dimanche, mars 15, 2009

Efficacité de la communication 2.0 dans l’entreprise

Je vais traiter du sujet « Entreprise 2.0 » à travers le prisme de ce blog : les flux de communication et leur efficacité pour l'entreprise. Plus précisément je me propose de montrer que les outils du Web 2.0 apportent des formes nouvelles et efficaces de communication pour l'entreprise. C'est souvent un postulat admis de la plupart des articles que je lis sur l' « Entreprise 2.0 », mais rarement explicité et encore plus rarement démontré (c'est d'ailleurs pour cela que mon blog « Entreprise Collaboration Sociometry » est vide).

Je vais donc me concentrer sur un point précis du domaine « Entreprise 2.0 », je vous recommande l'article « Six Ways to make Web2.0 work » pour resituer cette contribution dans le contexte global, ou encore la cartographie de Laurent Assouad. Cette contribution est un « work in progress », mais elle commence à être suffisamment structurée pour être exposée à vos critiques constructives. Mon objectif est de faire « toucher du doigt » le fait les outils du Web 2.0 permettent de mieux faire circuler l'information, au-delà d'autres avantages qui touchent à l'innovation, l'ouverture, l'image ou la culture collaborative.

J'identifie 8 formes (ou principes) de communication « nouvelles » supportées par les outils du Web 2.0. Par « nouvelle », j'entends que ces formes de communication sont plus faciles à mettre en œuvre avec des outils 2.0, même si il est facile de montrer qu'il existe une instanciation « Web -1.0 » (avant le Web) pour chacune.

