1. Introduction
Dans un billet précédent, j’ai cité le propos souvent entendu que nos gouvernements sont inactifs, tout comme nos sociétés d’ailleurs, face à la menace du réchauffement climatique (et du dérèglement associé) qui est pourtant bien caractérisée par la communauté scientifique en général et le GIEC en particulier. Le billet de ce jour va être consacré à ce paradoxe apparent. Un point de départ pour poser ce paradoxe est de regarder l’échange entre Olric de Gelis et Jean-Marc Jancovici, « Pourquoi l’écologie est impopulaire ». Je me retrouve assez bien dans les arguments développés par Jean-Marc Jancovici : il y a un énervement plus qu’un scepticisme, parce que si le problème est maintenant devant nous, les solutions semblent beaucoup plus complexes qu’on ne veut le dire, et surtout avec beaucoup plus de renoncements implicites et à court terme pour des bénéfices plus incertains et à moyen voir long terme. Cela provoque « un désarroi évident », parce que la « mariée de l’action écologique a été enjolivée ». Le changement n’est pas simple, et il faudra trouver une façon de mettre les impacts positifs en lumière, à commencer pour éviter l’aggravation de la crise démographique qui nous touche. En revanche je suis plus réservé sur l’analyse d’Olric de Gelis, qui convoque un éventail de disciplines allant de la philosophie à la science du climat sans vraiment parler de la sociologie, l’économie, la théorie des jeux et surtout la boîte à outil de la science de la complexité, qui me semblent indispensables pour démonter ce paradoxe apparent.
La thèse que je développe avec mes travaux autour de CCEM est que les questions posées sont complexes, fortement couplées, et qu’il est judicieux d’utiliser des approches de systèmes complexes, et en particulier la dynamique des systèmes pour essayer de démêler les paradoxes de l’inaction face à une menace qui se précise. Le point de vue que je vais développer dans ce billet est que, si le diagnostic du GIEC sur le réchauffement est clair, ni le coût social de la mitigation ni l’évaluation matérielle des conséquences du réchauffement ne le sont. Et surtout, dans ce contexte de grande incertitude, chacun y va de sa propre exagération polarisée, en minimisant ou maximisant les couts, ou en minimisant/maximisant les conséquences. J’ai déjà pas mal parlé dans les billets précédents sur les « known unknowns », en particulier sur la difficulté à estimer le coût, la durée et la faisabilité d’un plan massif de décarbonation de l’énergie en passant par l’électrification. Je vous renvoie d’ailleurs, pour changer mes références, au livre d’Anne Lauvergeon « un secret si bien gardé ». Anne Lauvergeon explique brillamment pourquoi l’électrification des usages est le maillon faible de la décarbonation, et donc, en conséquence, pourquoi il est essentiel pour l’Europe de faire des choix qui lui assurent une électricité à des tarifs compétitifs. Aujourd’hui je vais plutôt m’intéresser à l’évaluation des dommages liés aux catastrophes variées qu'entraînent le réchauffement climatique.
Cela fait plusieurs années que je lis la littérature sur l’estimation des dommages, qu’il s’agisse des rapports des réassureurs, ou des quelques articles scientifiques, issus de différentes modélisations, qui essayent de quantifier (les descriptions qualitatives sont abondantes dans le rapport détaillé du GIEC mais les chiffres sont plus rares). Nous le verrons dans la section 2, il existe une grande incertitude et une variété d’opinion, mais on voit néanmoins de dégager des ordres de grandeur commun. Par exemple, le dernier article paru dans Nature en Juin 2025, « Impact of climate change on global agriculture accounting for adaptation », est très consistant avec des articles précédents. Pourtant il a été cité à tort et à travers depuis 3 semaines, autour du contexte de la canicule, comme preuve que l’agriculture française va s'effondrer d’ici 2050 « si rien de change », en prenant bien sûr le scénario RPC 8.5 comme hypothèse standard. De la même façon, de nombreuses voix se sont élevées pour déclarer que la suppression des ZFEs était « scientifiquement » une erreur. Comme on le verra plus tard, c’est peut-être vrai mais cela n’a rien d’une évidence (il y a une forte incertitude systémique à la fois sur les bénéfices et les inconvénients).
Ce billet est organisé comme suit. La section 2 revient sur une analyse qui cherche à expliquer partiellement l’inaction via la complexité du couplage dommages/mitigation/adaptation. Je vais reprendre en partie l’argument de Jean-Marc Jancovici : les « gens » sont « climato-énervés » car ils ont compris qu’il y a un problème mais ils sont sceptiques sur le rapport coût-bénéfices des actions de mitigation. S’il faut être « au pied du mur pour voir le mur », c’est-à-dire souffrir des dommages plutôt que de les concevoir pour agir (où, comme le dit Jean-Marc Jancovici, « rentrer dans le dur »), nous allons vers des trajectoires réactives de « redirection écologique », qui sera le sujet de la section 3. Je serai bref car j’ai déjà plusieurs fois commenté ce concept dû, entre autres, à Bruno Latour (« Ou Atterir »). Il est clair que ne pas anticiper et ne réagir que lorsque la menace s’est transformée en catastrophe n’est pas satisfaisant pour l’esprit, et désole une partie des scientifiques du climat, mais dans un contexte de forte incertitude c’est malheureusement une réaction fréquente chez les humains, qui est bien documentée par la sociologie. La section 4 ira puiser quelques exemples de scénarios et de couplage « hypothèse / tactique » de la simulation autour du modèle CCEM. Il ne s’agit toujours pas de prévoir le futur (le modèle s’améliore au cours des itérations mais il reste faux), mais plutôt de toucher du doigt à quel point les réactions politiques sont dirigées par nos modèles mentaux, et donc très dépendantes des incertitudes soulevées dans la section 2 et dans les billets précédents. La dernière section portera sur une description rapide des nouveautés du modèles CCEM dans sa version 7, en particulier la prise en compte de l’adaptation, une meilleure modélisation de l’efficacité de l’électrification et une révision du modèle qui tire des rapports du GIEC la dépendance entre les émissions de CO2 et l’augmentation de la température.
