mardi, avril 01, 2014

Grenelle de l'environnement III : enfin un pack législatif avec de l'audace !



J’ai profité de cette période de repos entre deux jobs pour retourner à la conférence CASPI à laquelle j’avais déjà assisté l’an dernier. J’ai participé à une session fort intéressante sur la mise en œuvre des préconisations du Grenelle de l’environnement. Apres Grenelle I et Grenelle II, l’objectif des débats était de définir les contours d’un Grenelle III, en appliquant les méthodes de la systémique pour promouvoir un pack législatif plus efficace.

L’esprit de Jeremy Rifkin et de son livre « La troisième révolution industrielle » planait sur cette conférence. J’ai rencontré Mick Tesys, un ancien élève de Rifkin, qui est maintenant un conseiller de Cécile Duflot. L’ancienne ministre prépare depuis quelques mois sa sortie du gouvernement. Mick a été formé au Washington Center for Complexity and Public Policy, dont la devise est “Strategic Thinking in a Complex World” (avec la declaration suivante que les lecteurs de ce blog apprécieront:  “the work of the Center is based on the premise that insights from complex systems research—complexity science—provide a powerful new theory-driven framework for developing insight about the present and foresight about the future”.)

Mick est en train de développer un pack législatif pour un Grenelle III qui s’appuie sur l’analyse systémique des limites des Grenelles précédents. Son travail s’inscrit dans un programme européen 40/40/40 qui est une proposition pour aller beaucoup plus loin que le plan 20/20/20 actuel. Les « trois 40% » sont :
  • Réduction de 40% des émissions de CO2 d’ici 2025 (ce qui est un objectif ambitieux vu que les chiffres 2012 ne sont pas bons).
  • Augmentation grâce aux outils réglementaires du prix de 40% de l’électricité d’ici 2025 (pour favoriser les sources d’énergie propres).
  • Réduction de 40% de la consommation énergétique Européenne d’ici 2025, pour moitié par une augmentation de l’efficacité énergétique et pour moitié par une politique de réduction de l’activité économique énergivore, dans un souci de réduire la pression sur la planète.

Mick Tesys a fait un très bon exposé lors de la session dont je viens de parler, son plan a été considéré comme une approche crédible pour atteindre les objectifs ambitieux de ce nouveau programme Européen. Je vous livre ici les 6 points principaux de sa proposition :

 (1) Renforcer de façon systémique la pertinence de l’énergie éolienne.
Le coût de production de l’énergie éolienne aujourd’hui est encore trop élevé, et pour un certain temps, surtout si l’on intègre les perspectives de prix des hydrocarbures qui sont très différentes de ce qui était prévu à l’époque du Grenelle I (2007). La solution est donc de continuer à taxer l’électricité, nucléaire ou fossile, pour d’une part subventionner les sources vertes et d’autre part réduire le différentiel de coût. A ceux qui ont objecté que cette politique conduisait à ne pas être compétitive en matière de data centers, Mick oppose une politique de « digital detox ».  Son cabinet prend très au sérieux les menaces que « Google nous rendrait idiot ». J’ai développé ce sujet dans un billet précédent, et on peu lire avec intérêt « The Shallows » de Nicholas Carr. L’abus de la connectivité permanente, de l’hyper-navigation et des smartphones limite notre attention et notre capacité à apprendre. Le plan proposé par Mick inclut la limitation à un seul objet portable (smartphone ou tablette) par français, en s’appuyant sur un numéro unique contrôlé par le GIE portabilité.  « Le digital detox est une opportunité de compétitivité culturelle pour la France » a expliqué Mick, en ajoutant qu’il fallait bien sur interdire les tablettes à l’école pour se concentrer sur l’enseignement des mathématiques, du français et du latin.


(2) Promouvoir l’énergie solaire en réduisant le besoin de recours au stockage.

