1. Introduction
Il n’est pas facile de construire un discours optimiste et crédible. Le sujet est éminemment complexe et truffé d’incertitudes et de manques de connaissances, ce que j’ai d’ailleurs évoqué dans mes billets précédents, puisque la prise en compte des « known unknown » est une des motivations du modèle CCEM. Les discours volontaristes pêchent forcément d’un excès de confiance dans nos modèles, dans nos connaissances et dans la prédictibilité du système complexe dans lequel nous vivons. Le choix de vouloir « contrôler » la température moyenne du globale, comme le « KPI » de la transition écologique, est fortement discutable et il aurait probablement été plus prudent de vouloir maîtriser la production anthropique de gaz à effets de serre. De la même façon, ignorer la tension inévitable entre coopération et compétition conduit forcément à des désillusions. Les intérêts ne sont pas les mêmes, malgré notre cohabitation (difficile, à ce qu’il semble aujourd’hui) sur la même planète. Construire une action collective pour un développement durable de l’humanité doit prendre en compte la complexité et diversité des points de vue.
Le billet de ce jour est consacré au livre de Hannah Ritchie, « Not The End of the World : How to be the First Generation to Build a Sustainable Planet », parce que je trouve qu’il apporte une contribution fraiche et utile pour construire un nouveau narratif des transformations nécessaires au 21e siècle pour sortir des pièges que nous voyons devant nous. Il s’agit d’un livre optimiste qui se concentre sur la partie factuelle et quantitative de cette question existentielle du futur de la planète. Ce n’est pas un livre qui questionne le réchauffement climatique, mais un livre qui questionne le modèle mental pour y remédier, et en particulier l’approche catastrophiste évoquée plus haut. Le «méta-narratif » du livre est un triptyque : « nous avons un problème », « cela va mieux », « mais nous progressons beaucoup trop lentement ». Autrement dit, dans le contexte déprimant qui vient d’être rappelé plus haut, et que le livre d’Hannah Ritchie ne conteste nullement, la contribution de ce livre est de prendre du recul (et prendre une véritable vision planétaire) pour réaliser que les dernières décennies (et pas simplement les derniers siècles) sont l’occasion de progrès importants pour tous (pas forcément pour chacun), et d’offrir une alternative à une vision qui chercherait un retour arrière et un rejet de ce « progrès ». Dans une perspective qui rappelle celle de Bertrand Piccard, il s’agit de s’appuyer sur ce qui va bien et qui pourrait aller beaucoup mieux, plutôt que de culpabiliser et de se déprimer.
2. Not the End of the World
2.1 Le Livre d’Hannah Ritchie
Le livre de Hannah Ritchie commence avec un introduction qui explique son « double héritage » : d’une part sa formation en tant que spécialiste de l’écologie (master et thèse dans les sciences de l’environnement), avec un voyage personnel qui développe sa sensibilité écologique et ses inquiétudes sur le devenir de la planète, et, d’autre part, sa rencontre avec Hans Rosling, et sa décision de rejoindre Our World in Data : « A review of his work in Nature captures him well: ‘Three minutes with Hans Rosling will change your mind about the world.’ It changed mine”. Cette décision vient d’une réalisation soudaine en observant les données présentées par Hans Rosling : même si la situation globale est inquiétante, il se passe beaucoup de choses positives et les indicateurs ne vont pas tous dans le même sens : « You see, my understanding of the world was wrong. Not just slightly wrong. I’d assumed everything was getting worse. Yet here was Rosling, leaping across the stage, showing me facts rooted in solid data. He was telling me that I had it all the wrong way round ». Si on s’intéresse au bien-être des populations sur l’ensemble du globe, des indicateurs tels que le pourcentage de personnes vivant en extrême pauvreté, la mortalité infantile, combien de filles ont accès à une éducation primaire, combien d’enfants sont vaccinés contre certaines maladies … à la fois le dernier siècle, mais également les dernières décennies (de 2000 à 2020 par exemple) ont permis des progrès importants.