2. Modèle Dommages et Adaptation
La figure suivante est tirée d’une présentation sur le modèle CCEM, qui caractérise grossièrement le niveau d’incertitude des sous-modèles de CCEM (qui signifie, pour mémoire, « Coupling Coarse Earth Models »). Sur cette figure, le vert signifie qu’il y en fait un fort consensus, le bleu un consensus raisonnable (les modèles de croissance des économistes se ressemblent), le jaune déjà plus de débat et le rouge une très grande variation dans les estimations, jusqu’à un ordre de grandeur. Cette figure exprime également la complexité à faire adopter des décisions collectives de mitigation (l’objectif des COP) alors qu’il existe une double difficulté : (1) les objectifs stratégiques des pays qui participent à la COP sont différents (de nouveau, la double raison d’impacts des dommages qui sont différents et de coûts de mitigation différents, surtout en regard de niveaux différents de développement économique, (2) le bénéfice des décisions de mitigation n’existe que si les acteurs sont coordonnés, sinon il existe un « dilemme du prisonnier implicite » qui pousse à ne pas tenir ses promesses en espérant que d’autres le feront. Notons que les stratégies d’adaptation, même si leur coût et efficacité reste incertain (coureur orange) bénéficie d’une situation systémique plus favorable (des décisions locales pour des bénéfices locaux), nous allons y revenir.
Pour résumer de façon grossière, cette figure pointe sur deux causes principales de l’inaction politique évoquée en introduction :
Une incertitude très forte sur le bilan coût / bénéfice des actions de mitigation
Le « dilemme du prisonnier »: agir tout seul ne sert à rien
Dans une modélisation « System Dynamics » de type CCEM, tout n’est pas incertain. Au contraire, les modèles systémiques sont très efficaces pour représenter les flux physiques et l’inertie des transformations. C’est une caractéristique que j’ai observé sur de modèles précédents (parc clients dans modèle télécom, parc solaire dans modèle SmartGrid). Par exemple les sous-modèles M1 et M2 (production et consommation de l’énergie) sont moins sensibles aux KNUs que nous allons explorer, parce que (cf. Vaclav Smil) les systèmes énergétiques ont une forte inertie. Cela ne signifie pas qu’il ne faut rien faire, au contraire, il faut anticiper pour piloter la transition énergétique.
2.1 Une synthèse de quelques sources sur l’analyse prospectives des dommages
Pour calibrer l’impact des dommages dans CCEM j’ai utilisé des macro-études économiques. Par exemple voici trois études tirées de ma bibliographie de 2023 :
Moody’s « The economic Implications of Climate Change»
Schroders « The impact of climate change on global economy»
Swiss Re Institute « The economics of climate change: no action is not an option»
On peut retenir de ces études que l’impact d’un réchauffement de +3C est de l’ordre de -10% de baisse de GDP, même si les premières études (cf. Nordhaus) donnaient des chiffres plus bas, et si les études récentes de NIGEM (voir le document de l’UN « Economic Impacts of Climate Change : Exploring short-term climate related shocks for financiam actors with macroeconomic models ») donnent un chiffre proche de 30%. Je n’ai pas exagéré en disant que les différences d’analyse allaient jusqu’à un ordre de grandeur.
Ici je vais donner un peu plus de détails en m’appuyant sur les sources des réassureurs. Pour simplifier, on peut identifier quatre catégories d’impact destructifs sur les actifs :
Les tempêtes, ouragans, tornades : les évènements climatiques extrêmes qui produisent des destructions physiques directes.
Les sécheresses, avec les impacts multiples du manque d’eau, y compris sur l’industrie.
Les inondations, qu’elles soient côtières/maritimes ou fluviales.
Les feux (les tristement célèbres « mega-feux ») – qui sont la manifestation de la chaleur qui touche les assets physiques.
A ces quatre catégories d'impacts destructifs, il faut ajouter l’impact sur l’agriculture et l’impact sur la productivité des humains. Pour l’impact sur l’agriculture, les différentes manifestations du réchauffement (canicules, sécheresses) réduisent la productivité à l’hectare des différentes cultures. Comme les variations climatiques existent depuis toujours, nous avons beaucoup de données pour calibrer les modèles, et plus de quarante années de résultats de simulation. Pour ce qui est de la productivité humaine, il y a de multiples facteurs à prendre en compte : la mortalité, la maladie et l’incapacité à se rendre à son travail (par exemple à cause d’une canicule).
