dimanche, août 28, 2016

Découverte et Déploiement continus de produits



1. Introduction



J’ai profité de l’été pour lire un certain nombre de livres et regarder quelques talks comme les deux que je vais évoquer. Il m’apparait un mouvement important de convergence autour des idées que je présente dans ce blog, qu’il s’agisse d’entreprise 3.0, de lean startup, de design thinking ou de déploiement continu. Plus précisément, les pièces du puzzle commencent à se mettre en place et c’est une approche complète qui émerge.
Commençons par évoquer l’excellente intervention de Marty Cagan à l’USI 2016 intitulée « The Root Cause of Product Failure ». Je vous laisse découvrir le style inimitable et provoquant de Marty Cagan, leader du Silicon Valley Product Group, qui commence son exposé en challengeant les entreprises françaises sur nos méthodes de travail – « French companies operate the wrong way, change the way you work ». Il y a de la caricature dans ses propos, et il faut prendre le tout avec un grain de sel, mais on trouve également des idées clés, exposées avec force. Ces idées sont la conséquence de la complexité croissante et du rôle de l’usage, dans la droite ligne du Lean Startup et des thèmes de ce blog.  La première est qu’il faut prendre de la distance avec les roadmaps, puisque 50% de ce qu’elles contiennent ne sera pas utilisé pas les clients et l’autre moitié va nécessiter des itérations multiples de mise au point. Le second conseil est de se concentrer sur les « outcome » - lié à l’usage - et pas les « outputs », ce qui est bien sûr plus difficile et exige de renoncer aux anciennes méthodes velléitaires de contrôle. La troisième idée est qu’il faut maitriser et combiner deux processus parallèles et itératifs : « continuous product discovery » et « continuous product delivery ». C’est une idée que j’avais commencé à développer dans mon exposé au Xebicon dont l’illustration (simplifiée) à droite est extraite. Cette slide intitulée « Lean Startup and Lean Software Factory » pourrait également s’appeler « Product Discovery and Product Delivery


L’édition 2016 de l’USI recèle de nombreuses pépites, je vous recommande également l’exposé de John Kolko  intitulé  « Well-Design : How to use empathy to create products people love ».John Kolko est un des « apôtres » du Design Thinking.  Son exposé mérite une écoute attentive, notamment la seconde partie qui fourmille d’exemples pratiques. Le thème général est la convocation de l’émotion et de l’empathie dans le design des produits, ce qui résonne avec l’exposé que je viens de mentionner. L’empathie s’exprime par des histoires et le « product manager » doit être un « story teller ».  Le message principal est l’importance de l’observation - « observe and listen » - en allant « vivre l’expérience de ses futurs utilisateurs le plus tôt possible ». On retrouve le rôle de « Product anthropologist » cher à Richard Sheridan. Ces témoignages utilisateurs sont collectés et mis à la disposition de toute l’équipe en utilisant la force du management visuel (i.e., l’affichage sur les murs – « the great wall of utterance »). Cela souligne l’importance de la sérendipité dans le design thinking : il ne s’agit pas simplement de recueillir des « feedbacks » pour valider ou invalider des hypothèses : il faut écouter. La construction des hypothèses, des « behavioral insights » se fait de façon émergente. Et tout cela prend du temps et demande beaucoup de travail

Mais ma plus grande découverte de cet été est le livre “Lean Enterprise – How High Performance Organizations Innovate at Scale » qui va être le sujet du billet de ce jour.

2. Lean Entreprise


Ce livre est présenté en préface comme « Reingineering the Corporation for the digital age ». C’est à la fois un livre de synthèse, très à jour dans ses références, et un livre assez personnel sur l’importance de relier les deux flèches présentées dans l’introduction : le « product discovery » et le « product delivery ». C’est clairement un livre écrit avec un parti-pris informatique et logiciel, même s’il s’agit d’un livre généraliste pour un public large. Je vous recommande cet petit compte-rendu si vous voulez vous faire une idée avant de vous plonger dans ce qui va suivre. Vous pouvez aussi jeter un œil sur les recommandations.
J’ai lu ce livre cet été sur mon iPad, et je surligne comme chaque fois tout ce qui me semble intéressant. Dans ce cas précis, j’ai obtenu plus de 20 pages de citations ! La double conséquence est que mon petit résumé de lecture va être un peu plus long qu’à l’habitude …. Et qu’il s’agit bien d’un choix éditorial et personnel. Même si j’ai quelques petits sujets de divergence, ce livre est la meilleure version en anglais des idées présentées dans ce blog. La raison est double. D’une part ce livre est une synthèse, et la bibliographie dont sont partis les auteurs est la même que la mienne. On va retrouver des noms et des titres connus. La seconde raison est la proximité culturelle, les auteurs et en particulier Jez Humble ont une forte expérience, et culture, en IT et en architecture, ce qui transparait dans cet ouvrage. Suivant mon habitude, je vous propose un petit décalogue des idées principales, émaillé de citations extraites de cet ouvrage.

