vais plutôt souligner certains points énoncés par Oussama Amar qui font écho à ce que viens d’écrire plus haut. De façon préliminaire, Oussama fait également quelques réserves sur le Lean Startup, que je ne retiens pas car elles correspondent à une définition étroite du Lean Startup (dans lequel cas ces réserves sont justifiée). Avec une vision plus large, tout ce que j’ai entendu nourrit ma réflexion et s’inscrit dans le cadre posé dans mon billet précédent.

  1. Une des idées les plus importantes de cette formation est que dans le monde numérique, si l’entrepreneur choisit un « bon problème », il doit pouvoir vendre la solution avant de la fabriquer ! C’est à la fois un test de pertinence « si le problème est important, les gens sont prêts à payer même si rien est prêt » et une stratégie de développement, dans la droite de ligne de l’effectuation. C’est ce que Oussama Amar résume par « sell it first », une caractéristique du « nouveau monde digital ». L’explosion de Kickstarter est une belle illustration de ce concept. Oussama fait cette citation « la première raison de l’échec, c’est parce qu’on construit des choses que les gens ne veulent pas » qui rappelle l’ouverture du livre d’Ash Maurya « Life is too short to build product that people do not use ». Le monde numérique offre de multiples façons de tester le marché avant que le produit existe, en particulier avec les « landing pages » qui exposent  la proposition de valeur. « Sell it first » est aussi une stratégie de « bootstrapping », pour ne pas dépenser trop tant que le succès n’est pas acquis. Oussama Amar insiste sur l’importance d’une stratégie de distribution accessible à la startup sans moyens de communication : « Le problème que vous attaquez doit toucher une niche qui  vous est accessible ».

  2. L’outil qui rend cette approche particulièrement effective est l’UVP (Unique Value Proposition). Une bonne UVP doit : dire au monde ce que l’on fait, proposer un « pitch » compréhensible en 10 secondes pour les utilisateurs de la cible, offrir un bénéfice immédiat et faire comprendre en quoi cette proposition est unique et différente. Une grande partie du cours est consacrée à la création et à l’optimisation de ces UVP, en utilisant des techniques de growth hacking. La segmentation du marché pour trouver sa cible idéale est fondamentale car les produits ou services universels ne sont pas à la portée des startups : il faut choisir un combat, toujours dans l’idée qu’il faut devenir un leader incontesté sur son propre marché. Le travail de design avec les personas prend toute sa place (« le design a pour but de réduire la friction et d’augmenter le plaisir »). Mais le travail de growth hacking également, ce qui est plus nouveau et propre au domaine numérique. Par exemple, Oussama Amar montre comment utilise Google AddWords pour améliorer son UVP en détectant les intentions des clients et l’importance de la terminologie, et comment utiliser les campagnes hyper-ciblées de Facebook pour construire et valider son analyse de segmentation, en produisant une « sociologie des futurs utilisateurs ». On trouve de multiples conseils sur comment réaliser et mettre en valeur ses UVPs sous forme de landing pages, avec des conseils très proches de ceux de Guy Kawasaki : utiliser des photos, travailler son « story telling », mettre les utilisateurs en avant (photos et testimonials) pour créer l’empathie, etc.

  3. Une autre des idées fondamentales de cet enseignement est  l’importance de la communauté des ambassadeurs : « la première chose à construire, c’est une communauté ». Oussama Amar cite Paul Graham : « Take extraordinary measures to acquire first users and to make them happy ». Il est fondamental d’offrir une expérience exceptionnelle à ses premiers clients. Il faut « Sur-délivrer en terme d’expérience pour compenser la sous-délivrance sur le produit ». L’objectif est d’établir une relation intime avec les 50 premiers clients. On retrouve ici les idées de Ash Maurya : la première étape est d’avoir un petit groupe de clients vraiment satisfaits, ensuite on fera l’effort d’aller chercher les autres.

  4. J’ai appris beaucoup de choses sur le Growth Hacking en écoutant ces cours. Par exemple la leçon sur l’optimisation de son taux de conversion (nombre d’inscription / nombre de visite) en utilisant toutes les ressources de l’A/B testing et des outils analytique est particulièrement intéressante. Oussama insiste beaucoup, comme Guy Kawasaki, sur les libellés (taglines) associés aux UVP. Tout comme le Lean Startup, il y a un débat implicite sur le périmètre du Growth Hacking. Si on le prend au sens strict, il s’agit d’activités qu’on exerce dans la phase de croissance, une fois le Product-Market Fit atteint. Dans les deux phases du « nail it, then scale it », le Growth Hacking devient un outil pour cette seconde phase. J’emploie le terme dans une acceptation plus large : le growth hacking commence dès que le MVP est prêt, et il joue un rôle pour atteindre le Product-Market Fit. C’est implicitement ce qu’enseignent Kawasaki ou Amar avec des utilisations de growth hacks (outils numériques et mesure) pour faciliter l’optimisation des UVP, la définition des cibles, la croissance de la communauté des ambassadeurs, l’optimisation de la viralité … pendant cette première phase de « nail it ».

  5. Le travail d’entrepreneur est un travail d’équipe ! L’équipe doit être petite au début, mais il faut plusieurs voix car le débat contradictoire est essentiel. Pour que ce débat contradictoire soit efficace, l’équipe doit être petite. On ne peut pas naviguer pendant les premier temps incertains avec un « comité ». Il faut beaucoup de passion … et beaucoup de travail ! Oussama Amar recommande ainsi de partir d’un problème que l’équipe fondatrice vit au quotidien. Ce n’est pas la seule solution, mais c’est la meilleure façon de garantir que l’équipe vit et respire avec son problème, ce qui est une marque d’identité des startups qui ont réussi.