Voici trois documents plus récents sur les dommages (de l’ordre de 400 G$ en 2024) :
Le document de Gallagher Re, « Natural Catastrophe and Climate Report : 2024 » est une source précieuse. Il donne par exemple la décomposition suivante : 270G$ pour les tempêtes, 42 G$ pour les sécheresses, 109 G$ pour les inondations et 15G$ pour les feux (en 2024, parce que l’on parle déjà de plus de 200G$ en 2025 à cause de l’incendie de Los Angeles).
Le document de AON, « 2024 : Climate and Catastrophe Insight », donne un total de 380 G$ (à chaque fois, il faut soustraire les dommages liés aux tremblements de terre) avec une répartition semblable, et une bonne idée de l’évolution historique : une multiplication par 3 de 2000 à 2023 (de 120G$ à 380 G$), pour un réchauffement (approximatif) de +0.5C. La courbe annuelle est bien entendu très irrégulière (700G$ de dommages en 2011), il faut prendre un peu de recul et surtout faire attention (il est facile de mentir avec de tels chiffres). Si on supprime les tremblements de terre, on obtient la courbe plus régulière de Swiss Re dans « Natural catastrophes in 2023 : gearing up for today’s and tomorrow’s weather risks ».
Une étude de S&P Global, « For the world’s largest companies, climate physical risks have a $1.2 trillion annual price tag in 2050” donne des résultats prospectifs qui permettent d’envisager l’évolution des dommages d’ici 2050. On retrouve des simulations et des chiffres semblables dans le document du WEF (même sources) « Business on the Edge : Building Industry Resilience to Climate Hazards ». Le chiffre de 400 G$ aujourd’hui devient entre 800 et 1200 G$ en 2050 suivant les scénarios d’émission.
Je vous laisse lire ces articles, il vaut mieux se faire sa propre opinion. Sous les scénarios de réchauffement à 2.7C ou +3C que j’évalue avec CCEM, ces documents permettent de faire une validation en ordre de grandeur des macros-estimations citées plus haut. Je vous livre ici une analyse simplifiée. En partant des courbes de dommages, on peut envisager des valeurs entre 0.8 et 1.2T$ en 2050 et entre 2 et 4T$ en 2100 (j’utilise ici la notation scientifique : G$ = milliard de dollars, T$ = mille milliards de dollars). En s’appuyant sur des macros-évaluations de McKinsey qui placent la valorisation des « productive assets » à 6 fois le GDP, disons 600T$ (valeur d’aujourd’hui), on peut estimer la fraction qui est indisponible pour contribuer au GDP. C’est très approximatif, cela dépend du cycle de vie attendu, et de la fraction de ces assets qui est à risque (de 100 à 150T$ selon le document du WEF). En étant « conservateur », 2T$ de dommage se traduisent en 20T$ de neutralisation d’assets productifs. En étant plus « réaliste » (conservateur ici signifie une minimisation de l’impact), on est plutôt sur 50-60T$ de neutralisation. On retrouve, et c’est intéressant, une fourchette de 3 à 10% d’impact sur le GDP annuel, auquel il faut rajouter les autres impacts, agriculture et productivité. On l’aura compris, il s’agit ici de raisonnement sur les ordres de grandeur, pour vérifier la cohérence des différentes sources, pas d’une prévision et encore moins d’une validation précise.
Pour ce qui est des chiffres sur l’impact du réchauffement climatique sur l’agriculture, l’article qui vient de sortir dans Nature, « Impact of climate change on global agriculture accounting for adaptation », constitue une excellente référence, très consistante avec les autres articles que j’ai cités précédemment :
« Global Warming and Agrticulture », de Cline, qui montre que l’utilisation du carbone pour la fertilisation des sols permet de compenser une partie de l’impact.
« New Science of climate change impacts on agriculture implies higher social cost of carbon », qui est la source utilisé par le modèle GIVE d’impact de Berkeley.
L’article de référence de 1983 « Measuring the Impact of Global Warming in Agriculture » de Mendelson, Nordhaus et Shaw.
Je vous laisse lire l’article de Nature pour vous faire votre opinion. Il n’est pas facile de le résumer car l’impact varie considérablement d’une zone du monde à l’autre. Sous des conditions réalistes (RPC 4.5), la baisse de rendement des cultures céréalières est de l’ordre de 10-15% à la fin du siècle, ce qui pose un sérieux problème mais n’est pas non plus l’effondrement dont certains nous parlent sur les plateaux de télévision.
A l’inverse, il existe peu d’études sur l’impact sur la productivité. Le document le plus cité est « working on a warmer planet – the impact of heat stress on labour productivity” qui s’appuie sur une étude du « Lancet Countdown on Health and Climate Change ». Les chiffres proposés sont très importants, mais déjà très élevés dès aujourd’hui (une semaine de travail perdue pour chaque français en 2023 ? lire le compte-rendu de cette étude dans « More than half a trillion hours of work lost in 2023 due to ‘heat exposure’ ») et nous sommes visiblement en présence d’un « known unknown » sur lequel il n’existe pas de consensus.
