lundi, juillet 14, 2008

Désordre et Sérendipité







L'apologie du désordre, voire du chaos, et de la sérendipité est à la mode. Aujourd'hui je vais poster deux petits comptes-rendus de lecture sur ce thème.




Le premier livre est « A Perfect Mess » d'Eric Abrahamson et David H. Freedman. C'est un livre très agréable à lire, drôle, que je recommande comme « lecture d'été ».

Comme toujours, je me contente de noter quelques points saillants, par rapport à mes propres intérêts et par rapport au thème de ce blog. Cette méthode est mal adaptée à ce livre, qui fourmille de petites pensées et remarques pertinentes (sur les files d'attentes, sur l'organisation, etc.).

  • Premièrement, une statistique intéressante : chacun d'entre nous garderait en moyenne une pile de trente-sept heures de « travail à faire » devant soi …
  • Page 30, une digression sur la file d'attente comme outil de «maturation de besoin », qui rappelle ce qui a été dit dans se blog sur l'effet autorégulateur des files d'attentes.
  • Page 116, je recommande chaleureusement « The Seven Highly Overrated Habits of Time Management ». Sans qu'il n'y ait de références au Lean, on trouve des anecdotes qui sont parfaites pour illustrer l'intérêt certains points (tels que le « juste à temps »). Par exemple, le « plan early, plan twice » : un dicton des US Marines qui explique qu'un plan préparé trop longtemps à l'avance perd rapidement sa pertinence. On y trouve également un plaidoyer en faveur de la flexibilité dans les emplois du temps, à la fois parce qu'il faut « saisir les opportunités de faire bien les choses » et parce que tout emploi du temps est inadapté par principe (trop d'incertitude et trop d'inconnues).
  • Le livre, on l'aura compris à partir du titre, vante les effets positifs et nécessaires du « mouvement brownien », du « désordre » et de l'aléatoire. Il contient de nombreux exemples, tirés de l'expérience de laboratoires de R&D, pour rappeler qu'il y a des limites au « pull » en matière de satisfaction client.
  • Sur le même sujet (savoir ce dont le client a vraiment besoin), le livre cite des chiffres intéressants d'IBM (collectés par Joseph Goguen), à propos des projets informatiques. Une étude sur les causes des échecs des projets (dont des échecs massifs à 1.5 milliards de dollars) attribue 20% des causes à des problèmes techniques, 20% à des problèmes d'organisation et 60% au fait que les besoins des utilisateurs n'étaient pas compris. Cependant, pour reprendre un propos de Justin Hectus, lorsque qu'on demande aux utilisateurs comment ils travaillent, « They get it all wrong. People tend to be unaware of the eccentric ways in which they organize their own work processes ». Un autre problème, cité par Goguen, "is that people will often state with great confidence what they want from a system, until they actually see the results, at which point they change their minds". Les auteurs en concluent qu'il faut un peu de "fantaisie" dans le processus de développement de logiciel, on pourrait également déduire qu'il faut un peu de méthode dans l'analyse des processus.



Le second livre est « Everything Miscellaneous » de David Weinberger. Notons en passant que D. Weinberger est un personnage remarquable, par son éducation, son histoire et ses écrits précédents. Voici également quelques points que j'ai notés :










  • L'inventeur de la structure d'arbre serait Porphyre, un philosophe Syrien du troisième siècle avant JC.

  • Une citation de JP Rangaswami, à l'époque où il était CIO de Dresdner Kleinwort, selon lequel l'usage de wikis associés à des projets réduit l'usage du mail de 75%, et réduit de moitié le temps passé en réunion.
  • Page 178, une digression sur l'histoire des structures hiérarchiques, dans les contextes militaires et de chemins de fer, qui rapporte une citation de McCallums « channels of authority and responsibility were also channels of communication ». Cette réflexion se poursuit sur le thème de l'entrelacement entre les structures de contrôle et de communication, un thème cher à ce blog.
  • Les pages les plus intéressantes de mon point de vue sont à la fin (180-182) et portent sur les travaux de Valdis Kreb (voir son blog "Network Weaving". Valdis Kreb est un pionnier de l'analyse des réseaux sociaux de l'entreprise, comme par exemple les graphes d'envoi de mail. Il a constaté que lorsqu'un projet commence à rencontrer des difficultés, le réseau social du projet se contracte et se recentre sur la structure organisationnelle. En clair : on retrouve le bon vieux réflexe tribal qui fait que l'on « serre les rangs » lorsque cela va mal. On peut également interpréter de façon positive le fait qu'un « réseau social étendu » est un signe de bonne santé (d'irrigation) pour un projet. En effet, et c'est tout l'intérêt de la variabilité prônée par ces deux livres, une perturbation de l'ordre (suggérée par Valdis Kreb : déménager les équipes et casser les relations de proximité) a permis de remettre sur ses pieds une des projets qui connaissait des difficultés.
  • Valdis Kreb relate une expérience d'analyse de réseau social à TWR, et comment cette analyse permet de repérer les « nœuds de centralité » (au sens de Linton Freeman), qui sont les individus importants. La même analyse fait ressortir les managers dont les « social skills » laissent à désirer …
  • La théorie (classique) qui veut que l'innovation naisse de l'intersection de flux d'idées est illustrée de façon particulièrement concrète, et dans un sens littéral ! Ron Burt a montré l'importance du positionnement dans un réseau pour être « irrigué » et devenir plus innovant.

Pour conclure, je ne pense pas qu'il faille prendre ces livres « trop au sérieux » : ce sont des contre-points, des rappels à l'ordre salutaires. En revanche, ils n'ébranlent pas ma confiance dans les 5S, au propre (rangement physique) comme au figuré.

Je reviendrai sur les travaux de Valdis Kreb que je me propose d'explorer. Le site de son entreprise est très intéressant et porte précisément sur les sujets de ce blog.