Un des messages les plus forts de ce MOOC est l’exigence de la démarche d’entrepreneur. Cela contraste singulièrement avec la fausse simplicité des méthodes d’innovation proposées par les nombreux consultants en innovation en ce moment. En caricaturant pour forcer le trait, ces méthodes sont une combinaison de : une phase d’observation en  quelque jours, l’idée que tout le monde est designer, des workshops d’idéation de quelques heures, une phase de prototypage sous-traitée, un pilotage avec une équipe transverse très large – pour prendre en compte l’avis de toutes les parties prenantes, et un mode de travail ou chacun participe de façon discontinue – un projet parmi d’autres. Pour accentuer la difficulté, on vend la rapidité du processus puisqu’il faut « aller vite pour être agile » et abandonner vite si cela ne fonctionne pas. La démarche d’entreprenariat telle que proposée par Oussama Amar est à l’exact opposé : peu de personnes, beaucoup de passion, beaucoup de travail, en continu, tous les jours. On ne délègue plus la fabrication du prototype, ni du MVP, parce que l’innovation est dans l’action de fabriquer – Il faut écouter Oussama Amar expliquer que tout le monde doit savoir programmer, au moins pour commencer. L’observation est continue, elle prend des mois, voire des années. Tout le monde n’est pas designer, donc on évite le design by committee (il ne faut pas confondre le premier prototype du design thinking et le MVP). La démarche agile du lean startup est bien tournée vers le « fail fast », mais il faut de nombreuses itérations pour produire un succès, et il faut donc de la persévérance.

Je ne partage pas l’idée que la culture entrepreneuriale est radicalement différente de celle des grandes entreprises et que toute tentative d’imitation est vouée à l’échec (une idée qui est expliqué avec talent, car elle n’est pas sans fondement, dans le livre « The Lean Entreprise » que j’ai déjà commenté ou par certains exposés de The Family). Mais je ne suis pas naïf non plus :
  • Certains aspects de la culture de startup ne sont simplement pas transposables
  • Il y a des conditions de focus, de passion, d’énergie qui sont très difficiles à recréer dans une grande entreprise (c’est d’ailleurs pour cela qu’écouter Oussama Amar est très intéressant).



dimanche, septembre 13, 2015

Sept repères pour utiliser les réunions dans les situations complexes



Le billet de ce jour est une petite synthèse créative de différents sujets que j’ai abordés depuis 10 ans autour des réunions. Mon objectif est double : d’une part proposer un « précis d’efficacité » en collectant ce qui me semble le plus important dans ce que j’ai écrit dans mes deux livres, « le SI démystifié » et « Entreprise et Processus 2.0 », et dans ce blog ; d’autre part, remettre certaines idées dans le contexte plus moderne de l’entreprise 3.0. Comme je l’ai indiqué dans mon dernier billet, on retrouve des idées clés sur les réunions dans la plupart des livres sur le Lean Startup, les méthodes agiles ou les « entreprises libérées ». D’une certaine façon, je vais remettre à jour les conseils donnés dans mon deuxième livre qui étaient résumés dans ce billet.

Mon parti pris est de se concentrer sur les sujets complexes, et les réunions que nous organisons pour les traiter. Rappelons la distinction classique entre ce qui est compliqué (par le nombre et la structure des éléments) et ce qui est complexe (par les relations et les interactions entre éléments). Ce parti pris est doublement logique. D’une part c’est bien ce qui encombre nos agendas du matin au soir : la complexité se traduit (et se mesure) par le nombre de relations, de parties prenantes … et plus le nombre de participants moyen augmente, plus l’agenda se remplit (c’est « mécanique » – cf. l’exposé fait à la conférence « Management et Réseaux Sociaux » à Genève en 2012)). D’autre part, je vois la complexité croissante comme la « cause profonde » des principes de l’entreprise 3.0, donc cela se traduit fortement dans les réunions.

Comme indiqué précédemment, j’ai mis la modélisation de côté pour quelque temps. Pour les nostalgiques, j’ai publié deux exposés sur slideshare, dont un plus ancien et plus détaillé fait chez Google en 2008. Lorsque je cherche à modéliser, je m’appuie sur la conviction que les trois paramètres suivants sont clés pour définir le « bon système réunion » (cf. la notion de performance du système réunion), qui dépend donc forcément du contexte de chaque entreprise :

  • Le « taux d’appropriation » qui caractérise la complexité des sujets à traiter par la « bandwidth » nécessaire, c’est-à-dire la quantité d’échanges (appropriation, reformulation) pour qu’une unité d’information passe d’une personne à l’autre. réunion si besoin de reformulation

  • Le « taux de charge » des personnes dans l’entreprise, qui détermine de façon inverse leur disponibilité. Ce que j’ai appelé « taux d’occupation » dans un de mes premiers billets en 2006.
  • Le « taux de dispersion géographique» qui indique une probabilité de se trouver au même endroit pour deux personnes de l’entreprise. Ce taux dépend bien sûr de la taille, de la localisation des différentes équipes, du mode d’organisation spatiale, etc.

Il n’y aura pas de modèle ni d’équation dans les sept principes qui vont suivre, mais chacun s’appuie sur des bases scientifiques et factuelles, et je ne désespère pas de produire un jour une « théorie des réunions ». Les années passent, mais ce sujet reste toujours d’actualité dans ma vie quotidienne … et toujours aussi fascinant.

1. Faire aussi peu de réunions que possible, mais pas moins


La chose la plus importante à savoir est que nous lisons trois fois plus vite que nous écoutons. C’est en fait plus compliqué que cela (différents types d’élocution avec différents débits et différents types de lecture), et l’avantage de la lecture se creuse s’il s’agit de faire une absorption partielle d’information, mais c’est un bon ordre de grandeur à retenir : 100 mots par minute quand nous parlons versus 300 mots quand nous lisons. La conséquence est que tout ce qui peut se comprendre facilement sans discussion mérite le support écrit. Il y a plein d’autres avantages à l’écrit, mais du point de vue global, c’est bien une question de débit. Cet argument s’applique parfaitement aux contenus compliqués, qui se prêtent bien à la communication par écrit.