Hannah Ritchie continue de travailler en tant que scientifique à l’Université d’Oxford, en se concentrant sur une vision globale du développement durable : « I’m also a misfit scientist at the University of Oxford. We’re ‘misfits’ because we do the opposite of what people expect academics to do. Researchers tend to zoom into a problem, to get as close as possible and pick it apart. We zoom out. ». Cette citation permet de comprendre pourquoi je suis en forte résonnance avec le travail de Hannah Ritchie, puisque l’approche CCEM est précisément une approche globale, une tentative de « zoom out ». De la même façon que CCEM s’appuie sur les travaux du GIEC, Hannah Ritchie ne remet nullement en cause le réchauffement et l’urgence climatique : « To get this out of the way, let me make one thing absolutely clear: I’m no climate change denialist or minimiser. I spend my life – inside and outside work – researching, writing and trying to understand our environmental problems and how to solve them ». Ce qui fait la saveur du livre de Hannah Ritchie, c’est la surprise que sa lecture provoque et la fraicheur et l’honnêteté intellectuelle de l’auteur, qui décrit ses recherches comme des investigations. Ce qui va suivre n’est pas un résumé, mais plutôt une sélection des quelques sujets qui m’ont le plus marqués. Je vous recommande chaleureusement de faire cette découverte vous-même. C’est un livre que j’ai plaisir à donner autour de moi.
2.2 Une vision complète du développement durable
Le sous-titre du livre, « la première génération à construire une planète durable », pourrait sembler provoquant ou au moins surprenant. La pierre d’angle du raisonnement de Hannah Ritchie est qu’un développement durable est forcément inclusif, c’est-à-dire, selon les propos du rapport Brundtland, capable de couvrir les besoins des générations présentes : « The classic definition of sustainability came out of a landmark report from the United Nations. In 1987, the UN defined sustainable development as ‘meeting the needs of the present without compromising the ability of future generations to meet their own needs». Ce n’a jamais été le cas dans l’histoire de l’humanité, c’est ce qui explique le sous-titre. Geler le progrès technologique ou revenir en arrière n’est pas une solution durable (ou alors, seulement du point de vue d’une petite partie de la planète). Par exemple nous devons continuer à progresser en termes d’accès à l’eau potable, ce que nous faisons puisque 75% de la population mondiale en 2020 a accès a une source d’eau qui est propre et salubre, en augmentation substantielle par rapport aux 60% en 2000. Le livre donne de très nombreux chiffres pour apprécier le progrès constant et récent, mais aussi le fait que nous devons continuer. A la fin du livre, Hannah reformule son objectif comme suit : « Sustainability is humanity’s North Star. Make sure current generations have opportunities for a good life, shrink our environmental impact so that future generations have the same (or better) opportunities, and let wildlife flourish alongside us ».
La constatation que les chiffres clés indiquent un progrès constant n’est pas une raison pour se rassurer : le progrès est trop lent et il n’est pas suffisant. Hannah Richie résume la situation comme suit : « As my colleague Max Roser puts it: ‘The world is much better; the world is still awful; the world can do much better.’ All three statements are true». Cette trilogie « nous avons un problème, les choses s’améliorent, mais pas assez vite » structure la pensée du livre et se retrouve dans plusieurs chapitres. Le livre contient beaucoup de statistiques, qui peuvent surprendre, montrant un progrès plus important que prévu, comme par exemple : « In all low-income countries across the world today, how many girls finish primary school?’ Most people thought the answer was 20%. The correct answer was 60%. By 2020, this figure had increased to 64% ». De la même façon, la pollution en Chine, qui semblait complètement hors de contrôle au moment de l’exposition universelle de Shanghai en 2010, a fortement progressé depuis (pas assez) : « Between 2013 and 2020, Beijing’s pollution levels fell by 55%. Across China as a whole, they fell by 40%. The health benefits of these changes are huge: it’s estimated that the life expectancy of the average person in Beijing has increased by 4.6 years ». Hannah Ritchie revient sur des exemples que nous connaissons bien, comme le problème des pluies acides ou du trou d’ozone.