2.1   Il existe un ensemble de principes et de méthodes adaptés aux défis des entreprises plongées dans un monde numérique 


 L’objectif de ce livre est d’aider les entreprises qui cherchent à mettre en places les deux démarches évoquées dans l’introduction : “When Continuous Delivery (Addison-Wesley) and The Lean Startup (Crown Business) were published, we saw an enormous amount of demand from people working in enterprises who wanted to adopt the practices described in these books”. Une petite partie du livre est donc consacrée à une explication pédagogique des démarches de Lean Startup -avec son vocabulaire, ses principes et ses objectifs, fournir de la valeur au client en résolvant un vrai problème – et de « Continuous Delivery » (de façon simple, puisque qu’il existe un autre livre qui traite de ce sujet de façon unique). La partie la plus importante donne des conseils de mise en œuvre et surtout souligne les difficultés et les écueils à éviter. On peut donc dire que l’idée centrale est l’utilisation de méthodes incrémentales pour s’adapter de façon continue à un monde qui change (homéostasie). C’est plus général que le sujet du développement produit :  “However, the principles behind the Lean Startup can be applied to all kinds of activities within the enterprise, such as building internal tools, process improvement, organizational change, systems replacement, and GRC (governance, risk, and compliance) programs”. 
Les auteurs expliquent en détail une des conséquences clés de l’approche Lean Startup : le “business case” est le résultat du processus d’innovation (dans sa partie de product discovery), pas la condition. Bien sûr, il existe dès le début du processus d’innovation des hypothèses de création de valeur (à valider ou invalider) et un budget à respecter (cf. affordable loss), mais un business case produit trop tôt relève de la fantaisie : “Thus the business case essentially becomes a science fiction novel based in an universe that is poorly understood — or which may not even exist!”. D’un point de vue systémique, Lean Startup est vu comme un processus pour réduire l’incertitude : « The job of an experiment is to gather observations that quantitatively reduce uncertainty”. Ce principe s’applique à la première source d’incertitude qui est l’usage des clients, mais également pour d’autres incertitudes liées au développement exponentiel des technologies, ce qui conduit à incuber les innovations technologiques avec des principes semblables (nous allons en reparler dans la section 2.6). Je ne vais pas ici faute de temps vous résumer les différentes illustrations, mais elles font partie de l’intérêt du livre, comme l’exemple du « HP LaserJet Firmware Team », pour lequel de nombreux détails et chiffres clés sont fournis.