Faire une réunion pour apprendre des choses qui se peuvent se lire n’est pas une bonne utilisation du temps, mais nous savons tous que de nombreux sujets sont plus complexes. Certains requièrent une capacité à « lire physiquement » les signaux corporels de celui qui parle pour acquérir la confiance, le degré de certitude, le contexte politique, etc. C’est pour cela qu’il existe des réunions d’information (je vous renvoie au chapitre 5 de Entreprise et Processus 2.0 qui propose une taxonomie des réunions : Information / Echange / Appropriation / Décision), physique ou sous forme électronique (webinar). Lorsque les sujets à traiter sont véritablement complexes, il est nécessaire de pouvoir questionner et reformuler. Ceci pourrait s’énoncer comme suit : ce qui est compliqué s’écrit, ce qui est complexe se partage en réunion. C’est une conséquence de l’inégalité quantique (dQ * dT >= Q/BW) proposée dans un billet ancien : il faut des canaux avec une « bandwidth » (taux d’appropriation) importante pour les messages complexes.

La réunion, qu’elle soit planifiée ou spontanée, formelle ou informelle, est un outil de communication fondamental dans un environnement complexe (méfiez-vous des discours simplistes sur l’éradication des réunions). Dans le même chapitre 5, je rappelle les caractéristiques de ce canal de communication :

  • N-to-M,  et immersif, ce qui en fait un candidat naturel pour la collaboration, du moment que la taille reste raisonnable (cf. section suivante).
  • Synchrone, avec un très bon facteur de « feedback » (appropriation), lié à la présence physique des participants. Cette présence physique offre des multiples micro-canaux de retour, depuis les attitudes corporelles à l’intonation ou les expressions du visage. Cela fait de la réunion un outil essentiel du point de vue de l’appropriation, indispensable lorsque le message est complexe.

2. La première fonction des réunionsest l’appropriation par reformulation


Je n’ai pas le temps ici de développer, c’est le principe le plus « factuel » de cette liste, car il s’appuie sur des multiples études de sociologues de la communication en entreprise. La dépendance culturelle est évidente, il suffit de lire les différences de conduite de réunion dans différents pays, évoquées par exemple par Christian Morel dans les décisions absurdes. Le Japon a compris depuis longtemps l’importance de la reformulation, ce qui donne des réunions qui peuvent sembler bien longues pour des occidentaux. Il faut donner le temps dans une réunion à chaque participant de s’exprimer, de reformuler ce qu’il a compris et de questionner sur ce qui lui semble peu clair

La conséquence naturelle est qu’il faut limiter le nombre personnes invitées à une réunion – sauf lorsqu’on est prêt à allouer un temps très important, comme pour le lancement d’un projet difficile. Il faut réduire le nombre de participants pour qu’ils puissent participer. Un autre fondement scientifique de ce même principe – également rappelé par Christian Morel – est que la responsabilisation décroit très rapidement avec le nombre d’acteurs. Je vous recommande la lecture de l’article de Wikipedia sur la « Diffusion of responsibility ».

Dans le chapitre 5 précédemment cité, je propose la correspondance suivante entre type de réunion et nombre de participants :

  • Une réunion d’échange (on pourrait dire de discussion) a pour but d’explorer un sujet. Par exemple, il peut s’agir de comprendre une situation ou construire une solution. L’expérience montre que le bon nombre de participants est de l’ordre de 7, et en tout cas moins de 10.
  • Une réunion de décision sert à prendre une décision sur une question préalablement instruite. Avec une bonne préparation et une organisation de décision adéquate (par exemple un vote), le nombre de participants peut être arbitrairement large (une assemblée).
  • Une réunion d’appropriation permet à un groupe d’acteurs opérationnels de s’approprier une décision, à travers l’échange et la reformulation. La forme et le moment de l’appropriation dépendent de la culture et du pays, mais l’importance de l’appropriation est universelle pour permettre une exécution efficace. Il y a une contrainte implicite sur le nombre de participants puisque chacun doit pouvoir s’exprimer.
  • Une réunion d’information a pour but de transférer un message, clair et bien préparé, dont on suppose qu’il ne nécessite pas d’appropriation. Il n’y a donc pas de contrainte sur le nombre de participants, mais une contrainte sur la nature de l’information qui est présentée.


3. La force des réseaux d’affiliation structurés en “petits mondes”


C’est à la fois le conseil le plus ésotérique et le plus scientifique de la liste. Les réunions forment un réseau (un hypergraphe), dont l’efficacité en tant qu’outil de communication s’évalue de façon globale, en tant que système. Les spécialistes des réseaux sociaux, dont Duncan Watts, que j’ai beaucoup cité dans ce blog lorsque je parle de ce thème, nous apprennent que la structure « des petits mondes » est à la fois la plus efficace pour la propagation de l’information, et celle qui émergent naturellement dans des situations multiples (de la structure du Web à la régulation métabolique des cellules). La structure de petits monde dans le contexte des réunions consiste à mélanger beaucoup de petits meetings (en cluster : entre les mêmes personnes) et quelques réunions plus larges qui jouent le rôle de connecteurs. Je vous renvoie aux deux exposés slideshare cités précédemment, ou aux différents billets qui traitent du sujet.

J’ai passé beaucoup de temps entre 2006 et 2010 à modéliser et simuler les flux de propagation d’information. Le résultat confirme l’intuition que les réunions jouent un rôle essentiel dans la propagation de l’information complexe. La contribution principale est qu’il faut utiliser des petites réunions courtes à haute fréquence, ce qui est précisément le concept du standup-meeting quotidien des méthodes agiles ou de l’entreprise 3.0 ! Je vous renvoie au Chapitre 4 du « SI démystifié » pour plus de détails (les heureux possesseurs de la première édition intitulée « Performance du Système d’Information » disposent de l’Annexe II qui explique tout cela de façon très détaillée … trop puisque Dunod a préféré la supprimer de la nouvelle édition :)). Il y a de nombreuses raisons qui militent pour la pratique des standup meetings, depuis le besoin de synchronisation d’équipe (bien plus efficace qu’un ensemble de points « one to one ») jusqu’à l’utilisation du « visual management », mais j’éprouve une vraie satisfaction à avoir découvert dans les équations un principe que j’ai appris plus tard par la pratique (on ne se refait pas).