Un des arguments qui revient souvent dans le livre est l’inefficacité des prophéties catastrophiques. En premier lieu, il faut se souvenir de la complexité évoquée en introduction, et de la difficulté des prévisions. Sur le petit sujet que je connais bien et sur lequel je travaille depuis 20 ans, celui de l’impact CO2 des TIC (technologies de l’information et de la communication), 90% des documents publiés depuis 2006 qui se basent sur des prévisions sont faux (c’est pour cela qu’il faut plutôt écouter les compilations de données réelles que les modèles). Hannah Ritchie rappelle la prudence parce que nous ne savons pas assez de choses pour être vraiment sûrs des prévisions, et elle rappelle également que la peur n’est pas la meilleure façon de motiver pour passer à l’action. Elle souligne également que cette série de “prophéties de malheur » ne contribue pas à renforcer la crédibilité des scientifiques (mise à l’épreuve pendant la crise du COVID) : « Second, it makes scientists look like idiots. Every doomsday activist that makes a big, bold claim invariably turns out to be wrong. Every time this happens it chisels another bit of public trust away from scientists ». Nous entendons constamment des phrases du type « nous n’avons plus que X années pour changer sinon nous allons dans le mur ». Même si certains de ces avertissements ont un fondement scientifique, ils donnent une illusion de contrôle, une impression que nous savons ce qui va se passer. Dans la majorité des cas, le meilleur conseil serait : il semble que cette décision améliore considérablement nos chances / notre situation dans le futur (en vertu des connaissances scientifiques), nous devrions donc la prendre le plus rapidement possible. Faire un modèle « avec et sans la décision » (du A/B testing) est une bonne pratique, mais il faut se garder de prendre les résultats des simulations comme des vérités scientifiques (l’ironie du fait que l’approche CCEM consiste à éclairer ses modèles mentaux par des simulations ne m’a pas échappé).
2.3 Energie, CO2 et Réchauffement
Le chapitre sur l’énergie contenait moins de surprises pour moi, puisque le développement de CCEM depuis deux ans fait que je vis constamment dans les données sur les évolutions des productions et consommations des zones géographiques par type d’énergie. Hannah Ritchie rappelle notre dépendance spectaculaire aux énergies fossiles (plus de 80% de l’énergie primaire vient du pétrole, du gaz ou du charbon). De façon plus originale, elle souligne tout l’intérêt que nous avons à décarboner notre énergie, qu’il s’agisse de résilience géopolitique ou de qualité de l’air. Pour le premier point, du point de vue de l’Europe (je vais y revenir dans la section suivante), c’est assez simple à comprendre : « we need to develop systems that are resilient to world events that might throw us off course. When our economies run on fossil fuels, we’re at the mercy of those that produce them ». Pour ce qui est du second point, Hannah Ritchie rappelle que la combustion des énergies fossiles est une source majeure de pollution de l’air depuis des siècles (le bois et le charbon) : « We worry a lot about climate change, and the fact that it could kill many people in the future. But air pollution is already killing millions every year and has done so for a long time … Cutting out fossil fuels now would have an immediate impact. It would save lives, and people living in highly polluted cities like Delhi, Lahore or Dhaka would instantly see the difference. They could breathe again ». Dans les pays industrialisés, cette amélioration de la qualité de l’air est une réalité sur une longue échelle de temps : « The air I breathed as a child was much cleaner than my parents ever experienced in their youth, and much, much cleaner than my grandparents enjoyed ».
Elle rappelle, justement, que les énergies renouvelables ont maintenant des couts de production compétitifs, « In just a decade, solar photovoltaic and wind energy have gone from the most to the least expensive » mais avec un raisonnement simpliste qui ignore le problème de l’intermittence et le coût du stockage. Sur ce sujet je vous recommande le rapport d’IRENA, “Electricity storage and renewables : costs and markets to 2030 », même si les progrès sont constants, il va se passer plusieurs décennies avant que nous puissions remplacer les énergies fossiles pour faire l’appoint des renouvelables. Comme cela est très bien expliqué dans le livre de Bill Gates mentionné plus haut, ou dans le livre de Vaclav Smil dont j’ai parlé dans un billet précédent, il faut aussi tenir compte de la « viscosité » dans notre capacité à passer d’une énergie primaire à l’autre, qu’il s’agisse des contraintes de l’électrification (cf. les transports) ou des usages spécifiques tel que la sidérurgie ou la cimenterie. Comme Hannah Ritchie le rappelle, la Chine est un grand consommateur de béton : « There is an often repeated claim – that China uses more cement in three years than the US did in the entire 20th century. This is true. I know because I recalculated the numbers myself to check ». Elle aborde également la question des ressources minières nécessaires pour cette transition énergétique – un sujet qui fait fortement débat – pour conclure que les évaluations des ressources disponibles sont régulièrement revisitées à la hausse et invalident les articles alarmistes précédents (on pense ici par exemple au lithium) : « Studies also show that we will have enough lithium, nickel, and other minerals. We won’t run out. This is especially true when we consider the potential of recycling: many of the minerals we’ll use in panels, turbines and batteries can be refurbished into new products. In this way we could set up a circular economy where we continually reuse these materials without increasing demand for more ».