2.2   Le Coeur de la démarche est une vision “globale” du Lean Startup, qui va du Design Thinking au Growth Hacking



La vision Lean Startup des auteurs est une vision globale, très semblable à celle de Nathan Furr et Jeff Dyer – « The Innovator’s Method » , qui couvre les trois boucles : design thinking,  Minimum Viable Product, Growth. Sans surprise, on trouve donc dans ce livre des multiples références au Design Thinking – cf. le propos introductif avec John Kolko - et aux principes du Lean UX. Je cite par exemple : « In Lean UX: Applying Lean Principles to Improve User Experience, Jeff Gothelf and Josh Seiden state, “Design thinking takes a solution-focused approach to problem solving, working collaboratively to iterate an endless, shifting path toward perfection. It works towards product goals via specific ideation, prototyping, implementation, and learning steps to bring the appropriate solution to light. … By combining the principles of design thinking with Lean Startup practices, we can build a continuous feedback loop with real users and customers into our development cycle.”  Dans le détail, on retrouve l’importance de choisir “one metric that matters » avec la référence attendue aux Pirate Metrics :  « Dave McClure’s “pirate metrics”7 are an elegant way to model any service-oriented business, as shown in Table 5-2 (we have followed Ash Maurya in putting revenue before referral). In the early stages, we must spend less time worrying about growth and focus on significant customer interaction”. Le thème général de l’importance de la mesure, du recours au A/B testing est abondament représenté : « Ronny Kohavi, who directed Amazon’s Data Mining and Personalization group before joining Microsoft as General Manager of its Experimentation Platform, reveals the “humbling statistics”: 60%–90% of ideas do not improve the metrics they were intended to improve.” D’autres exemples, par exemple chez Amazon, illustrent la même conviction que l’intuition est mauvaise conseillère. Ce qui ne veut pas dire qu’il s’agit de remplacer le jugement par l’analyse : “Big data is a tool, not a solution. Crucially, it does not replace empathy. We still need human intuition and innovation to improve the problem definition and identify customer and user needs and problems, so as to form hypotheses that can be tested against the data”
J’ai retrouvé avec plaisir les principes du Customer Feedback Learning Loop (CFLL) que nous pratiquons à la Digital Agency d’AXA : « This customer feedback loop is essential for improving the quality of the service”, avec en particulier l’utilisation d’un plan d’action au format A3 hérité de la culture lean : «  A3 Thinking is a logical problem-solving tool to capture critical information and define the focus and constraints of the team. Later, it becomes a measure to test our outcomes against. An A3 report (so called because it fits on a piece of A3-size paper), composed of seven elements, embodies the Plan-Do-Check-Act cycle of experimentation”. Pour finir sur ce sujet, je vous recommande la section “Customer Intimacy » - un des objectifs cardinaux des entreprises dans le monde numérique -  qui exprime avec beaucoup de force le principe « nail it then scale it » : “By keeping our initial customer base small — not chasing vanity numbers to get too big too fast — we force ourselves to keep it simple and maintain close contact with our customers every step of the way”.


2.3   La réussite d’une stratégie numérique passe aussi par l’adoption d’une approche DevOps


Comme je l’ai indiqué, le livre est un plaidoyer pour le déploiement de DevOps, dans la continuité des arguments de Marty Cagan. L’idée fondamentale est que dans le monde numérique, les entreprises n’ont pas le choix, elles doivent s’adapter au développement incrémental et au déploiement continu de produits. D’un point de vue systéique, c’est l’application du principe lean des « small batches » pour augmenter la capacité d’adaptation. C’est difficile et ce n’est pas le cas de la majorité des entreprises : « They still apply top-down thinking and tend to batch up work into releases with long cycle times, thus limiting the use of the information collected to guide future decisions.”  Le livre donne de nombreux conseils sur l’intégration continue – la capacité à reconstruire tous le jours un système qui fonctionne et surtout à donner la priorité au maintien de la cohérence du système global sur l’ajout de fonctionnalités -, les tests automatisés – qui sont la condition sine qua none de ces pratiques d’intégration et développement continus – et le déploiement continu : “There are two golden rules of continuous delivery that must be followed by everybody: (1) The team must prioritize keeping the system in a deployable state over doing new work. (2) The solution is for all developers to work off trunk and to integrate their work into trunk at least once per day.”  Les auteurs citent les exemples connus – Google, Amazon, Facebook, cf. Les Geants du Web – pour conclure que : Not only is continuous integration possible on large, distributed teams — it is the only process that is known to scale effectively without the painful and unpredictable integration, stabilization, or “hardening” phases associated with other approaches, such as release trains or feature branches”.  Le déploiement continu ne signifie pas que le client est impacté de façon continue:  “The most important principle for doing low-risk releases is this: decouple deployment and release”. Il existe de nombreuses approches – cf. le “dark launching” -  pour mettre des produits en production avec des nouvelles capacités sans que celles-ci soit systématiquement disponibles pour les utilisateurs, ce qui permet de faire des tests “en production” dans des conditions réelles d’utilisation.

2.4   “IT matters because Software is eating the world”