4. L'encombrement des grandes entreprises exige la planification des comités


J’ai dit plusieurs fois dans ce blog que les principes d’organisations, depuis le management scientifique jusqu’à l’Entreprise 3.0, étaient sensibles à l’échelle. Ce qui fonctionne pour une startup ne s’applique pas forcément à une grande entreprise et ce qui est nécessaire pour gérer la complexité du grand nombre n’est pas utile pour une petite équipe. C’est particulièrement vrai en ce qui concerne la combinaison des « taux d’occupation » et « taux de dispersion ». Il est clair que si le taux d’occupation augmente, la probabilité de pouvoir organiser une réunion spontanée baisse. Si tout le monde est co-localisé, une bonne gestion des priorités et un peu de souplesse peut compenser le problème. Mais dès que la complication de la distribution géographique se surajoute, il faut faire appel à la planification des réunions. C’est cette constatation qui à la base du « Garbage Can Decision Model », qui consiste à appliquer la gestion dynamique des priorités à un réseau rigide et préétabli de réunions planifiées. Autrement dit, lorsque la taille augmente et l’activité se diversifie, la prise de décision s’adapte à la gestion des agendas et non pas l’inverse.

Il en découle ce quatrième principe : il faut construire avec soin le réseau des réunions planifiées (comités). En particulier, il doit y avoir un « alignement » avec la structure hiérarchique/organisationnelle pour raccourcir les chaines de propagation d’information. Ce thème est abondamment couvert dans mes deux livres. Je cite par exemple (toujours dans le chapitre 5 de « Processus et Entreprise 2.0 ») :
Le canal de communication associé n’est pas constitué d’une réunion mais de l’ensemble des réunions. Pour pouvoir considérer cet ensemble comme un « système » (un ensemble avec une structure qu’il est possible de réguler et d’optimiser), il ne doit contenir que les réunions programmées (les comités) et ignore les réunions fortuites et informelles. Les comités jouent un rôle clé, qui dépasse ce que l’analyse de l’ordre du jour permet de déduire, car ils sont des nœuds de communication. La rencontre de ses participants permet l’établissement de multiples « micro-canaux » de communication.

L’optimisation du « système réunion » est un de mes sujets favoris. Le troisième conseil, tout comme le sixième sont des illustrations de ce thème. Toutes les grandes entreprises s’appuient sur un réseau de comités, donc cette idée peut sembler sans intérêt. Ce qu’il faut souligner, c’est la nécessité et l’opportunité d’optimiser le réseau de comité en tant que système.

5. Il faut conserver le temps disponible pour bénéficier de la sérendipité des réunions impromptues


Ce cinquième point prend toute son importance dans le contexte de l’entreprise 3.0 et de son adaptation face à un environnement imprévisible. Le modèle du Garbage Can Decision Model, dans lequel on attend de trouver le créneau dans le réseau planifié ne fonctionne plus dans le monde d’aujourd’hui. Il faut pouvoir décider beaucoup plus vite, et les sujets imprévus surgissent à un rythme beaucoup plus élevé. Autrement dit, le système des réunions planifiées ne suffit plus à gérer les aléas que rencontre une entreprise au 21e siècle. Il faut combiner la planification pour tous les sujets connus, et pour ce qui peut se traiter sur le long terme (et qu’il est critique de préserver pour ne pas tomber dans le travers de la sur-réactivité), et la sérendipité – la capacité à organiser une réunion de façon impromptue – pour ce qui est vraiment urgent ou ce qui relève de l’opportunité non prévue.


On retrouve ici des principes des méthodes agiles ou de l’entreprise libérée, et plus profondément des principes du lean management et de la théorie des files d’attente. Pour bien travailler en environnement incertain, il faut se laisser des marges de manœuvre (je n’insiste pas, j’ai écrit cette phrase des dizaines de fois). Cela demande de l’organisation personnelle (savoir déléguer), collective (faire de la place dans le système des réunions) et spatiales (savoir utiliser l’espace pour favoriser la proximité et la sérendipité). Un bon système réunion doit laisser du temps disponible à la fois pour le travail personnel, en fonction des besoins et usages de chacun, mais également des plages communes pour pouvoir monter des réunions d’urgence (des moments où tout le monde reste disponible pour une urgence). Ce dernier point fait une transition naturelle avec le principe suivant.

6. L’entreprise a besoin de règles pour éviter la tragédie des communs


 J’ai utilisé de nombreuses fois le principe de la « tragédie des communs » dans ce blog. L’idée simple est que l’optimum collectif, en matière de pratique des réunions, n’est pas (vraiment pas) la somme des optimums individuels. J’ai détaillé l’exemple des participants en réunion dans un billet en 2008, pour expliquer que le comportement consistant à « venir à plusieurs à la même réunion », qui est problématique globalement, est parfaitement rationnel d’un point de vue individuel. De nombreux sujet de conduite du réunion (partage du temps de parole, préparation, respect de l’ordre du jour …) présentent cette même caractéristique. Ce n’est pas une surprise, puisque le temps de la réunion est par définition un « commun ». 
La conséquence est qu’il faut des règles pour bien utiliser cet espace (temporel) commun. Ces règles s’appliquent au système réunion (pour garantir sa cohérence et son efficacité globale) et à la tenue d’une réunion proprement dite. Je manque de place pour développer le sujet des règles de conduite de réunion, mais il est archi-classique. Comme chacun sait que les règles sont difficiles à appliquer, il faut des pratiques, des comportements qui deviennent des rituels. On retrouve l’importance de ces rituels dans les méthodes agiles tels que SCRUM. Il faut également de l’exemplarité, condition essentielle à la mise en place d’un comportement. Mon expérience est que le premier ennemi de l’amélioration du comportement pendant les réunions (attention, respect, etc.) est précisément la surcharge (un autre petit clin d’œil systémique). Pour paraphraser Lisa Bodell, la première chose à faire pour améliorer la tenue des réunions, c’est d’en supprimer.

7. Loi des systèmes complexes: il est plus facile de montrer que de dire, plus facile de dire que d’écrire


Je terminerai par ce principe qui est probablement le moins scientifique (de ce que je connais), mais le plus validé par les retours d’expérience. On y reconnait le thème central de ce blog : la complexité du 21e siècle "casse" le Taylorisme, la séparation entre la pensée et l’action, la capacité à comprendre à distance. On est également aux racines du lean, à la pratique du « genchi genbutsu » : aller voir pour comprendre.  