Même sur les émissions de CO2, le livre considère que le pic de CO2 par personne a été atteint en 2012, ce qui semble exact quand on refait les calculs : « In 2012, the world topped out at 4.9 tonnes per person. Since then, per capita emissions have been slowly falling. Nowhere near fast enough, but falling nonetheless ». Hannah Ritchie rajoute qu’elle est optimiste et pense que les émissions globales (non plus par personne) vont atteindre leur pic durant cette décennie (je suis moins optimiste, mais si ce n’est pas cette décennie ce sera la suivante). Comme cela a été dit plus haut, elle soutient fortement le besoin d’une baisse rapide, mais pas au prix d’un retour en arrière ou d’une frugalité imposée aux pays qui ne sont pas encore développés: « the notion that we need to be frugal to live a low-carbon life is simply wrong. In the UK we now emit about the same as someone in the 1850s. I emit the same as my great-great-great-grandparents. And I have a much, much higher standard of living ». Un peu plus loin, l’autrice insiste sur cette idée que le développement durable ne peut pas priver un partie de la population de la protection nécessaire contre le réchauffement : « In the 21st century, everyone should have access to air conditioning when they need it. This is a controversial statement in environmental discussions because that will require more energy. But I stand by it. We want to build a comfortable future for everyone, and baking in extreme heat cannot be part of it ».
Le livre donne des chiffres pour comprendre le découplage entre la croissance économique et le CO2, qui est visible et régulier dès que les économies des pays atteignent un certain niveau de développement. Ensuite, pour accélérer la décarbonation, le consensus semble bien être la taxation du CO2 : « I’ve asked many economists what we need to do to tackle climate change. Every single one has given me the same answer: put a price on carbon. It is, perhaps, the only thing that economists agree on ». Sur le sujet épineux des dommages liés au réchauffement climatique, dans ce même esprit de prendre un peu de recul sans nier la gravité des problèmes devant nous, Hannah Ritchie nous redonne les chiffres des victimes des catastrophes naturelles sur un horizon d’un siècle : « I would have bet a lot of money that more people were dying from disasters today than a century ago. I was completely wrong. Death rates from disasters have actually fallen since the first half of the 20th century. And not just by a little bit. They have fallen roughly 10-fold … Deaths have fallen – not because disasters have become less frequent or severe, but because our infrastructure, monitoring and response systems have become much more resilient to them ».
2.4 Agriculture
Le chapitre sur l’agriculture est un des plus riches et des plus passionnants. Pour Hannah Ritchie, c’est un des axes majeur du changement que nous devons faire pour rendre notre utilisation de planète durable : « We won’t solve climate change, stop deforestation or protect biodiversity without changes to how we eat ». Jusqu’ici, rien de neuf mais c’est de détail qui compte : ce livre donne de multiples exemples où les décisions efficaces ne sont pas celles que nous pensons, comme par exemple l’idée que produire local est toujours la meilleure solution : « The fact that our intuitions are so ‘off’ is a problem. At a time when the world needs to eat less meat, we’ve seen a pushback against meat-substitute products because they’re ‘processed’ ». Ce chapitre montre sur de nombreux exemples l’importance des progrès technologiques et scientifiques de l’agriculture moderne. Un de ces exemple est le développement par Norman Borlaug de l’agriculture du Mexique pour augmenter les rendements en modifiant la sélection des plantes et leur culture : « Borlaug was tasked with finding a solution. He started an ambitious series of plant-breeding experiments, such as breeding the same type of wheat at different latitudes and climates, an experiment that went totally against any basic rules of botany – much to his supervisor’s despair ». La persévérance de Norman Borlaug a été couronnée de succès (et lui a valu le prix Nobel de la paix en 1970), il a produit une série de « breakthroughs » qui a profondément transformé l’agriculture du Mexique : « Crop yields more than tripled, and Mexico went from being a net importer of wheat to a net exporter. Once dependent on other countries, they could now grow more than they’d ever need to feed themselves ». Sur le débat d’actualité au sujet de l’utilisation des engrais – un des marqueurs de cette agriculture moderne – Hannah Ritchie rappelle le progrès considérable accompli en quelques décennies : « France now uses about half as much fertiliser as it did in the 1980s. The same is true in the UK and the Netherlands ».