2.2 Comment les dommages sont modélisés dans CCEM
La figure suivante représente la façon fort naïve dont les dommages liés au réchauffement climatique sont représentés dans CCEM. On voit qu’il y a 4 boucles de rétroaction, fort simples :
Le réchauffement produit des catastrophes (les 4 types de la section précédente) qui endommage des « productive assets » et réduisent d’autant la génération de GDP. C’est la boucle la plus ancienne du modèle, celle qui s’inspire du modèle de Nordhaus, et pour laquelle je me calibre avec l’étude de Schroders (grossièrement, -10% à +3C). Rappelons que l’intérêt de CCEM est de pouvoir jouer avec les KNU (Key kNown Unknowns) et donc cette valeur de -10% n’est qu’un paramètre que je peux faire varier.
Le réchauffement réduit les rendements de la production de céréales, un des « proxys » de la production « réelle » dans le modèle CCEM. L’objet « biohealth » est une représentation simplifiée de l’impact de la température sur le rendement, tel que décrit dans l’article de Nature précédemment cité.
Le réchauffement climatique a un double impact sur les populations, à travers la conflictualité et la dégradation de la santé. Ceci est représenté de façon systémique par un facteur qui fait réduire le nombre de naissances et augmenter la mortalité. Autrement dit, cette boucle représente le feedback du réchauffement climatique sur le nombre d’habitant (sur terre, et localement par zone géographique).
Pour finir, le modèle inclut une boucle de rétroaction de la température sur la productivité. C’est doublement un « known unknown » dans la mesure où l'impact des conséquences catastrophiques sur l’indisponibilité à travailler n’est pas facile à prévoir (cf. la section précédente), mais il faut tenir compte des effets psychologiques, de l’angoisse à la démotivation, sur lesquels je reviendrai dans un prochain billet de blog, suite à la lecture de l’excellent livre d’Emmanuelle Duez « où sont passés nos rêves d’émancipation par le travail ». A l'inverse, ce facteur systémique est négativement influencé par l’automatisation du travail et l’arrivée de l’IA. Autrement dit et de façon provocante, le modèle mental de l’impact des canicules sur la productivité dépend logiquement de la répartition du travail entre l’homme et la machine.
On retrouve ici la nature de l’adjectif « coarse » de CCEM (grossier), qui correspond aussi au fait que plus le modèle est simple, plus il est facile de l’instancier à partir d’une synthèse de la littérature disponible.
2.3 Introduction de l’adaptation dans CCEM
L’adaptation est une réponse naturelle à l’augmentation des dommages présentée plus haut. On peut facilement prévoir trois conséquences en termes d’assurance. Comme le remarque Olric de Gelis, les primes d’assurance vont augmenter, ce qui va envoyer un fort signal aux entreprises. En fait, le raisonnement en moyenne ne suffit plus : certains risques et certaines propriétés / assets ne seront plus couverts de façon raisonnable par des assurances et il y aura des renoncements. Pour la majorité des assets, le primes vont suivre l’évolution majoritaire des dommages, avec une croissance forte mais qui fera partie du « cost of doing business ». En conséquence, on verra l’adaptation se développer, soit de façon quasi-imposée pour les entreprises et collectivités, soit de façon volontaire (voire en réaction par des propriétaires qui ne seront plus assurés).
L’adaptation est bien une forme physique d’assurance. Il s’agit de dépenser sur une certaine période (souvent plusieurs années), pour protéger son bien contre les conséquences des catastrophes, pas forcément complètement, mais au moins pour réduire les dommages. Le même raisonnement s’applique à l’adaptation pour l’agriculture. Je n’ai pas pour l’instant trouvé suffisamment de références scientifiques pour instancier ce modèle de l’adaptation comme « assurance ». En revanche, ChatGPT (4o) m’a fourni la synthèse suivante : 150 T$ d’assets sont à risques, ce qui correspond à un dommage global d’ici 2100 de 5 à 20T$. La moyenne des « opinions lues par GPT » est qu’avec une dépense annuelle d’adaptation de 300 à 500 milliards de dollars, on peut éviter de 50% à 60% des dommages (ChatGPT m’a proposé une belle évaluation segmentée par secteur d’activité, mais vu le coté hautement spéculatif de tous ces raisonnements, je m’en tiens aux ordres de grandeur), ce qui correspondrait à un retour sur investissement de l’adaptation de 4x à 10x. Ma propre reformulation du raisonnement de ChatGPT, en ligne avec ce que j’ai écrit plus haut sur les dommages, est de prévoir un niveau de dommage cumulés entre 20T$ et 50T$, ce qui se traduit en une fourchette d’impact sur le GDP (cumulé d’ici 2100) de 250 à 500T$, dans un scénario à +3C en 2100. En prenant le même niveau de couverture (parce que j’ai lu dans plusieurs sources, par exemple dans le rapport WEF précédemment cité) de 60%, on obtient un « évitement de dommage » entre 150 et 300T$. Avec un niveau de dépense proposé par ChatGPT de 40T$ cumulés, on obtient un retour sur investissement de 4 à 8. Nous verrons dans la section 4 (simulation) qu’avec un tel taux, l’adaptation est évidemment la bonne stratégie à commencer tout de suite. Mais il ne faut pas oublier qu’il s’agit ici d’un autre « known unknown » et que le niveau de dépense pour obtenir une protection efficace reste très incertain.