Le titre de ce dernier principe encapsule deux idées fondamentales. La première c’est l’importance du « story telling », la primauté de l’histoire (du sens) sur les faits. C’est précisément une des idées clés des méthodes agiles, c’est pour cela que l’unité de travail est le « user story ». C’est aussi pour cela qu’une réunion dans le monde 3.0/libéré ne se conduit pas comme on le faisait auparavant : le fait de préparer ne signifie plus qu’on peut comprendre en lisant le support de réunion. La seconde idée est qu’il y a des choses qu’il faut aller voir pour les comprendre en situation. C’est pour cela que je suis devenu un adepte des « gemba walks ».

La pratique du « management by walking around » est l’antidote contre un « anti-management pattern » bien connu, celui du sur-contrôle. La situation paradoxale se décrit comme suit. Le dirigeant demande une performance difficile, dans un délai tendu, malgré les inquiétudes des opérationnels. A cause du contexte (par exemple la concurrence), le dirigeant maintient son délai mais l’inquiétude est transférée sous forme de besoin de se rassurer, ce qui conduit à la mise en place d’un système de reporting et de contrôle qui rend la tâche des opérationnels encore plus difficile, quand ce n’est pas simplement devenu impossible. Les principes de l’Entreprise 3.0 sont précisément une réponse à ce paradoxe. Ce n'est donc pas un hasard si les écoles de management qui relèvent de cette façon de penser, depuis l'agile jusqu'à l'entreprise libérée d'Isaac Getz, cherchent à minimiser les réunions en salles de réunion ... pour les déplacer sur le terrain, sur le lieu où les équipes travaillent.






dimanche, juillet 19, 2015

La pratique du Lean Startup et du Growth Hacking dans l’entreprise



1. Introduction


J’ai fait du Lean Startup  un guide méthodologique de ma pratique de l’innovation numérique, chez Bouygues Telecom il y a quelques années et chez AXA aujourd’hui. Le livre d’Eric Ries est ma référence, mais de nombreux nouveaux livres sont parus depuis sur l’application pratique de la méthode et sur l’utilisation en entreprise. J’ai déjà mentionné le livre de Trevor Owens et Obie Fernandez, « The Lean Entreprise », aujourd’hui je vais consacrer ce billet à deux livres que j’ai lus récemment, « The Innovator’s method – Bringing the Lean Startup into your organization » et « Running Lean – Iterate from Plan A to a Plan That Works ». Lors d’un précédent billet sur l’entreprise 3.0, j’avais noté que les idées fondamentales de « l’entreprise libérée » se retrouvaient « partout », c’est-à-dire dans un très grand nombre de livres différents, mais parus récemment. La même remarque peut être faite au sujet des principes du Lean Startup, qui se retrouvent dans la plupart des livres récents qui parlent d’innovation dans le monde numérique. C’est certainement le cas pour deux « bestsellers » que je viens de terminer : « How Google Works » de Eric Schmidt & Jonathan Roseberg, et « From Zero to One » de Peter Thiel.

Il n’y a pas simplement une dissémination des idées et une intensification de leur popularité, il y a une maturation sur ce que signifie l’intégration du Lean Startup dans des entreprises matures, par rapport aux startups, et sur la façon de pratiquer. Comme toutes les transformations complexes, introduire le Lean Startup se fait par la pratique. J’ai choisi de commenter « The innovator’s method » car c’est ma nouvelle référence, mon livre préféré sur le sujet, parce qu’il est global et couvre l’ensemble du domaine de l’innovation numérique. En particulier, il fait une synthèse entre les précédents bestsellers de l’innovation et les idées plus nouvelles apportées par le Lean Startup. J’ai écrit récemment un article « L’entreprise numérique et l’innovation » pour la revue « Economie et Management », et je retrouve un alignement complet avec le livre de Nathan Furr et Jeff Dyer. Mon deuxième choix, celui de « Running Lean » d’Ash Maurya, est pour une raison opposée : ce n’est pas un livre conceptuel ni riche en histoire, mais c’est un merveilleux guide pratique. C’est clairement le meilleur livre que je connaisse pour pratiquer le Lean Startup, depuis le début – la définition du problème à résoudre – jusqu’à la phase de développement de l’usage, ce qu’on appelle le « Growth Hacking ». « Running Lean » donne un certain nombre de clés (métriques et principes) pour cette phase du co-développement de l’innovation avec les utilisateurs, à laquelle je consacrerai la dernière section de ce billet.

2. The Innovator’s Method


Le livre de de Nathan Furr et Jeff Dyer, « The innovator’s method », est très agréable à lire et je vous recommande donc sa lecture avec insistance. En particulier, la qualité narrative des anecdotes illustratives est remarquable – ce que je ne fais pas dans ce blog faute de temps J. Ici je vais me contenter de relever quelques points clés du livre,  qui touchent à la pratique du Lean Startup.


  • Le livre s’articule autour d’un schéma en quatre phases que j’ai reproduit ci-contre : (1) insight, (2) problème, (3) solution, (4) business model. La première phase est celle de l’intuition créative, celle où on identifie une idée qui pourrait être utilise, c’est-à-dire résoudre un problème et apporter de la valeur à un groupe de clients potentiels. La seconde phase est celle de la formalisation et validation du problème qu’on veut résoudre. La troisième étape est la réalisation du Minimum Viable Product. La flèche circulaire bleue de l’illustration exprime que cette décomposition n’est pas stricte et linéaire, il existe des interactions et des allers-retours. La dernière phase est la phase de croissance, celle où on développe l’usage et on construit le business modèle. Cette structure n’est pas différente de ce qu’on retrouve dans le livre d’Eric Ries, mais elle permet de mieux faire ressortir (cf. schéma) les liens avec les phases/pratiques de l’innovation : créativité, design thinking, développement agile, etc.

  • Le cœur du livre s’articule sur les principes du Lean Startup : résoudre un pain point, aller au plus vite vers le client pour tester sa solution, mesurer, pivoter si besoin, et surtout itérer. On retrouve des citations telles que celle-ci : « No one can foresee the problem when you face uncertainty. It’s all a guess, and there’s only one way to discover whether it’s right or wrong: by testing it in the market”.
      