Elle aborde ensuite le sujet délicat de l’emballage des produits et de l’utilisation des plastiques. Elle nous rappelle qu’avant la pratique de l’emballage, les pertes liées à la distribution étaient extrêmement élevées : « As much as one-fifth of food transported this way has to be thrown away. When they used plastic crates instead, these losses were reduced by up to 87%; rather than losing one-fifth, they’d lose as little as 3% ». Vous pourriez penser que cet abus d’emballage est lié à un abus de transport, mais ce n’est pas aussi simple, le transport n’est pas le premier facteur dans l’analyse de l’impact CO2 de nos assiettes : « Over the next year I found scientific paper after scientific paper all pointing to the same conclusion: what we eat matters much more for our carbon footprint than how far it has travelled to reach us ». Le livre donne de nombreux exemples, qui ne sont pas sans rappeler ceux cités par Gilles Babinet dans son dernier livre, « Green IA » : « There are many examples where importing food often has a lower footprint. Importing Spanish lettuce to the UK during winter months reduces emissions three- to eight-fold. Tomatoes produced in greenhouses in Sweden use 10 times as much energy as importing tomatoes from Southern Europe when they are in season ».
Un des aspects les plus important du livre est l’explication des couplages systémiques entre les différents aspect du développement durable. Par exemple, on ne peut pas lutter contre la déforestation, ce qui est nécessaire, sans assurer un progrès sur les rendements agricoles dans les pays peu développés (cf. le rôle clé de Normal Borlaug) : « One of the world’s biggest weapons against deforestation over the last century has been a big increase in crop yields ». Le livre traite du débat sur l’épuisement des sols qui serait la conséquence d’une agriculture trop intensive. Le sujet est complexe, et ne se réduit pas à un nombre de cycles potentiels ou à la crainte d’un fin de vie : « Ask a soil scientist how many harvests the world has left, and they will laugh. The concept has no scientific meaning. The world’s soils are so diverse and heterogeneous: some are degrading, some are improving, and many are stable as they are. The idea that there is a deadline by which the world’s soils will just die – apparently all at the same time – is bonkers ». Comme toujours dans ce livre, cela ne signifie pas que nous n’avons pas un problème : « It’s not that soil loss isn’t a problem. It really is. We need to find ways of farming that rebuild soils rather than depleting them ». Nous avons un problème, il est juste plus complexe, hétérogène et géographiquement différencié. Et la solution ne peut pas être non plus les fermes verticales (globalement, il y a des bons cas d’usage) : « The problem with vertical farming is that it needs a lot of energy. The sun is replaced with electric lights which need to be pretty powerful to mimic the fireball in the sky ».
2.5 D’autres questions clés
Ce livre contient beaucoup d’autres sujets que je ne vais évoquer ici que très brièvement. Les évoquer ne rend pas justice à la qualité narrative du livre. Par exemple le récit du protocole de Montréal et la façon dont les trois scientifiques– Paul Crutzen, Frank Rowland and Mario Molina – ont alerté le monde sur la destruction de la couche d’ozone dans la stratosphère est passionnante et l’occasion de reconstruire un peu de foi dans le progrès et la capacité de l’humanité à prendre des décisions de façon synchronisée.