3. Redirection écologique
Pour implémenter la notion de redirection dans le modèle CCEM, j’utilise :
Depuis la version 4, la notion de souffrance (pain) est associée à l’ensemble des conséquences du réchauffement climatique. La fonction qui calcule la souffrance n’est pas forcément linéaire ni même continue, pour pouvoir représenter des fortes crises et des bifurcations. Je vous renvoie au site CCEM ou aux articles pour plus de détail, la souffrance est liée au réchauffement, mais aussi à la réduction de l’économie financière (GDP) et physique (représentée par les deux proxys que sont la production d’acier et de blé).
Un ensemble de types de décisions à la disposition des gouvernements pour réagir à l’augmentation de la souffrance de leur population. Dans CCEM v7, ces réactions sont la taxation carbone (sur son propre territoire), la mise en place de CBAM (taxe carbone sur les importations), l’accélération de la transition énergétique vers la décarbonation, la sobriété choisie (par le renoncement à des activités), l’accélération de l’adaptation. Dans la suite, j’appelle « tactique » la fonction paramétrique qui relie la « souffrance » de la population aux décisions de son gouvernant.
Une stratégie qui détermine la façon dont les gouvernements vont chercher à utiliser ces leviers. Dans CCEM v7 la stratégie a été simplifiée pour former une stratégie « 3P » : trois objectifs, les émissions de la zone en ajustant pour tenir compte des importations (planète), l’évolution du GDP sur l’ensemble du 21e siècle (profit) et le taux de souffrance de la population (people). Notons qu’il n’est pas nécessaire d’introduire ces stratégies pour faire une simulation, mais on a besoin de stratégie si on veut mesurer une satisfaction (fonction objectif) pour optimiser la « tactique » de redirection.
J’ai déjà plusieurs fois exprimé que le modèle CCEM ne servait pas à prédire l’avenir. Il sert à analyser ses propres modèles mentaux, à en explorer la nature systémique (les dépendances inattendues et les cycles d’amplification) et surtout à débusquer les limites de ses propres raisonnement (donc à se poser de bonnes questions et remettre en cause ses propres préconceptions). Nous avons maintenant les éléments pour être plus précis :
Sous des hypothèses de futurs possibles (en remplaçant chaque Known Unknown pas un belief, c’est-à-dire une hypothèse) et sous une autre hypothèse de caractérisation des stratégies des « joueurs » (les blocs géopolitique), le modèle CCEM permet de produire des trajectoires crédibles et d’évaluer les effets des leviers à disposition des joueurs.
Autrement dit, le modèle permet de transformer un jeu d’hypothèse (strategies, beliefs) en plusieurs tactiques « optimales ». Dans les billets précédents, j’ai partagé des trajectoires (scénarios dans le jargon des IAMs) correspondant à des « beliefs » médian, nous allons ici augmenter « le niveau de jeu » en jouant avec des fourchettes de distribution sur une partie des « known unknowns » du modèle.
Compte-tenu du sujet de ce billet, nous allons voir si la simulation permet de reproduire le paradoxe de l’inaction en fonction des modèles mentaux initiaux (à la fois la vision du monde : beliefs et les objectifs des « joueurs » : stratégie)
4. Quelques Simulations de Modèles Mentaux
Comprendre le « paradoxe de l’inaction » est complexe car cela dépend à la fois des objectifs de chaque pays/continent et des modèles mentaux correspondant aux incertitudes que nous avons évoquées ici. Sans rentrer dans trop de détails techniques qui trouveront leur place dans un prochain article scientifique, je vais partager 4 familles de simulations et optimisations qui correspondent à quatre angles d’analyses : l’incertitude sur les dommages, sur l’adaptation, sur la facilité de la transition énergétique et sur l’adéquation entre taxation carbone et objectifs stratégiques. Comme cela a été dit plusieurs fois, le modèle CCEM reste préliminaire et ne constitue en aucun cas un outil à prévision (sur le caractère imprévisible je vous recommande l’interview de Jean-Baptiste Fressoz sur le podcast LIMIT). Chacune des 4 sous-sections suivantes est organisée de la même façon : je vais d’abord présenter une expérience de pensée du type décrit dans la section précédente, vous donner un aperçu des résultats obtenu à travers une planche Powerpoint que je vais commenter, puis je tirerai certaines conclusions que je vous propose comme « matière à penser » (food for thoughts). Je profite ici de la version 7 de CCEM (voir section suivante), qui pour une stratégie donnée, est capable de calculer la tactique « optimale » pour chaque bloc géopolitique en fonction d’une stratégie présupposée.
4.1 Dommages
Cette première expérience consiste à faire des simulations sous différentes hypothèses de fonction dommage. Dans le premier cas à gauche, une augmentation de +3C produit 3% de perte de GDP (ce que nous pourrions qualifier « hypothèse Nordhaus »), dans le second cas à droite, les dommages pour la même température sont 4 fois supérieurs (un peu plus que l’hypothèse médiane de Schroders). Les deux graphes à gauche et à droite donnent les résultats globaux de la simulation CCEM, je vous renvoie à des billets précédents ou à l’article IFAC pour plus d’explications. Sous une hypothèse « moyenne » (et discutable) de la stratégie Européenne (avec un équilibre entre les 3P : réduire les émissions, maintenir le PIB et réduire les « souffrances » de la population), le résultat est présenté (partiellement) dans l’encart central), sous forme de la « tactique » qui donne la meilleure satisfaction.