  • Les auteurs s’appuient beaucoup sur l’expérience d’Intuit, en particulier pour expliquer la phase de caractérisation de problème. C’est un message fondamental et commun aux deux livres de ce billet : il ne faut pas se lancer dans le design et la réalisation de la solution sans avoir bien caractérisé le problème, c’est-à-dire les « pain points » que l’on souhaite résoudre. Although it may feel “slower” to start with the customer problem rather than the solution, you save time by deeply understanding the customer’s job-to-be-done”. Ce livre parle du concept intéressant de « pain-storming », l’application des méthodes de brainstorming à la caractérisation de ces pain-points : « The purpose of a pain-storm is to get crisp on what we think the problem is so we can test our hypotheses ». « Pain-storming involves creating a customer’s journey line to understand how customers now complete a task and identify their main pain points (and emotions) along the way ».
      
  • Un autre exemple tiré d’Intuit est la création de Labs (Intuit Labs) pour donner un accès direct à des “vrais clients” aux équipes d’innovation. L’accès aux clients est souvent une barrière infranchissable dans de nombreuses grandes entreprises en France. Pourtant, tous les livres que j’ai lus depuis 10 ans disent la même chose. Je cite celui-ci : « Teams need to run experiments with potential customers if they hope to discover the job-to-be-done and then nail the solution. Providing quick and easy access to various types of customers can facilitate rapid experimentation”. Cet accès doit avoir lieu le plus tôt possible, avant que la solution ne soit développée, sous la forme d’un site Web qui permet de faire des “smoke tests” (faire croire que le produit existe pour recueillir des premières réactions) : « To perform a smoke test, create a web site, advertisement, phone number, or other channel that describes the problem, theoretical solution, and provides an option to « learn more », « buy now », « reserve now » or some other call to action ».
      
  • Une mention très intéressante est faite de l’utilisation de la simulation pour valider des fonctionnements systémiques avant de construire une solution. L’exemple fournit est celui d’Amazon qui utilise la simulation pour comprendre et optimiser des questions de chaine d’approvisionnement.
      
  • La création de la solution est un processus itératif qui produit un MAP (Minimum Awesome Product). Le choix de cet acronyme souligne le fait que le MVP est plus que « viable », il doit être formidable. Ce point est très clairement expliqué par Ash Maurya (voir section suivante) : Le MVP est minimum parce qu’il embarque peu de UVP (Unique Value Proposition), mais il est formidable parce que chaque UVP doit l’être. Une erreur classique de l’application du Lean Startup est de faire des compromis sur ce qu’apporte le MVP pour aller vite (selon le principe du « fail fast »). Le MVP est minimal dans son contenu (le plus petit ensemble d’UVP nécessaires pour résoudre le pain point), mais il doit être « awesome » -sinon « fail fast » devient une certitude, et non pas un principe :). Je cite : « Some 90 percent of initial proposals don’t nail the solution to a significant problem. This explains why it’s folly to start by building a product or service before you discovered how it falls short”.
      
  • Cette citation illustre un des principes clés du livre “Nail it, then scale it”. Avant de consacrer du temps et de l’argent à faire croitre sa base client, il faut s’assurer que la solution a bien « résolu » (nail) le problème identifié. Les auteurs suggèrent l’utilisation du NPS (Net Promoter Score) comme métrique, et de vérifier qu’on a dépassé la valeur 10 avant de vouloir faire grandir la base client : « So start by shooting for a 9 or 10 NPS score with 10 people, and then you can think about progressing to the hundredth ».
      
  • Une des histoires les plus passionnantes, en plus de l’histoire introductive que je vous laisse découvrir, est celle de ChotuKool. Il s’agissait de créer un réfrigérateur pour le marché de l’Inde. Passé la première idée de faire un frigo « comme d’habitude mais plus petit et moins cher » (une idée « top down » qui a échoué face aux contraintes pratiques), les auteurs racontent la démarche d’ethno-marketing, consistant à aller sur place pour vivre la vie des futurs clients, heure par heure, pendant quelques jours. Cette partie m’a rappelé un exposé passionnant que j’avais entendu il y a 10 ans sur l’utilisation de cette pratique d’ethno-marketing chez Leroy-Merlin, et sur comment le fait de « vivre la vie » de quelques clients (artisans pros) avait permis de détecter des signaux faibles que l’analyse des tickets de caisse par Big Data (déjà) n’avait pas trouvé. La section « Ethnography to Explore Assumptions » est une des plus intéressantes, avec de multiples conseils pour observer et comprendre les futures clients.  
  • La fin du livre est consacrée au « Business Model Canvas », qui présent un recouvrement important avec le « Lean Canvas » dont je vais parler dans la prochaine section. Il y a cependant des contributions propres, sur les méthodes de fixation des prix et sur l’analyse des facteurs d’influences sur les clients. Par exemple, « Influencers fall into four categories : experts such as product reviewers, thought leaders, or products evaluators ; peers such as bloggers, coustomer reviews, and forum discussions ; media and press, whose attention shapes customer perception ; and reference customers, who create legitimacy and comfort with your solution in customer’s minds ».
      
  • On trouve dans le livre un chapitre consacré à « L’art du pivot ». La section page 172 est particulièrement intéressante et constitue un bon ajout au livre d’Eric Ries, avec beaucoup de conseils pratiques, fondés sur des métriques. Je vous recommande également dans ce chapitre l’histoire de Aardvark, qui illustre la tension entre la mission de la startup (ou du produit) et le feedback des utilisateurs. Dans le cas d’Aarvark, les demandes clients étaient en conflit avec le « positionnement stratégique » du produit. Ceci a causé un délai trop long pour prendre en compte certaines demandes … et a fait perdre une opportunité face à un concurrent. Je suis sensible à ce témoignage car c’est une situation que j’ai déjà vécue. Les témoignages des premiers utilisateurs sont plein de « pépites », mais qui sont souvent rejetées pour des raisons dites « stratégiques » alors que ceux qui fabriquent le produit sauraient parfaitement réaliser ces évolutions.
      
