dimanche, novembre 29, 2009

Analyse systémique du pilotage de la performance

J'ai lu plusieurs ouvrages sur le pilotage de la performance récemment, dont le livre de Didier Vanoverberghe « Le Business Assurance pour la performance de l'entreprise » que j'avais mentionné en Aout et sur lequel je reviendrai. Cette réflexion s'insère naturellement dans le « Business Process Model » dont j'ai déjà parlé. Pouvoir définir simplement et axiomatiquement la performance serait d'une très grande aide par rapport aux objectifs de ma recherche sur l'architecture organisationnelle et le pilotage des flux de communication. Malheureusement, dès que l'on cherche à appliquer une modélisation formelle sur une situation réelle, on tombe sur de nombreuses difficultés que je pourrais qualifier de systémiques. Je commence à conjecturer que le système de pilotage hérite de la complexité systémique de l'entreprise elle-même. Autrement dit, le titre du post de ce jour ouvre un chapitre de ma réflexion sur le pilotage des processus, il ne répond surement pas à la question posée J

Tout cela a pour moi un parfum de « déjà vu ». Lorsque je me suis lancé, avec d'autres, dans l'urbanisation du système d'information de Bouygues Telecom, j'ai découvert des niveaux de complexité non-soupçonnés autour des problèmes d'architecture de données. Plus généralement, je suis tombé sur un « os » : la belle vision de l'urbanisation des SI autour des processus métiers laisse sous silence le problème de couplage entre processus. Les beaux schémas (ceux que je dessinai il y dix ans ou ceux que je lisais alors) étaient trop simples, et la réalité de l'exécution des processus dans le SI comporte plein de subtilités (une autre histoire, racontée dans mon premier livre).

Quand il s'agit de piloter la performance d'une entreprise représentée par un ensemble de processus, la même complexité apparait ! On ne peut pas réduire le pilotage de la somme des processus à la somme des pilotages, il existe de nombreux couplages. Pour s'en rendre compte, je vais prendre un exemple très simplifié autour d'une représentation « à la Porter » :

  • R&D
  • Marketing
  • Fabrication
  • Vente

Je ferai un beau dessin le jour ou j'écrirai mon 3e livre, ici je me contente de postuler l'existence de nombreux processus correspondant à des lignes de marché/produits différentes. Ces processus horizontaux s'appuient sur les 4 organisations verticales précitées. Cela forme la matrice classique présente dans tous les livres qui parlent de processus métiers (les miens compris J)

La théorie veut que les 4 divisions participent à chacun de ces processus en fournissant des ressources, le pilotage du processus étant autonome pour fixer les objectifs du processus en établissant des « contrats de valeurs » pour chacune des équipes fonctionnelles (« cases de la matrice »). La R&D innove, le marketing définit les produits et services, qui sont ensuite réalisés de la manière la plus efficiente possible puis vendus en fonction du « brief » fourni par Marketing. Pourtant, dès qu'on se place dans le contexte d'une entreprise du 21e siècle face à un marché « 2.0 » de clients informés et exigeants, de nombreuses difficultés apparaissent, que je peux résumer avec les 7 paradoxes suivants :

  1. Les processus produisent des produits et services qui s'adressent aux mêmes clients (globalement, même si la segmentation simplifie ces dépendances). L'optimisation du revenu conduit nécessairement au classique « Marketing Mix » (Yield Management).
  2. Les objectifs évoluent car le marché évolue ! Les prévisions sont forcément fausses, le pilotage ne peut donc pas s'appuyer « simplement » sur les objectifs.
  3. L'adaptation aux fluctuations du marché est un arbitrage « temps réel / sur le terrain » (cf. le « recognition & response » de Langdon Morris). Les objectifs confiés à la force de vente doivent inclure une « marge de manœuvre » d'adaptation à ces fluctuations.
  4. Les coûts unitaires du processus ne sont pas fixés, ils sont soumis à cette adaptation.
  5. Les coûts comportent des parties fixes, variables et semi-variables qui exigent un peu d'anticipation pour être optimisés. On a donc besoin de prévisions pour réduire les coûts (le modèle purement variable – malgré toutes ses qualités – n'est pas une panacée universelle)
  6. L'espace d'adaptation aux fluctuations du marché est donc contraint par des hypothèses de coûts de fabrication et de respect du « mix » (l'adaptation parfaite ne fournit pas l'optimisation du revenu produit pour l'entreprise).
  7. On ne vend plus des produits et des services mais des expériences, au sein desquelles les produits et services sont placés dans des cycles de vie gérés par les clients. Cela introduit une complexité temporelle : la valeur générée par la transaction (achat/consommation) n'est pas la seule dimension, il faut considérer le « développement durable de la valeur du client ».

Ces « paradoxes » montrent la complexité de la responsabilité du Marketing (ce que l'on sait mais qu'on a tendance à oublier dans une lecture réductrice de l'organisation par processus) et la complexité du partage de responsabilité dans le pilotage de la performance. Et comme toujours (cf. le pilotage des SI), si c'est complexe, l'arbitrage est une responsabilité de direction générale, pas l'application de règles d'organisation J

En fait, nous nous heurtons à trois difficultés systémiques :

  • Les processus sont couplés par le partage de ressources, par exemple l'ajustement des efforts des forces de ventes. Cette difficulté est la mieux connues des grandes organisations, qui vivent l'arbitrage des ressources des divisions verticales comme des freins à l'optimisation horizontale.
  • Les processus sont couplés par le fait qu'ils partagent un marché, soit de façon synchrone (compétition entre services produits par des processus distincts) soit de façon asynchrone (influence d'un processus sur un autre au travers du concept de cycle de vie – ex : plus je suis satisfait par un produit, plus je vais attendre pour le renouveler)
  • Les processus s'inscrivent dans un déroulement temporel, face à un marché incertain. La difficulté de la prévision (connaitre un marché) se combine avec celle de l'anticipation.