L’ensemble du livre s’inscrit dans le prolongement du célèbre billet de Marc Andreessen. Les auteurs rapportent également cette citation de Jeff Immelt : « In an industrial company, avoid software at your own peril . . . a software company could disintermediate GE someday, and we’re better off being paranoid about that”. Une des sources principales d’information pour les auteurs est une étude “2014 State of DevOps Report »  qui leur permet de conclure : “A key premise of this book — supported by the experience of companies such as Tesla, among many, many others — is that the flexibility provided by software can, when correctly leveraged, accelerate the innovation cycle”. L’étude de 2014 est très détaillée (9600 participants) et montre que les pratiques qui sont le plus corrélées avec des hautes performances (“throughput” et “stability”) sont la gestion versionnée des configurations, le monitoring et l’alerting en temps reel, le fractionnement en petits lots, l’intégration continue journalière.  Pour résumer : “The researchers concluded that to achieve high performance, companies that rely on software should focus first and foremost on their ability to execute, build reliable systems, and work to continually reduce complexity.” Si la cible est claire (pas de surprise), ce qui rend le livre intéressant est une très bonne analyse de ce qui rend le changement vers DevOps/Continuous delivery difficile. La première difficulté est la gestion de la complexité : « Building complex systems, however, these forces inevitably lead to system bloat, increased complexity and dependency management, inefficiency, and poor quality”. Les auteurs parlent, sans surprise non plus, des difficultés à mettre en place des projets de remplacement et refonte des grands systèmes techniques. Il est clair que le changement de paradigme - passer de “construire de façon répétée et fiable des systèmes stables” à “construire de façon continue un système qui change constamment”- est difficile pour la plupart des entreprises.
La seconde difficulté est l’impérieuse nécessité d’aligner tous les stakeholders sur cette approche de “continuous delivery”.
Lorsque les demandes métiers suivent des approaches “classiques”, on obtient des “hybrides” peu efficacies : “ Even in organizations which have adopted “agile” development methods, the value stream required to deliver a project often resembles Figure III-1, which we describe as “water-scrum-fall.”  Je vous laisse découvrir le “water-scrum-fall” … toute ressemblance avec une situation ayant existé n’est pas fortuite. Les auteurs ont un parti-pris très clair qui rappelle également les recommandations des “Géants du Web”: “In most enterprises, there is a distinction between the people who build and run software systems (often referred to as “IT”) and those who decide what the software should do and make the investment decisions (often called “the business”)  … In high-performance organizations today, people who design, build, and run software-based products are an integral part of business; they are given — and accept — responsibility for customer outcomes.” 
J’ai lu avec beaucoup d’intéret le “témoignage” de Suncorp, un assureur Australien qui applique ces approaches à son informatique : “Suncorp is successfully applying agile and lean approaches to the “big iron” world of mainframe systems. During the first year of the simplification program, testing was extended to support integration of the mainframe policy system with the new digital channels and the pricing systems. In the process, Suncorp has reduced 15 complex personal and life insurance systems to 2 and decommissioned 12 legacy systems”.

2.5   Mettre en place le déploiement continu est un problème de culture


Ce point est suffisamment important aux yeux des auteurs pour que je le sépare du paragraphe précèdent. Même si la mise en place du déploiement continu est un chantier technique, avec des investissements, des outils et des pratiques d’ingénierie, les choix technologiques ne sont pas le facteur de succès le plus important. C’est avant tout une question de “mindset” et de “culture”: “The purpose of this chapter is to show that while these obstacles are indeed challenges, the most serious barrier is to be found in organizational culture, leadership, and strategy”. A plusieurs reprises, les auteurs évitent de donner des conseils technologiques : “First, we think that tool choice is actually not a tremendously important decision (so long as you avoid the bad ones). Many organizations moving to agile methodologies spend an undue amount of time on tool choice hoping to magically solve their underlying problems”. Si la mise en oeuvre est une question de culture, c’est donc une question de femmes et d’hommes. C’est ce qui conduit à la place importante qu’occupent l’organisation et le management dans ce livre, ce que nous allons voir dans les sections suivantes: “The only path to a culture of continuous improvement is to create an environment where learning new skills and getting better at what we do is considered valuable in its own right and is supported by management and leadership, thus reducing learning anxiety
L’adoption des pratiques de développement et déploiement continu est un challenge interne, pour les collaborateurs de l’entreprise, qui relève de l’émergence. Je vous recommande de lire l’argumentWhy You Cannot Simply Hire or Acquire Your Way to Innovation”.  Un des corolaires est qu’il ne s’agit pas d’un problème de talents qu’il faudrait trouver à l’extérieur: The “talent shortage” problem is solved by creating an environment in which people can learn on the job, and hiring people with a growth mindset.” Les auteurs citent Carol Dweck: “We should not hire people solely on the basis of the skills they already possess. This is particularly short-sighted in the software industry”. Parmi les exemples illustratifs, j’ai beaucoup apprécié l’histoire de Martha Lane-Fox, qui a travaillé en 2010 avec le gouvernement anglais sur la numérisation des services publics. Ses préconisations ne sont pas sans rappeler le travail d’Henri Verdier à EtaLab (lien), avec une stratégie “open data” rendue visible par l’exposition d’APIs. Le résumé de cette approche est une excellente méthode de conduite de la transformation numérique : “First, starting small with a cross-functional team and gradually growing the capability of the product, while delivering value iteratively and incrementally, is an extremely effective way to mitigate the risks of replacing high-visibility systems, while simultaneously growing a high-performance culture.