Dans ce cas, on constate :
Que la taxation carbone n’est pas une bonne tactique. Ceci a été expliqué dans le billet précédent : dans un monde contraint en ressources fossiles, une stratégie de renoncement unilatérale pousse un autre acteur à consommer plus.
Que l’adaptation est une bonne stratégie, à anticiper rapidement (cf. la sous-section suivante). Le niveau de dépense est fortement corrélé, fort logiquement, aux dommages causés par le réchauffement (à +2.7C en 2100 dans ce cas).
Que l’Europe a tout intérêt à accélérer le plus possible son électrification et la décarbonation de son énergie.
On remarque pour finir qu’un plus haut niveau de dommage ralentit (un peu) l’économie et que la température est un peu plus faible dans le second cas.
Nous allons le voir plus loin, le comportement « optimisé » dépend bien sûr de la stratégie. Avec des coefficients équilibrés, l’optimisation favoriser la transition énergétique et l’adaptation mais n’applique aucun des leviers que nous pourrions associer à « l’écologie punitive » parce que dans un monde contraint en ressources fossiles, un acte très volontariste (de la part de l’Europe) n’a aucun effet, le renoncement d’une partie est l’aubaine d’une autre (un thème que j’ai déjà illustré et qui surprend beaucoup quand on commence à jouer avec un modèle SD). On peut bien sûr changer la tactique calculée par optimisation en donnant un grand poids au coefficient « planète » au dépend de « people » (toute ressemblance … serait fortuite). Pour résumer, TaU (Transition as Usual) est le résultat que la simulation produit sauf si l’on introduit des « croyances » extrêmes en termes de dommages.
4.2 Adaptation
Dans cette deuxième expérience, je fais varier le retour sur investissement des politiques d’adaptation. Dans le scénario de gauche, la couverture maximale est un peu plus faible (50%) mais surtout le coût est plus élevé (le retour sur investissement reste fortement favorable). Dans le scenario de droite, la rentabilité de l’adaptation arrive plus vite et la protection peut monter jusque 70%. Dans ce cas, au lieu d’illustrer les résultats globaux, ce sont ceux de l’Europe qui sont inclus (à droite et à gauche). On rappelle que les résultats en PIB sont en dollars constants, donc une trajectoire quasi plate veut dire que la « croissance apparente » du PIB est une manifestation de l’inflation (notre situation depuis près de 20 ans).
Compte tenu de ce qui a été dit, les résultats en termes de tactique « optimale » ne sont pas surprenants :
Si l’adaptation est très efficace, on peut commencer plus tard, sinon la tactique optimale est bien de démarrer l’adaptation tout de suite.
Une adaptation plus facile permet de réduire l’impact des dommages (très légèrement en moyenne, mais de façon plus sensible à la fin du siècle)
Vu les « croyances » très positives, on voit que l’adaptation est une évidence pour l’Europe, pour la majorité des autres paramètres. Pour la Chine, cela dépend des dommages attendus, et bien sûr de la stratégie (le poids relatif des trois critères 3P). Dans certains cas, il est plus logique d’attendre et de ne pas investir tout de suite, pour ne pas perdre du potentiel de croissance.
4.3 Différents Scénarios autour de l’Energie
Dans cette troisième expérience, je reviens sur le rôle central des croyances en termes de transition énergétique. Le paysage est éminemment complexe puisque CCEM emploie trois « known unknowns » pour délimiter le champs des hypothèses : la quantité de ressources disponibles pour un cout d’extraction donné, la vitesse de déploiement des énergie vertes (au sens large, renouvelables et nucléaire) en tenant également compte de l’évolution des couts (mais comme cela a été noté précédemment les questions du cout et de la production sont moins cruciales aujourd’hui que la vitesse possible de déploiement) et, pour finir, la question complexe de l’électrification des usages (coût, vitesse et faisabilité). Cette question contient bien entendu les questions complexes de stockage et d’intermittence des renouvelables. Cette section ne va donc pas faire justice à la complexité des sujets et se contenter d’explorer deux cas. Dans le cas de gauche, je regarde une hypothèse favorable au « net zero » en termes d’électrification et de capacité à déployer de façon massive la production d’énergie renouvelable. Dans le cas de droite, je suppose à l’inverse les valeurs médianes sur l’énergie verte mais fait l’hypothèse qu’on va continuer à trouver des nouveaux gisements fossiles (de façon semblable à la forte variation des croyances entre 2010 et 2020 suite à l’exploitation des pétroles et gaz non conventionnels). Dans les deux cas il s’agit de scénarios avec plus d’énergie disponible que dans le scénario médian (ce qui se voit en comparant avec les chiffres de la section 4.1). Plus d’énergie signifie plus de croissance et un PIB plus élevé en 2100. Bien entendu, le scenario de gauche permet d’obtenir des émissions CO2 plus faibles (24 vs 30 Gt). Pourquoi pas une différence plus marquée ? à cause de la viscosité des usages, toujours en reprenant les arguments de Vaclav Smil.
Dans ce contexte, l’encart central donne les meilleures tactiques pour l’Europe et pour les US :
La sobriété volontaire optimale reste faible pour l’Europe, et quasi inexistante pour les US (conséquence des stratégies différentes), elle augmente dans un monde d’énergie fossile.