Le sujet de la biodiversité est complexe, car il est relié à l’ensemble des dimensions du développement durable : « Biodiversity loss is the trickiest environmental problem that I cover in this book, though I still think we can change things ». Hannah Ritchie rappelle que sur ce thème, comme sur les autres traités dans ce livre, nous avons un sérieux problème en face de nous. Mais nous pouvons agir : « But it’s not too late. The bleakness of this picture depends on the assumption that species continue to go extinct as quickly as they have over the last few centuries. That is a massive assumption. One that is wrong. This mass extinction event is unlike any of the others because there is a handbrake. We are the handbrake. Earth’s previous events were driven by major geological or climatic changes: an asteroid, a massive volcano and clashes of tectonic plates. Once those atmospheric and ocean chain reactions got set in motion, there was no stopping them. This time the driving force is us. And we have the option to stop, to turn things around ». Pour se convaincre que l’action est possible, elle donne plusieurs exemples concernant des espèce protégées dont les populations ont recommencé à progresser : « Over the last decade the number of African elephants in Namibia has doubled. In Burkina Faso they’ve increased by 50%. In Zambia, South Africa, Angola, Ethiopia, Malawi and several other countries, populations are on the up. After enduring a steep decline there were just 15,000 Asian elephants left in India by 1980. Their numbers have now risen to almost 30,000 ».
Une partie importante du chapitre sur la biodiversité est consacrée à la pêche et aux fermes piscicoles. Je vous laisse découvrir ce sujet complexe, mais le résumé que fait Hannah Ritchie illustre bien le thème du livre : « This situation is a perfect reflection of the three-true-statements: things are awful (30% are still overfished, and the EU missed its target); things are much better (30% is much less than the 78% it used to be); things can be improved. We know how to put good, sustainable policies in place. If we can implement them across the board, an end to overfishing is well within our reach ».
3. Un narratif alternatif qui émerge de CCEM
3.1 CCEM version 5
Je poursuis les travaux sur CCEM (Coupling Coarse Earth Models), dont j’ai parlé dans mes billets précédents. Le mois prochain, je vais avoir le plaisir de présenter une communication à IAMES 2024 (Third 3rd IFAC Workshop on Integrated Assessment Modeling for Environmental Systems). La modélisation “System Dynamics” est une modélisation antifragile, dans le sens où elle s’enrichit constamment de la confrontation d’idées, ou de simulations qui mettent en lumière des faiblesses. Le modèle “v5” contient des améliorations du coté de l’énergie (en adoptant le PWh comme unité globale d’énergie, plutôt que la Gt d’équivalent pétrole) et en terme de concentration de CO2. J’ai également mieux qualifié les flux de transition énergétique (modèle M3) pour pouvoir simuler les progrès de l’électrification (la part de consommation d’énergie qui s’effectue à travers le vecteur électricité) puisque la cette progression est un des facteurs dimensionnants de la transition globale (cf. la COP28 et les projections d’IRINA). J’ai également ajouté une modélisation grossière du protectionnisme entre blocs qui va me permettre d’évaluer l’impact de décisions telles que le Carbon Border Adjusment Mechanism (CBAM). Les différents blocs géographiques (4 pour l’instant, mais probablement bientôt 5 en distinguant l'Inde) disposent de stratégies dans le modèle, et mon principal objectif pour 2024 est d’automatiser les décisions de redirection pour maximiser les satisfactions de ces stratégies, une première étape vers l’objectif final de transformer CCEM en “serious game”.
La mise au point de CCEM implique de faire un très grand nombre de simulations selon différents scénarios, à la fois pour la mise au point et pour l’analyse de sensibilité des équations. Progressivement, quelques “idées générales” émergent. Je vais les partager dans cette section, sous la forme de “food for thoughts”. L’état très préliminaire de la simulation ne confère aucune autorité à ces réflexions, je les partage à cause de la résonnance avec le livre d’Hannah Ritchie.