2.6  Une organisation en équipes autonomes, alignées sur un même objectif, défini du point de vue du client


Une partie importante du livre fait la liaison entre le mode de fabrication des innovations, autour du Lean Startup, le mode de production numérique, selon les principes de DevOps et du déploiement continu et le mode d’organisation de l’entreprise. Sans surprise, on y retrouve des thèmes de l’Entreprise 3.0 et des références citées dans ce blog, comme par exemple l’holacracie et l’effectuation. Le premier sujet est l’importance du « purpose », du but de l’enpreprise en tant que fédérateur du système complexe qu’elle représente : « Creating, updating, and communicating the company’s purpose is the responsibility of the enterprise’s executives”. Un chapitre très intéressant propose une revisite de l’histoire des organisations militaires et de l’émergence du  “Mission Command: an alternative to Control and Command”. Ce mode d’organisation s’appuie sur des équipes autonomes et des ordres dans lesquels le pourquoi remplace le comment : « The higher the level of command, the shorter and more general the orders should be. The next level down should add whatever further specification it feels to be necessary, and the details of execution are left to verbal instructions or perhaps a word of command. … Crucially, orders always include a passage which describes their intent, communicating the purpose of the orders”. Les auteurs remarquent que cette organization remplace le conrôle-commande classique et ne peut pas co-exister. Le développement sur la nécessité de travailler en équipe autonomes et cross-fonctionnelles ne surprendra personne, c’est le coeur des methods incrémentales comme Lean Startup ou DevOps: “Finally, taking a scientific approach to customer and product development requires intensive collaboration between product, design, and technical people throughout the lifecycle of every product. This is a big cultural change for many enterprises where technical staff do not generally contribute to the overall design process”. Je vous laisse lire et découvrir les nombreuses critiques faites sur les entreprises d’aujourd’hui dont le fonctionnement est resté séquentiel et Taylorisé : “Organizations using the phase-gate paradigm (described in Figure III-1 at the beginning of Part III) will find the principles described in the following chapters increasingly hard to implement without fundamentally changing their organizational structure.” Le ton général n’est pas sans rappeler celui de “The Lean Enterprise” que j’avais commenté dans un billet precedent. Il y a également beaucoup de références systèmiques – avec un lien évident à faire avec le livre de Jurgen Appelo – ce qui conduit à tisser les liens entre Lean Startup, DevOps et Lean au sens de TPS et du Toyota Way. J’y reviendrai à la fin de ce billet mais voici deux citations qui donnent une bonne idée de la proximité avec les thèses de ce blog : « Slack is also essential to provide time for process improvement work. Since 20th-century Taylorist theories of management emphasize maximizing employee utilization, this requires a significant change in thinking for many organizations”, qui conduit un peu plus loin à: “ High utilization means work involving collaboration takes longer to complete, because the people you need to work with are always busy with other priorities” – on pense ici à la citation d’Yves Morieux : “coopérer, c’est mettre ses marges de manoeuvre au services des autres”.
J’en profite ici pour indiquer que, si je suis à 95% aligné sur le contenu de cet ouvrage, il y a quelques sujets qui me font prendre un peu de distance – même et surtout s’ils sont également parmi mes sujets d’intérêt. Par exemples il y a quelques références à la théorie des jeux et à la simulation de type Monte-Carlo que je trouve rapides, voire simplistes. De même il y a quelques pages qui expliquent qu’on peut piloter un backlog de façon scientifique grâce au « Cost of Delay », ce qui est un peu facile et contradiction avec l’hypothèse d’incertitude et d’aléas.