  • Pour conclure, j’ai également beaucoup apprécié les remarques sur les réunions et la bonne façon de les conduire. Ce petit exemple est un parmi une multitude de références implicites à la culture « Entreprise 3.0 / Entreprise libérée » que l’on trouve dans ces livres sur l’innovation. Les auteurs proposent 4 modèles de réunions : (1) les « All-hands meetings », informels qui impliquent tous les acteurs du projet ; (2) les meetings quotidiens de synchronisation, tels que les « stand-up meetings » ; (3) les « skip-level meetings » - qui permettent aux seniors managers d’appendre par le contact direct et sur le terrain avec ceux qui réalisent le produit (une version affaiblie des gemba walks) et (4) les réunions avec des acteurs externes, pour obtenir un point de vue neuf et iconoclaste sur le déroulement du projet.

3. Running Lean


“Running Lean” de Ash Maurya est disponible depuis 2012 (2010 pour la première éditition en e-Book). Dès le début, il a rencontré un grand succès aux Etats-Unis avec des critiques très positives. Je l’ai feuilleté dans une librairie en 2013 et je me suis dit « pas beaucoup de contenu, je connais déjà tout cela … ».  Maintenant que je l’ai lu en détail, je me rends compte de mon erreur. Ce livre est une véritable mine d’or pour la mise en pratique du Lean Startup. Il ne cherche pas à vous convaincre d’adopter le Lean Startup, il y a d’autres livres pour cela, celui d’Eric Ries ou « The innovator’s method » par exemple. « Running Lean » est un « how to guide », dans la grande tradition américaine. Je vais me livrer à mon exercice favori de rapporter les points essentiels que j’ai noté, mais c’est contre-indiqué, puisqu’il s’agit de pratique. « Running Lean » est un livre qui se met en oeuvre, une suite de choses à faire. Le meilleur conseil que je puisse donner, et que je suis en train de m’appliquer, est de partir d’une vieille idée qui dort dans un coin du cerveau et de passer les étapes et les outils les uns après les autres.  Le message principal est le même que précédemment : il faut travailler sur le problème, sans relâche, avec des utilisateurs, pour être sûr qu’on travaille sur la bonne question. Pour reprendre une citation de Ash Maurya :  “Life is too short to build something that nobody wants”.
  • En particulier, l’outil central, le lean canvas, est une pratique qui doit devenir obligatoire dans le monde de l’innovation numérique : « A single page-page business model is meach easier to share with others, which means it will be read by more people and probably will be more frequently updated ». Le Lean Canvas, dont le schéma est reproduit dans la figure qui suit, est composé des réponses à 9 questions clés, organisées de façon logique. Ce canvas s’insipire de canvas précédents (cf. le Business Model Canvas évoqué précédement) et représente le fruit d’une longue évolution. Vous ne trouverez pas de justification des 9 cases, mais c’est clairement le résultat de l’expérience et de l’itération.



  • Une des cases les plus importantes du canvas est celle des « Unique Value Proposition ».  Le parallèle avec les Unique Selling Propositions (un des classiques du marketing) est évident, mais l’accent est mis sur l’usage, l’expérience et sur l’histoire à raconter au client. Il est d’ailleurs intéressant de noter que la méthode sépare trois domaines : le problème, les USP (histoires qui donnent la légitimité à la solution, qui définissent le « job-to-be-done » pour reprendre les termes de Furr et Dyer) et les features clés de la solution (ce qui concrétise la solution). Trouver ses UVP est un gros travail, qui exige une approche itérative et beaucoup de remise en cause : UVP is hard to get right because you have to distill the essence of your product in a few words that can fit in the headline of your landing page”. Les UVP définissent ensuite une “boussole” pour la réalisation du MVP. Même si  l’agilité donner une souplesse sur comment construire les features, la promesse des UVP ne doit pas être compromise : “The job of you UVP is to make a compelling promise.  The job of the MVP is to deliver that promise”.
  • Une section intéressante traite de l’organisation de l’équipe. Le point de départ est la constatation classique, et que j’ai cité plusieurs fois, qu’il faut assembler dans la même équipe les compétences de marketing produit, de développement et de design (« three must-haves », p. 58). L’organisation proposée s’appuie sur deux équipes : la « problem team » qui est responsable de la définition du problème et des UVP, la « solution team » qui construit le MVP. « The problem team is mostly involved with « outside the building » activities such as interviewing customers …. The solution team is mostly involved with “inside the building” activities such as writing code, running tests, deploying releases, an so on.”

  • La section la plus développée, logiquement, est celle qui porte sur la caractérisation du problème, en particulier en interaction avec des futurs utilisateurs. « The fastest way to learn is to talk to customers. Not releasing code, or collecting analytics, but talking to people”. Le chapitre 6 est très riche et contient des conseils très utiles. Il commence par une section sur les « surveys and focus groups » qui peut sembler dogmatique (si on le prend à la lettre) mais qui me semble pertinent. En deux mots : méfiez vous des « surveys » qui supposent que vous connaissez déjà les questions à poser, et évitez les « focus groups », car vos clients ne peuvent pas formuler leurs besoins (le classique « It's really hard to design products by focus groups. A lot of times, people don't know what they want until you show it to them » de Steve Jobs) et le travail en groupe produit du « group think » qui converge trop vite et passe à côté des pépites. Une fois que l’on a compris que le focus group est là pour capturer le problème et pas la solution, et une fois qu’on se rappelle qu’il faut également des entretiens individuels, il est facile de réconcilier les points de vue. A lire donc pour éviter les erreurs, mais de mon point de vue les focus group restent des bonnes méthodes : en « problem search » et en « prototype validation »  (solution interview – avec ce conseil « “don’t ask customers what they want, measure what they do”). Ce chapitre met également en valeur les apports du Design Thinking  et propose de nombreuses références pour aller plus loin, dont le Human-Centered Design Toolkit de IDEO. On  retrouve ici les mêmes idées que dans l’ethno-marketing : préferer le qualitatif sur le quantitatif (en amont), préférer les signaux faibles et les « insights » aux moyennes et aux « concours de popularité ». Un autre conseil très intéressant est de bien comprendre les alternatives qui existent déjà pour résoudre le problème qui a été identifié. S’il n’y en a pas, le problème n’est probablement pas si intéressant : « a problem with no solution is not worth being solved most of the time”.
      