3.2 Transformation as Usual
La figure suivante illustre cette vision qui est une alternative entre les deux scénarios extrêmes du « business as usual » et des « accords de Paris ». Notons que on retrouve une illustration semblable dans les dernier rapports du GIEC. Ce qui me semble important de souligner pour comprendre « le pas de côté » que cette approche « TaU » représente :
1. Pour une partie importante du monde, l’arbitrage économique entre le développement nécessaire et les dommages à venir est brutalement imposé. En conséquence, les émissions CO2 d’ici 2050 sont faciles à prévoir, et la marge de manœuvre que représente le comportement des Européens est quasi négligeable. Je vous recommande la lecture de « Anticipating Climate Change Across the United States » dont l’introduction explique cela très bien.
2. La stratégie Chinoise est très lisible et a été construire par des gens qui comprennent la physique et l’inertie des systèmes industriels : faire des investissements constants et massifs dans les énergies propres (renouvelables et stockage associé, et dans le nucléaire) en utilisant le charbon pour éviter la dépendance au pétrole et au gaz. A long terme (2060-2070) les émissions auront été très fortement réduites mais d’ici là la seule amélioration viendra des progrès en efficience énergétique. Ce que les premières simulations montrent – une évidence – est que cette stratégie est résiliente aux perturbations à venir sur le cout du pétrole/gaz, et pas du tout robuste à la taxation carbone mondiale.
3. Les trajectoires vertueuses, centrées autour de l’accord de Paris, ne sont pas impossibles, mais elles sont très peu probables. Le livre de Vaclav Smil donne des raisons d’être sceptique (la viscosité des transitions énergétiques) tandis que celui de Bill Gates est le meilleur « blueprint » que je connaisse (il part des chiffres et propose des solutions crédibles), mais il demande à la fois une coordination internationale et une mobilisation de chaque pays qui me semble bien irréaliste.
3.3 Anticiper la transition pour ouvrir le “cone du futur”
Dans ce monde de la « transformation as usual », il faut anticiper pour éviter le « too little, too late » mentionné plus haut. La figure suivante essaye d’exprimer ce dilemme:
· La réaction face au problème, qui est à la fois celui des dommages économiques importants causés par le réchauffement climatique et la raréfaction de l’énergie qui se traduit par des prix qui augmentent, est limitée si elle est prise trop tard. Cette réaction est surtout une sobriété imposée (par les couts) et une accélération des mesures de transitions, mais qui ont peu d’effets à court terme.
· Une stratégie d’anticipation, qui a un coût et qui est donc plus facile pour des pays riches, consiste à investir plus sur l’efficacité (dont le progrès a été constant mais qui demande des investissements pour éviter les rendements décroissant), la transition énergétique et la promotion de la sobriété choisie. La transition énergétique est placée sous la double contrainte (représentée par les known unknowns du modèle CCEM) de la capacité de déploiement des capacités de production d’énergie propre, et par la rapidité à laquelle nous pouvons déplacer notre consommation vers le vecteur électrique (ce que symbolise la petite balance au milieu du schéma).
· On retrouve sur ce dessin le rôle clé de la taxation carbone pour déplacer les optimums des décisions économiques, c’est-à-dire forcer l’anticipation en réintégrant des externalités futures. Il existe une tension fondamentale (un arbitrage politique à opérer, représenté par le petit éclair vert) entre une fiscalité incitative et les renoncements symboliques, identiques pour tous. La première est plus efficace d’un point de vue économique mais porte en elle une inégalité qui peut devenir insupportable en temps de crise. La sobriété choisie (les renoncements, à la voiture thermique par exemple, ou les tickets de rationnements que nos anciens ont connu pendant la guerre) est moins efficace mais socialement plus acceptable.
Sur l’importance de la sobriété, sous ses deux formes, la sobriété choisie et la sobriété imposée, il est intéressant de lire le livre « Chaleur humaines » de Nabil Wakim. Ce livre est une compilation d’interviews avec des points de vue différents, mais dont plusieurs idées générales émergent : « Faire baisser les émissions de gaz à effet de serre, c’est urgent, très important, et difficile… mais en fait cela ne suffira pas. Il va falloir aussi s’adapter à toutes les conséquences du changement climatique, et dès maintenant ». Comme cela a été souligné plusieurs fois : « il va falloir à la fois diminuer notre consommation d’énergie et augmenter celle d’électricité ».