Dans un monde où les émissions restent poussées par l’énergie fossile, l’adaptation joue un rôle plus important (même si l’on peut être surpris par la faible différence en termes de réchauffement final).
Une stratégie de transition énergétique est toujours gagnante pour l’Europe (qui ne dispose quasiment pas d’énergie fossile à part un peu de charbon), mais pour les US, cela dépend des « beliefs » en termes de réserves de pétrole et de gaz.
Dans un scénario « green energy », les US n’ont qu’un faible intérêt à l’adaptation, mais dans un scénario « fossile » de plus fort réchauffement, on voit pointer cette tactique, même si elle reste modérée.
Ces résultats ne sont pas véritablement surprenants. On y retrouve les préconisations du rapport Draghi exhortant l’Europe à retrouver rapidement des capacités d’énergie à la fois décarbonée et compétitive (cf. également le livre d’Anne Lauvergeon cité précédemment). Mais attention à la tragédie des communs : à force d’ajouter des contraintes et des injonctions contradictoires à un « système énergétique » qui fonctionne, il est très possible de le faire dysfonctionner (ce que nous avons vu en France ces 20 dernières années). Mais tout cela dépend fortement du contexte et des objectifs stratégiques. Les résultats de la modélisation CCEM sont très alignés avec la politique énergétique Chinoise : non seulement on retrouve des tactiques semblables, mais si l’on « secoue » avec un peu d’incertitude (ce qui sera le sujet du modèle CCEM v8), on s’aperçoit que le mix charbon/vert est assez résilient.
4.4 Carbon Taxes and CBAM
Je vais maintenant revenir sur le sujet des taxes carbone. Le modèle CCEM permet à la fois de simuler une taxe carbone locale sur la production de valeur locale (du territoire associé au bloc géopolitique) et une taxe carbone sur les flux importés (un mécanisme de type CBAM : Carbon Border Ajustement Mechanism). Nous avons vu dans le premier exemple que la taxe carbone n’est pas utilisée lorsqu’on optimise. Pour aller plus loin dans l’exploration, cette expérience propose à gauche de définir une stratégie « centrée » (40% du poids sur le CO2, 20% sur le PIB et 40% sur la satisfaction de la population), tandis que la variante à droite utilise un poids de 60% pour les émissions. On parle ici d’émissions « ajustée pour les importations ». Ce qui signifie que pour réduire ces émissions, à la fois la taxe carbone sur la production propre et les «CBAM » font sens. Les courbes de part et d’autre reproduisent les résultats pour l’Europe (comme dans la seconde expérience), mais on constate que l’impact est important sur le PIB.
L’encart central présente les « tactiques optimales » de l’Europe pour chaque scénario :
On voit à la fois l’utilisation de la taxe carbone et de CBAM pour réduire les émissions nettes, surtout dans le scénario de droite. Dans le scénario de gauche, une quantité modérée de taxe carbone produit un compromis « raisonnable » (modulo la stratégie 1) entre une baisse des émissions (de l’Europe, qui a très peu d’effet au niveau mondial) et les montants CBAM sont faibles. Dans le scénario de gauche, l’impact est plus fort, mais avec une double taxation agressive.
Il faut fortement survaloriser le carbone au détriment de la satisfaction de la population pour justifier des taux qui font baisser à la fois les émissions et le PIB fortement (normal, ils sont couplés).
Dans une stratégie « bas carbone » prononcée, la sobriété choisie est également un instrument qui est beaucoup plus déployé.
5. Une vue sommaire de la version 7 de CCEM
Je termine rapidement avec une petite mise à jour sur CCEM pour les lecteurs réguliers, que les autres peuvent sauter. La version 7 est disponible sur le site GitHub, et plus de détails sont disponibles sur le site Web CCEM. De façon schématique, il y a quatre différences majeures dans cette nouvelle version du modèle : la gestion des dommages et de l’adaptation, le raffinement du modèle de transition énergétique, l’introduction de la courbe TCRE pour représenter le réchauffement en fonction des émissions.
CCEM v7 dispose d’une modélisation de l’adaptation conforme avec ce qui est décrit dans la Section 2, en utilisant les mêmes hypothèses qui font que l’optimisation tactique trouve rapidement que l’adaptation est un excellent investissement, sauf à prendre des hypothèses très conservatrices sur les dommages. La notion de « tactique » (au sens GTES, on pourrait aussi parler de politique de redirection) a été étendue pour prendre l’adaptation en compte. Ces paramètres déterminent pour chaque pays le montant des investissements consentis en faveur de l’adaptation, dont les effets cumulés viennent réduire les impacts du réchauffement climatique. Le modèle de fonction objectif (la « stratégie » d’un bloc) a été simplifié pour devenir la stratégie 3P dont nous avons parlé, en conservant le paramètre essentiel du « temporal discounting » qui permet de représenter l’arbitrage entre une vision court-terme et une vision long-terme. Dans les expériences rapportées ici, ce facteur n’est pas utilisé ce qui signifie que toutes les années du 21e siècle jouent le même poids dans l’évaluation.