Ces difficultés se traduisent concrètement sur la multiplication des contraintes qui pèsent sur la « gouvernance du pilotage de la performance ». La responsabilité doit être partagée / segmentée / fondée sur un cadre / préserver un espace de liberté d'ajustement « sur le terrain ». Toutes ces contraintes peuvent être résolues avec le concept de collaboration par partage de modèle. J'y reviendrai un autre jour, c'est un concept riche mais sophistiqué. Simplement, la collaboration par partage de modèle permet de :

  • Poser un cadre (le modèle)
  • Donner un espace d'adaptation (le modèle est creux, il reste à le remplir)
  • Donner du sens, c'est-à-dire permettre à celui qui exerce l'adaptation d'apprécier sa contribution à la performance

Concrètement, les acteurs du processus sont condamnés à collaborer en échangeant des informations, ce qui s'inscrit parfaitement dans le contexte de l'entreprise 2.0. Il ne s'agit pas que tout le monde explique tout aux autres ! Le modèle est précisément un outil d'encapsulation.

Je reviendrai sur ce sujet dans des posts futurs, il est assurément complexe et mérite d'autres développements. Mais on voit tout de suite que ce concept de partage de modèle ne remplit pas les objectifs de simplicité et lisibilité d'une « belle théorie du pilotage de la performance ». Ce que je peux résumer en disant que le management de la performance des processus s'ajoute mais ne se substitue pas à la problématique du management de la performance de l'entreprise.


4 commentaires:

  1. Bonjour,
    Vaste sujet que celui-ci, mais n'est-il pas abordé par le Lean management (dans sa vision management du flux de valeur) qui permet déjà d'aligner :
    - les processus sur le flux de valeur
    - les flux de valeur sur les besoins clients
    - le management de la performance sur le management des flux de valeurs, donc d'avoir des métriques qui reflètent l'expérience du client et permettent de garantir un management des problèmes (écarts objectifs / réalité) qui aille "dans le bon sens".
    - donc d'aligner l'organisation vers les clients

    Tout ceci permet d'aligner les collaborateurs de l'entreprise, toutes divisions confondues (Toyota n'a pas aboli les entités verticales que sont la R&D, le marketing, etc. que je sache ;)

    Plus généralement, je pense que les sujets que vous soulevez sont plutôt bien adressés par une approche systémique de l'entreprise (qui oblige à la recherche d'effets de leviers), quand l'approche analytique ne fait que soulever des lièvres de complexité qu'on tente malheureusement de résoudre à coups de marteaux "SI" (notamment).

    Ne faut-il pas "laisser tomber" l'approche analytique et, plutôt que de considérer l'approche systémique de loin, lâcher prise et l'embrasser ? (pour rappel, l'approche systémique et complexe ne s'oppose pas à l'analytique, elle l'inclue).

    Je vous recommande le guide (trouvable en PDF sur internet) "the Vanguard Guide to your organization as a system" www.newsystemsthinking.com ou www.systemsthinking.co.uk

    Bien que n'exposant que des banalités sur le Lean management et l'approche système, je trouve qu'il pose bien la problématique du "système" de l'entreprise et des effets bénéfiques de l'approche Lean sur tous les problèmes complexes d'une organisation...

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  2. Le lean adresse très directement la création de valeur et son analyse par processus. Le lean, en tant que philosophie du management de l'entreprise (Toyota Way) adresse également le sujet des interactions entre processus (via les ressources ou les clients) mais le sujet précis du pilotage de la performance vs. marketing n'est pas vraiment traité dans les ouvrages que je connais.
    De façon plus précise, ce dont je parle n'est complexe que si l'on rentre dans le détail. En big picture, c'est parfaitement traité, depuis Porter jusqu'à la Balanced Score Card. En revanche, quand on s'intéresse au détails, ce qui est le cas des ouvrages sur le pilotage de la performance, les problèmes d'interactions sont souvent laissés de coté.
    Merci pour la référence au "Vangard Guide", c'est effectivement un bon document de vulgarisation sur l'approche systèmique appliquée à l'entreprise.
    Sur le fond de votre remarque, je n'oppose pas l'approche analytique et l'approche systèmique (ce qui est logique vu mon background de chercheur opérationnel: je fais depuis 20 ans de la systémique de façon analytique - cf. les post sur GTES. J'écrirai probablement yet-another-book en 2015 :)
    Donc à votre remarque "les sujets que vous soulevez sont plutot bien abordés par une approche systémique", je suis à la fois completement d'accord (cf. le post que je ferai demain sur le sujet du mail) et pas complètement d'accord puisque, systémique ou pas, cela reste difficle ! (comme pour l'architecture de données distribuées dans les SI)

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  3. Bonjour actuellement je suis en train de travailler sur le management de processus administratif du Marketing International, et comme vous l’indiqué je trouve qu’il n’y a pas bcp d’information que traite mette en relation la performance et le Marketing, surtout qui traite ces éléments au détail.

    Ainsi, je voudrais savoir un peu plus de votre livre, notamment s’il traite les processus du Marketing au niveau International. Merci

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  4. Non, mon prochain livre vous sera probablement plus utile :) mais le livre actuel "Performance du SI" est centré sur le SI. Ce que j'ai raconté dans ce billet est le résultat de réflexions plus récentes.

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