3.4 La Transition Energétique est une évidence pour l’Europe
Cette stratégie d’anticipation n’est pas forcément la mieux adaptée ni la plus convaincante pour l’ensemble des pays. Les estimations des coûts de la mitigation (adaptation pour réduire le réchauffement) sont le souvent sous-estimés (par exemple dans l’article de Nature de 2024 sur les dommages), parce que la viscosité dont parle Vaclav Smil est mal comprise. En revanche, cette stratégie d’anticipation active de la décarbonation devrait être une évidence pour l’Europe. Je parle d’anticipation active, on pourrait parler d’anticipation agressive : taxation carbone, augmentation des investissements (et en particulier augmentation des dépenses de recherche publique), fiscalité incitative pour les économies d’énergie, sobriété choisie en organisant des choix de société positifs et aspirationnels (une fois de plus, je pense aux discours de Bertrand Piccard). Cette approche me semble une évidence pour deux raisons : tout d’abord elle est possible pour l’Europe qui est un continent (globalement) riche, mais surtout un monde avec une énergie décarbonée est le seul dans lequel nous pouvons espérer retrouver une compétitivité économique. Si cet argument ne vous convainc pas, la figure suivante qui représente le PIB en dollars des 4 zones représentées dans CCEM vous donnera peut-être une indication. Nous sommes rentrés dans quelques décennies d’énergie rare (au sens de la comparaison entre offre et demande – pas en soi, il y a plein d’énergie disponible), qui se traduit par la fin d’un marché mondial unique et l’existence de disparités géographiques fortes du point de vue du prix de l’énergie, renforcées par les tensions géopolitiques. Cette situation n’est pas éternelle : les arguments d’Hannah Ritchie sont exacts, et le moment viendra ou les énergies propres seront à la fois moins chères, aussi disponibles et suffisamment déployées pour nous faire sortir de cette période de crise énergétique. Tout le défi est d’arriver le plus rapidement possible (plutôt 2050 que 2030, n’en déplaise aux modèles utilisés par la COP28). Notons qu’il ne s’agit pas simplement de faire advenir une énergie propre moins chère, il s’agit également d’utiliser le progrès (à la fois le progrès technologique et la sobriété, qui est un progrès face à une société de gaspillage).
D’un point de vue mondial, il existe deux autres raisons de promouvoir cette direction : c’est une façon de participer à la résolution du problème global (mais, on l’a vu, le poids de l’Europe est de moins en moins significatif) et c’est aussi une façon d’accélérer les courbes d’expériences et la baisse par effet volumique des nouvelles technologies décarbonées dont nous avons besoin. Ce point est fort bien expliqué dans le livre de Bill Gates « How to Avoid a Climate Disaster ».
4. Conclusion
Ce billet est assez long, et je vais terminer par une courte conclusion, en prenant encore plus de recul et en évoquant quelques idées clés que je partage avec Hannah Ritchie et plusieurs autres auteurs :
Le progrès est une constante essentielle de l’histoire de l’humanité, en particulier de ses derniers siècles, et il doit continuer pour que nous nous adaptions aux défis climatiques.
Il existe suffisamment de sources d’énergie pour alimenter le progrès technologique à long terme, mais il y a une double difficulté de transition (délai et viscosité) et de sobriété (réintégrer les externalités négatives de la technologies pour prendre les bonnes décisions à long terme plutôt que de continuer notre aveuglement court-termiste).
Il est évident, me semble-t-il, que nous avons commencé à subir un réchauffement climatique qui va s’intensifier. Nous devons utiliser nos connaissances scientifiques pour éviter les comportements qui aggravent nos problèmes sans penser que nous sommes capables de tout comprendre et encore moins de piloter le système terre.
La question est l’accélération de la transition (« super multi-dimensionnelle ») pour éviter un trop grand réchauffement et de trop gros impacts négatifs. Il est logique que les pays les plus avancés transitionnent plus vite, à la fois de façon solidaire et pour accélérer les cycles volumiques de réduction des coûts des nouvelles technologies.
La transition est favorable à long terme (indépendamment de l’évitement de dommages épouvantables), il faut donner envie du monde d’après et pas le voir comme une punition infligée par la nature à des enfants capricieux et gaspilleurs – cf Bertrand Piccard.
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