Le modèle de transition d’une forme d’énergie primaire vers une autre a évolué, en prenant en compte les remarques de Greg de Temmerman dans son interview sur LIMIT. Lorsqu’on électrifie un usage, dans la plupart des cas on obtient une augmentation importante de l’efficacité liée au principe de Carnot. Ce facteur était représenté grossièrement dans les modèles précédents, dans CCEM v7 chaque arête du graphe de transition dispose d’un coefficient qui permet de qualifier un usage moyen pour obtenir le gain énergétique (en pourcentage) associé, pour représenter plus précisément le passage de l’énergie primaire à l’énergie finale à travers des vecteurs. Une fois de plus, l’utilisation de GPT permet de qualifier le type d’usage pour chaque énergie primaire et d’en déduire un taux d’efficacité lorsqu’on substitue une énergie primaire fossile par une énergie directement produite sous forme d’électricité.
Suite à des discussions avec un membre du GIEC, j’ai introduit la courbe TCRE (Transient Climate Response to Cumulative CO2 Emissions). Les modèles précédents cherchaient à extraire des rapports GIEC une dépendance entre le taux de CO2 dans l’atmosphère, dans CCEM v7 j’utilise la courbe TCRE qui fait le lien entre la quantité totale cumulée de CO2 rejetée dans l’atmosphère par l’activité humaine et l’accroissement de la température. Il se trouve que cela change très peu les choses pour la simulation CCEM, vu le faible degré de précision des évaluations. En théorie, cela permet de faire abstraction du modèle de concentration, celui qui dit comment le CO2 anthropique est assimilé. C’est un sujet difficile, il faut tenir compte du cycle de carbone et des interactions avec les cycles naturels, sur terre comme dans les océans. Mon modèle simplifié a beaucoup évolué sur 20 ans, au fur et à mesure de mes lectures, pour terminer dans CCEM v6 sur une équation simpliste qui dit que 54% du carbone émis se retrouve cumulé dans l’atmosphère (si vous faite votre propre analyse sur les 40 dernières années, vous verrez que c’est une approximation correcte). En utilisant la courbe TCRE, on peut se passer de cette étape de modélisation (c’est donc une bonne chose, puisque le but est de conserver à CCEM la simplicité maximale).
Pour finir, j’ai considérablement renforcé la routine d’optimisation locale qui détermine la tactique optimale en fonction de la stratégie, que nous avons vue à l’œuvre dans la section 4. J’utilisais jusqu’alors une simple optimisation locale avec une descente de gradient, mais le « paysage de la fonction de coût » est très irrégulier, et j’ai donc amélioré ma boîte à outil, avec l’utilisation de « sampling » (un parcours systématique pour aller cherche des pics), l’optimisation locale sur une ou deux variables pour trouver les hauts des pics et un peu de « two-opt » pour échapper à des optimums très locaux. Dans le monde de la théorie des jeux, calculer la meilleure tactique (celle qui optimise la fonction de satisfaction représentée par la stratégie) s’appelle « Best Response ». Le lecteur de ce blog se rappellera que mon objectif à plus long terme est de chercher des équilibres, qui sont des points fixe de la démarche où chaque bloc géopolitique réagit à l’optimisation des autres.
6. Conclusion
Le terme de conclusion n’est pas vraiment bien choisi. Disons qu’on peut tirer les idées suivantes du travail présenté dans ce billet :
La première cause de l’inaction climatique est l’incertitude du rapport coût-bénéfice. Cette incertitude conduit à procrastiner, ou à prendre des demi-mesures. Autrement dit, nous n’observons pas une véritable inaction mais une action insuffisante (cf. Hannah Ritchie) et un florilège de promesses et prédictions approximatives.
L’incertitude sur les bénéfices est amplifiée par la nature globale du climat et de son réchauffement qui induit de multiples boucles de contre-réactions de type « dilemme du prisonnier ». S’il faut aligner tout le monde pour que des accords de type COP fonctionne, c’est clairement difficile, surtout vu la diversité structurelle dans l’analyse coût-bénéfice.
Il est donc logique de s’attendre, d’une part à la poursuite du réchauffement et d’autre part à la primauté des actions d’adaptation sur celles de mitigation. Dans ce contexte, l’anticipation est clé mais il ne faut pas la vendre “pour sauver la planète !”, c’est presque à coup sur une promesse non tenue.
Il ne faut surtout pas appliquer une vision statique : tous les paramètres vont évoluer dans le temps et nous sommes en présence d’un équilibre dynamique. Face à des menaces qui vont à la fois se préciser et s’intensifier, les positions des acteurs vont changer. On peut ici souligner une fois de plus qu’il ne faut plus regarder un problème mondial avec nos yeux d’Européens, nous sommes très minoritaires.
Par ailleurs, je ne voudrais pas laisser d’ambiguïté : je suis persuadé que le réchauffement climatique causé par les activités humaines est en cours, que les modèles du GIEC sont les meilleures représentations disponibles, et que les dommages qui vont se produire sont graves pour tous et dramatiques pour des millions de personnes. Je pense en revanche qu’il est urgent de financer des recherches scientifiques sur les conséquences à venir, pour resserrer le consensus autour de ses impacts.
La prochaine étape de ce travail va être de suivre l’exemple du MIT et de son modèle En-ROADS pour permettre à un plus grand nombre de lecteurs d’expérimenter le système dynamique décrit par CCEM.
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