Le coût de stockage de l’énergie reste très cher, et toute forme de production d’électricité qui s’appuie sur du stockage à cause de son intermittence est condamnée pour l’instant à ne pas être rentable, en dehors des très courtes périodes de pics pour lesquelles les prix de marchés peuvent être plus élevés. Le stockage local, à base de batteries, est particulièrement cher (plus de 150$ par MWh), tandis que les solutions globale, par exemple de type STEP, nécessite de construire des nouveaux réseaux entre les lieux de stockage et les lieux de production. La solution systémique proposée par Mick Tesys est de déplacer la demande par une politique tarifaire qui favorise la consommation diurne. Dans son plan, le coût de l’électricité serait multiplié par 4 dès que le soleil tombe, avec une péréquation pour réduire le cout pendant la journée. En bon disciple de Jeremy Rifkin, il voit dans les technologies de compteur intelligent du Smart Grid la possibilité de déplacer la demander avec de la tarification dynamique.

(3) Favoriser la voiture électrique grâce à la règlementation urbaine.

Le coût élevé des batteries reste un grave handicap pour l’essor des voitures électriques. Compte-tenu des durées de vies limitées, la propulsion électrique dont l’énergie sort d’une batterie est difficilement compétitive avec les moteurs thermiques modernes, surtout sous une forme hybride. Comme il existe en revanche un avantage en dehors de la batterie (le groupe propulseur électrique coûte moins cher qu’un ensemble moteur thermique et boite de vitesse), l’analyse économique de Mick Tesys montre qu’il existe deux configurations rentables : la petite voiture urbaine avec une faible batterie (le gain sur le coût du moteur compense partiellement le prix de la petite batterie) ou les voitures haut de gamme, de type Tesla S,  pour lesquelles le prix de la grosse batterie est « caché » dans un ensemble d’équipements de prestations. Pour la voiture moyenne, la rentabilité de la propulsion électrique n’est pas là, ce qui explique les résultats décevants de Zoe.  La solution systémique est donc également de déplacer l’équilibre des avantages/inconvénients grâce à la régulation.  Le plan « Grenelle III » comporte deux mesures : (a) nouvelles limitations de vitesses : 100km/h sur autoroute, 70 km/h sur route et 30km/h en ville ; (b) la décision de réserver à partir de 2017 les centres villes aux véhicules électriques (« zéro émission »). La simulation effectuée par le LMSCAI (Laboratoire de Modélisation de Systèmes Complexes à base d’Agents Intelligents) montre que dans ces conditions, le parc de voitures électriques pourrait atteindre 50% en 2020.

(4) Accompagner la transition énergétique par une véritable politique sociale

Mick Tesys est d’une grande lucidité sur les impacts de son plan, il déclare « Notre politique en faveur d’une énergie chère va produire de la décroissance industrielle ».  C’est un véritable choix de société, il faut apprendre la frugalité aux Français. Pour que cette transformation soit juste, elle doit donc d’accompagner d’une taxation sociale à l’usage. Mick a présenté une proposition de tarification qui s’appuie sur un prix « social » pour la fraction de consommation en eau, chauffage et électricité qui correspond à une consommation frugale d’un individu modéré. Le tarif augmente ensuite sensiblement, pour atteindre un niveau maximal qui intègre une taxe carbone de 250€/t pour les familles aisées. Le débat sur l’équité par rapport aux familles nombreuses n’a pas eu lieu,  le plan Grenelle III comporte une proposition de formation d’inspiration Malthusienne dans les écoles pour décourager les familles nombreuses et réduire la pression sur la planète (empreinte écologique). Devant une audience qui lui était acquise, Mick a déclaré : « Il faut s’inspirer de l’exemple chinois, et également proposer des modèles alternatifs de famille qui conduisent à la décroissance naturelle de la population ».


(5) Profiter de l’essor des objets connectés pour faire de la France un modèle de civisme contrôlé.