2.7   L’importance fondamentale de la motivation intrinséque face à la complexité


Ce point nourrit le paragraphe précédent, mais l’importance que les auteurs lui accordent mérite que je le souligne: « Decades of research have shown that these intrinsic motivators produce the highest performance in tasks which require creativity and trial-and-error — where the desired outcome cannot be achieved simply by following a rule”. On aura reconnu bien sûr la pensée de Daniel Pink, qui est abondament cité dans ce livre : « As Dan Pink argues in Drive,2 there are three key elements to consider when building an engaged and highly motivated team … 1. Autonomy — the desire to direct our own lives. 2. Mastery — the urge to get better and better at something that matters. 3. Purpose — the yearning to do what we do in the service of something larger than ourselve.” La seconde dimension – mastery – est fondamentalement liée à l’apprentissage permanent, que nous avons déjà évoqué comme facteur de succès. Une organisation de développement et de déploiement continu est un processus auto-apprenant. On trouve dans le livre également de nombreuses références à la différence entre « Single-Loop Learning and Double-Loop Learning” pour reprendre les concepts de Chris Argyris. Pour faire simple, l’apprentissage en boucle simple permet d’apprendre à corriger une situation désagreable, tandis que l’apprentissage en double boucle permet d’apprendre à éviter que la situation ne se reproduise : « Double-loop learning occurs when error is detected and corrected in ways that involve the modification of an organization’s underlying norms, policies and objectives ». Pour illustrer cet différence dans le monde du lean, le Kaizen a pour effet (simple boucle) de résoudre un problème, mais surtout (seconde boucle) de créer la collaboration d’équipe – la compréhension des points de vue – qui permet de se débarrasser des causes profondes de ce problème.  Et comme cela est connu depuis des décennies dans le monde du lean manufacturing, « Running experiments is hard and requires great discipline. Coming up with good experiments requires ingenuity and thought. By nature, people tend to jump straight to solutions instead of first agreeing on measurable target objectives”.

2.8 On ne peut pas innover sans gérer des échelles de temps multiples


La vision systémique se développe en accordant beaucoup d’importance aux échelles de temps et à l’équilibre nécessaires entre les différents horizons, en particulier long et court-terme : « Ensure people are rewarded for favoring a long-view system-level perspective over pursuing short-term functional goals ». Il est fait dans le livre de multiples références à Geoffrey Moore, qu’il s’agissent du célèbre best-seller « Dealing with Darwin » de 2006 ou du livre plus récent « Escape Velocity : Free Your Company’s Future from the Pull of the Past ». Les auteurs empruntent à ce deuxième livre une décomposition en trois horizons : « horizon1 », celui du court-terme (0 à 12 mois), de l’atteinte des résultats opérationnels, « horizon 2 », de 12 à 36 mois, celui de la croissance, de la construction de ce qui permet cette croissance ou de l’élimination de ce qui la bloque, et « horizon 3 », de 36 à 72 mois, le temps de l’exploration des options, pour déterminer ce qui sera construit en horizon 2. On reconnait la pensée de Geoffrey Moore lorsque les auteurs écrivent : « Too many enterprises kill innovation by trying to manage horizon 2 and 3 investments using the strategies of horizon 1”.  Cette stratégie multi-échelle est fondamentale pour préparer ses capacités (capabilities), y compris celle de réagir rapidement en « horizon 1 ». Rappelons-nous de la citation de Pasteur : « le hasard ne sourit qu’aux esprits bien préparés ». La sérendipité (sur l’horizon 1) se prépare pendant les horizons 2 et 3, pour construire le potentiel de situation dont parle Francois Julien. Il y a une vraie synergie entre ce que peut faire une équipe agile en temps court et ce que l’entreprise a assemblé en termes de potentiel sur le temps long : « : Autonomous teams will make little difference to customer outcomes if the enterprise architecture prevents teams from running experiments and responding quickly to customer needs ». Ce jardinage du potentiel, pour suivre la métaphore de François Julien, est en pleins et en creux : en ajout de capacités et en réduction de la dette technique, en simplification de la complexité : « The moment a product (if we are in Horizon 3) or feature (in Horizon 2) goes from being an experiment to validated, we need to start aggressively paying down technical debt”.