  • Dans l’esprit d’Eric Ries et la tradition Lean Startup, ce livre insiste sur le fait que les fonctionnalités doivent être tirées par les feedbacks clients et non poussées (« features must be pulled not pushed “). Le même message a été brillamment développé par Jared Spool cette année à USI.  On trouve par exemple ce conseil : Building great software is hard. Give your MVP a chance. First troubleshoot and resolve issues with existing features", qui est parfaitement en ligne avec ce que nous savons sur les analyses de dissatisfaction des applications mobiles. Une métaphore intéressante: « Your MVP should be like a great reduction sauce – concentrated, intense and flavorful »,  qui se combine très bien avec l’importance de l’analyse des émotions et de l’empathie des utilisateurs préconisée dans le livre précèdent.
  • Un des thèmes important du livre est celui des métriques, et en particulier l’utilisation des «Pirate Metrics » (AARRR : Acquisition, Activation, Retention, Referal, Revenue). On trouve dans le livre plein de conseils du type « Retention before Virality » (cf. section précédente), sur lesquels je reviendrai dans la section sur le Growth Hacking. Mais notons tout de suite l’importance de mesurer la viralité des produits, le « referal rate ». On trouve également le slogan « Metrics are People First », qui me semble essentiel : il faut pourvoir comprendre les personnes qui sont derrière les chiffres : « While I am a big proponent of building a metrics-driven culture, there is a lot more to building a great product that numbers. For starters, you have to be able to go to the people behind the number ». Un point très important et bien expliqué est l’analyse par cohorte, qui permet de comprendre les « cycles de vie » des utilisateurs et d’éviter que plusieurs phénomènes se superposent. Ash Maurya fait également référence au Sean Ellis Test : Ce test permet de dire qu’un produit a atteint un niveau suffisant de satisfaction (ce que l’on appelle avoir obtenu de la « traction »), lorsque 40% des gens qui ont fait l’effort d’utiliser le produit (mesuré avec la métrique Activation)  déclarent qu’ils seraient « vraiment décus » si le produit était abandonné.

4. Growth Hacking et Conclusion


Le growth hacking est un ensemble de pratiques pour développer l’usage qui commence à être formalisé suite au partage d’expérience des startups … et d’autres entreprises innovantes. Facebook, Twitter, LinkedIn, AirBnB et DropBox utilisent les techniques de growth hacking pour leurs propres applications. Il existe un excellent site en français pour la communauté des Growth Hackers.  Je vous recommande également  le slideshare de Mattan Griffel pour une introduction au sujet. Le terme a été inventé précisément par Sean Ellis. Pour reprendre les mots d’Aaron Ginn, « Growth hacker » est un nouveau mot pour une pratique qui existe depuis longtemps chez les meilleurs product and internet marketers de la Sillicon Valley. Il s’agit de mélanger des principes de marketing (viral) et de design de produit, parce que dans le monde numérique, il est possible de le faire ! C’est ce qui justifie le nom : le growth hacker est un hybride marketing / développeur, et le produit devient son propre outil de distribution et promotion.

Il y a trois idées fondamentales dans le growth hacking. Premièrement, l’utilisation des métriques AARRR et le fait de piloter la croissance en partant de la donnée, en prenant des décisions à partir de chiffres. Deuxièmement, la construction de modèles de croissance (growth models), dans la tradition de l’innovation accounting d’Eric Ries, qui sont des modèles analytiques de croissance représentant des hypothèses qui sont ensuite validées et actionnées … ou invalidées. Troisièmement, l’utilisation du produit comme outil de distribution virale et sociale. Cet aspect doit être pensé dès le début de la construction du MVP, je cite Seth Godin : « Virality is not something that you do to a product. It is something that the product is ». A côté des grands principes, il existe une multitude de pratiques et d’astuces pour accélérer chacune des phases. Le « definitive guide to growth hacking » de Neil Patel & Bronson Taylor est un bon exemple.

La pratique du Growth Hacking s’intégre parfaitement dans la vision du lean startup telle que présentée dans le premier livre que j’ai cité. Avec mon collègue Stéphane Delbecque d’AXA, nous avons détourné le schéma de Dave Landis pour obtenir la figure suivante. La dernière étape, de croissance, s’appuie sur ce que nous appelons le Customer Feedback Learning Loop (CFLL).



Le CFLL est construit sur trois canaux d’écoute :
  • Le canal implicite, qui s’appuie sur le Web & Mobile Analytics, consiste à étudier ce que les utilisateurs font avec le produit, l’application mobile, etc.
  • Le canal explicite collecte les verbatims des clients, depuis les commentaires dans les App Stores jusqu’au  enquêtes clients sur le terrain (cf. section précédente) en passant par les formulaires et outils de feedbacks qui sont tissés dans l’application.
  • Le canal social consiste à faciliter l’organisation des utilisateurs sous forme de communautés, pour passer d’un dialogue one-to-one à un dialogue social/communautaire, dont l’expérience enseigne qu’il est beaucoup plus riche.
Ce que les deux livres que je viens de résumer nous enseignent, c’est qu’il y a une courbe de maturité à suivre dans le growth hacking. La première étape est de construire une application satisfaisante, en fixant le cap à la fois sur les UVP (la promesse) et l’excellence de l’expérience (disponibilité, rapidité,  simplicité, etc.). Cette satisfaction se mesure par exemple par le NPS, mais aussi en appliquant le Ellis Test sur le ratio MAU (monthly active user) / Activation. La seconde étape est de solidifier cette satisfaction dans la durée, en observant les métriques de rétention. La troisième étape est celle de la viralité, mesurée par le « Referral rate ». Comme cela a été dit précédemment, il ne faut activer la viralité que lorsque la rétention est acquise, mais ces mécanismes doivent être construit dans le produit depuis le départ (c’est d’ailleurs vrai de l’ensemble de la problématique de la scalabilité, comme le disent Eric Schmidt et Jonathan Rosenberg «  Scaling needs to be a core part of your foundations »). La dernière étape est celle de l’accélération de la croissance virale par le marketing traditionnel, c’est-à-dire la communication, la publicité, la promotion, etc.