La conférence a été l’objet d’un long débat sur la vitesse de pénétration des solutions de  « Smart Home » et de capacité d’avoir des « chauffages intelligents » couplés avec les « Smart Grids ». Mick travaille avec le cabinet de Fleur Pelerin pour mettre un boitier Netatmo chez tous les français. « Nous devons profiter de l’avance de la France dans le domaine des objets connectés et installer un compteur de calories connectés dans tous les foyers ». Bien avant l’arrivée des chauffages intelligents de 3 ème génération, ces objets intelligents peuvent servir d’instruments de mesure et de contrôle, en faveur d’une vaste politique de frugalité calorique. Il s’agit de reprendre le principe des radars automatiques et du permis à point. Chaque boitier est capable de détecter une température anormalement élevée et d’envoyer automatiquement par email (pour éviter la déforestation, il faut faire mieux que les amendes liées aux excès de vitesse) un procès-verbal d’excès de chauffage. Chaque foyer dispose d’un permis à points, pour mettre en place une boucle d’apprentissage avec feedback. Mick Tesys a commenté les expériences de Smart Grids en Corée, qui  montrent un effet rebond : la plus grande efficacité énergétique est utilisée  par les habitants pour obtenir un plus grand confort thermique. L’intérêt de l’utilisation des TIC (objets communicants) est de permettre au régulateur d’éviter ces comportement déviants et peu civiques.



(6) Inscrire la consommation responsable dans un grand programme de E-santé
Parmi les différents gaz à effet de serre, le méthane est particulièrement inquiétant, puisque son PRG (potentiel de réchauffement global) est 25 fois supérieur à celui du dioxyde de carbone. Mick souhaite sensibiliser l’opinion publique sur les ressources nécessaires pour produire un kilo de bœuf, comparées à celle nécessaires pour produire un kilo de protéines végétales, ainsi qu’aux externalités négatives telles que la production de méthane. Dans le cadre du volet « consommation responsable » de son programme législatif, il instaure une taxe sur la viande de bœuf et sur les pâtisseries au beurre. Pour renforcer l’éducation des nouvelles générations, il est également proposé d’instaurer un régime végétarien obligatoire dans l’enseignement supérieur, « une fois que les élèves on terminé leur croissance ». En revanche, parce qu’il a lu Kahneman, Mick Tesys réduit les taxes sur le sucre et le chocolat. En effet, il est scientifiquement prouvé que le sucre nous rend plus créatifs et plus collaboratifs, « ce qui est indispensable pour mettre la France en avant de l’économie numérique et du savoir ».  Ce volet de consommation responsable contient de nombreuses mesures destinées à améliorer la santé de nos concitoyens. Par exemples, la TIPP s’appliquerait aux huiles de consommation (ce qui supprime le problème des agriculteurs qui roulent à l’huile de colza) et aux spiritueux (pour réduire le problème de l’alcoolisme en France). Ce programme instaure aussi une mesure annuelle du cholestérol pour tous, et une indexation de la CSG sur ce taux de cholestérol. Je cite : « Il ne s’agit pas de matraquer les français avec une nouvelle taxe, mais d’améliorer les connaissances et la prise de conscience de tous ». La vocation de ce programme est de s’effectuer par auto-mesure grâce aux progrès constants en matière d’objets connectés portables. Le fléau de l’augmentation de l’obésité doit être adressé, et cette mesure systémique est de nature à renverser la tendance, en s’appuyant sur un indicateur qui est justifié d’un point de vue médical.


Il est clair que les propositions de Mick Tesys ne sont pas forcément populaires, mais on ne peut être que frappé par la cohérence de ce programme.  Ce travail a donné lieu à un article dans le Journal on Policy and Complex Systems. Il s’appuie sur le principe de « Irritant Homeostasis » qui postule que si l’environnement devient irritant, il faut irriter les citoyens. C’est d’ailleurs ce principe qui est utilisé à Paris pour faire évoluer la circulation automobile.
C’est également une belle illustration de la « Systemic Attitude »,  le fait de travailler sur les causes profondes et de proposer des législations qui vont profondément changer nos habitudes.