2.9   Se concentrer sur les l’impact (outcome) et pas sur la production (output)


Cette idée, «Define, measure, and manage outcomes rather than output”,  développée par Marty Cagan dans son exposé à l’USI se retrouve également dans de nombreuses pages de ce livre. La principale différence est qu’il n’y a pas de chaîne causale simple entre nos actions et les outcomes, alors qu’elles existent pour les outputs. Le mode de management, et le mode de contrôle est forcément différent (cf. le point 2.6). Les auteurs développent l’argument que le mode traditionnel de contrôle commande hiérarchique est contre-productif pour gérer les outcomes. Accepter, pour un membre de l’équipe cross-fonctionnelle, d’endosser la responsabilité d’un outcome auquel il participe mais qui le dépasse, exige une culture différente des indicateurs de performance. Lorsque ce n’est pas la cas, « dysfunctional behavior is ubiquitous and systemic, not because people are wicked, but because the requirement to serve the hierarchy competes with the requirement to serve customers…people’s ingenuity is engaged in survival, not improvement”.  Il ne s’agit nullement d’une reduction des exigences, bien au contraire: « Remember, metrics are meant to hurt — not to make us feel like we are winning”. Mais ces metriques servent à guider et valider l’apprentissage, pas à évaluer de façon directe la performance de l’équipe. On retrouve la discussion sur les métriques de développement agile que j’avais commencé dans le billet précédent (dernière section) : « Managers should never attempt to compare velocities of different teams or aggregate estimates across teams. Unfortunately, we have seen team velocity used as a measure to compare productivity between teams, a task for which it is neither designed nor suited.”

2.10  L’heritage de Taichi Ohno dans toutes ces approches


Pour conclure, je voudrai souligner le nombre élevé de références à TPS (Toyota Production System) et Taiichi Ohno. TPS est pris comme un système de management qui dépasse le Taylorisme : « The way the TPS works is in sharp contrast to the traditional US and European management practice based on the principles of Frederick Winslow Taylor, the creator of scientific management”. Les caractérisques principales sont le travail en équipe – avec des témoignages très intéressants issu du déploiement de TPS aux US dans le cadre de NUMMI -, le travail en petit lot – « Uncertainty is an important argument for working in small batches »,  l’amélioration  continue et l’importance stratégique de la formation des femmes et des hommes : « That is what allows an organization to adapt rapidly to its changing environment. Toyota calls this “building people before building cars.””. Je vous recommande la lecture de l’anecdote qui se passe au début de l’histoire de Toyota, lorsqu’ils fabriquent des métiers à tisser. Un concurrent vient de voler le design du produit courant, et la réaction du CEO est d’expliquer que non seulement dans une course continue à l’amélioration, le temps qu’il faudra au concurrent pour implémenter le design qu’il vient de voler fait qu’ils seront en retard sur le prochain produit de Toyota, mais que surtout ce qui est important ce n’est pas l’ensemble des choix contenus dans un design, mais l’accumulation de la connaissance – dans la tête des collaborateurs – qui ont conduit à faire ces choix à un instant donné mais qui pourront conduire à d’autre choix dans un contexte différent. Cet argument est lumineux et encore plus pertinent dans le monde numérique. Conduire une transformation digitale, c’est créer des bases de connaissances incarnées sous formes d’équipes.
Parmi les autres emprunts à la culture lean, on retrouvre sans surprise l’utilisation du Kanban : « In the context of product development, the Kanban Method provides principles and practices to support this goal, as described in David J. Anderson’s Kanban: Successful Evolutionary Change for your Technology Business…. The Kanban Method offers a comprehensive way to manage the flow of work through the product development value stream” qui permet entre autres de limiter le “Work in Process”.  On trouve également la mise en valeur du “genchi genbutsu”: « At Toyota, genchi genbutsu (“go and see”) allows leaders to identify existing safety hazards, observe machinery and equipment conditions, ask about the practiced standards to gain knowledge about the work status, and build relationships with employees”. Et pour finir, sans surprises, on trouve en bonne place le livre « Toyota Kata » de Mike Rother – que j’ai mentionné brièvement sans prendre le temps de le résumer : « The Improvement Kata, as described by Mike Rother, is a general-purpose framework and a set of practice routines for reaching goals where the path to the goal is uncertain ... Teams that use flow-based methods such as the Kanban Method (for which see Chapter 7) and continuous delivery (described in Chapter 8) can create Improvement Kata iterations at the program level”. Le concept des « improvement Kata » a eu une forte influence dans le développement de la Lean Software Factory à Bouygues Telecom, pour changer la culture et les comportements au travers de pratiques qui deviennent des rituels (cf. 2e Partie de l’exposé au Lean IT Summit). Une idée qui n’est pas neuve puisque Aristote nous disait déjà : « Nous sommes ce que nous faisons de façon répétée. L’excellence n’est donc pas une action, mais une habitude ».