  1. Edition concurrente.
    Il s'agit simplement de la forme de communication que représente la coédition à distance d'un document partagé. C'est probablement ce qui est le plus naturellement associé à « Entreprise 2.0 », l'outil emblématique étant le Wiki. La célèbre vidéo de Michael Wesch illustre ce concept de communication à travers la manipulation d'un document digital partagé (et, précisément, ce qu'apporte la digitalisation).
  2. Broadcasting ciblé.
    Le broadcasting est une forme de communication « efficace » (one-to-many) du point de vue de l'émission, mais qui peut être un gaspillage du point de vue du récepteur. Les outils 2.0 qui s'appuient sur des communautés permettent le broadcasting ciblé (au sens marketing du terme). On pense bien entendu aux blogs comme outil illustratif.
  3. Communication synchrone élective (et non-intrusive).
    Ce nom bizarre désigne l'usage de la messagerie instantanée, qui combine la communication synchrone textuelle, la notion de présence et l'utilisation d'un « groupe fermé d'abonnés » (pour parler comme France Telecom, autrement dit de « buddies »). Mon intuition est que la vraie nouveauté de l'IM n'est pas le « texting » mais bien le partage du statut (présence) qui rend la communication synchrone moins agressive car acceptée par le récepteur. Le caractère textuel apporte la dimension de « non-intrusif » car l'IM se prête mieux au « multi-tasking », mais l'innovation fondamentale est bien que le récepteur communique sa joignabilité (cf. les chapitres 5 et 6 de mon livre).
  4. Synchronisation émotionnelle.
    Il s'agit d'éliminer des « coûts de transaction » d'une communication entre deux individus au moyen d'un canal de «micro-communication » qui sert à la « synchronisation ». Plus précisément, les sociologues nous expliquent qu'une conversation est composée de trois phases. Cela commence par une entrée en matière, pendant la quelle des formules rituelles (« comment ca va ? ») servent à « synchroniser les diapasons », à placer les horloges physiologiques sur un même rythme, à ouvrir un contexte de communication. La deuxième phase comporte le transfert d'information proprement dit ; la troisième est la clôture, un rituel qui permet à un des interlocuteurs de signaler qu'il doit passer à autre chose (l'absence de clôture provoque une gêne et est perçue comme un manque de « savoir-vivre social »). Les outils de micro-communication (Tweeter, « status update » de Facebook, …) propose (entre autre, de façon non exclusive) le partage d'un flux d'informations « sans grand intérêt » mais qui permettent aux interlocuteurs de rester « connectés », dans ce sens intangible mais néanmoins essentiel. Ceux qui font l'expérience de Facebook pour rester « en contact » avec des amis lointains ont remarqué que le partage de micro-informations crée une proximité qui rend la communication (classique) plus efficace car plus rapide. En quelque sorte, la « micro-communication » permet d'éliminer un « coût d'établissement » lorsqu'une (macro) communication est nécessaire, par « augmentation de la température » : le canal est « toujours ouvert ». Cela permet également de simplifier (voire supprimer) la phase de clôture sans créer de gêne.
  5. Stigmergie dirigée.
    La stigmergie est la communication à travers le dépôt de message dans l'espace (ce que font les fourmis). C'est une communication asynchrone localisée (le lecteur est déterminé par son positionnement). Contrairement au dépôt de phéromones des fourmis, le « wall-to-wall » de Facebook est « dirigé », en ce sens que la communauté des lecteurs est restreinte. Ne peuvent lire que ceux qui passent (devant le wall), mais n'importe qui ne passe pas, il faut un intérêt commun (autour de la personne qui possède le mur).
    Le futur de cette stigmergie digitale s'exprime avec le « tagging » de l'environnement réel (voir Sekai camera) mais aussi avec les services de géo-proximité (voir Aka-aki). Dans les deux cas, c'est une communication « dirigée par le lieu ». Ce sujet mériterait un post à lui tout seul … Mon point ici est que la communication « wall-to-wall » est un outil efficace et pertinent dans le cadre de l'entreprise.
  6. Communication asynchrone élective.
    La nouveauté est dans le « électif », c'est-à-dire le fait de permettre au destinataire de choisir qui peut lui parler. C'est en partie à cause du SPAM que les utilisateurs passent de l'email au « courrier sous Facebook ». C'est aussi tout simplement parce qu'il s'agit d'une « boite contrôlée ». Le contrôle permet d'ailleurs la segmentation (avec plusieurs identités électroniques). C'est une des idées que j'ai le plus développé dans ce blog : le défaut des outils électroniques 1.0 est de rendre trop facile la consommation de la « bande passante » du destinataire par l'émetteur. Le premier bénéfice des réseaux sociaux est de pouvoir limiter cette utilisation abusive.
  7. Tissage/Développement des liens faibles.
    Je reviens sur cette idée fondamentale esquissée dans les posts précédents. Depuis les travaux de Mark Granovetter, on distingue les liens forts (les personnes que l'on voit souvent, pour des raisons bien établies, géographiques, organisationnelles, fonctionnelles) et les liens faibles (des personnes nettement moins semblables que l'on rencontre plus rarement, mais qui forme un second cercle essentiel à la propagation de l'information). La clé de ce principe tient dans la conjonction de deux constatations : (1) Le réseau social des liens faibles joue un rôle clé dans la propagation des informations de l'entreprise parce qu'il est transverse aux silos géographiques et organisationnels : (2) la culture, le tissage, le développement de ce réseau faible nécessite les outils du Web 2.0 pour des raisons de contrainte de temps. Sur le premier point, je me suis déjà longuement exprimé. Les formules qui lient le diamètre et la latence sont une illustration de ce principe. Sur le second point, c'est une question de bon sens. Il y a beaucoup d'autres façons de promouvoir les réseaux faibles : plus de temps à la cafétéria, organisation d'événement d'entreprise, de sports collectifs, etc. Il se trouve que permettre la création de réseaux sociaux au moyen d'outil Web 2.0 est simplement plus efficace. L'équation fondamentale, qui demandera à être étudiée, est la suivante : le gain d'efficacité obtenu par un tissage faible étendu compense largement le temps perdu à parler « de tout et de rien » sur les outils 2.0.
  8. Adressage par fonction/centre d'intérêt.
    Une des plaies des grandes organisations est qu'on ne sait pas « à qui s'adresser », sauf si on fait partie des anciens et qu'on a développé son propre réseau. Les outils 2.0, structurés autour de communautés d'intérêts, permettent un adressage direct (à un contributeur identifié sur un domaine) ou indirect (à la communauté), de façon simple pour un «nouveau venu ». On retrouve ici un thème plus vaste, celui de l'importance des « communautés de pratique » dans la « gestion des connaissances » (voir n'importe quelle référence à jour sur le « knowledge management »). Ici, je me contente de constater que le simple fait de pouvoir trouver les bons interlocuteurs à partir de leurs centres d'intérêt est déjà un apport fondamental. S'il était ouvert, le graphe des échanges de mails fournirait une bonne structure pour découvrir « qui sait quoi et qui fait quoi » dans l'entreprise (cette idée est explorée par un bon nombre de start-ups aujourd'hui). L'avantage des outils 2.0 est précisément de fournir cette visibilité (on m'objectera – avec raison - que c'est vrai depuis 30 ans avec les newsgroups, mais on peut assimiler la pratique des forums/newsgroups internes comme une première marche vers l'Entreprise 2.0).

Je ne suis pas forcément satisfait des termes. En revanche, cette liste est impressionnante : voici huit formes de communication qui peuvent porter des flux d'information dans l'entreprise avec une meilleure efficacité, puisque chacune correspond à une limitation bien identifiée des formes plus classiques de l'Entreprise 1.0. Ce sera un sujet pour un prochain post, de faire un tableau qui associe à chaque forme la limite qu'elle repousse, et qui caractérise les dimensions usuelle (synchrone/asynchrone, immersive/multi-tâche, N-to-M, etc.).

Je me prépare, ensuite, à analyser chacune de ces formes à travers mon modèle général de l'efficacité de l'entreprise (en travaux J) pour voir si on peut donner une substance (par l'analyse ou l'expérimentation) à la thèse exposée ici. Les lecteurs anciens de ce blog pourront reconnaitre que la formulation de ces huit formes est dirigée par mon analyse personnelle de l'efficacité de la communication. A suivre, je suis particulièrement intéressé par des suggestions d'extension, voire des suggestions de regroupement.

6 commentaires:

  1. Bonjour Yves,
    Comment vas-tu ? (Je synchronise nos diapasons :-) )
    Merci pour cette lecture intéressante !
    Dans quoi places-tu l'expression artistique en tant que moyen de communication (pas en tant que lien faible entre collaborateurs, mais vraiment comme mode d'expression) ? Et pourquoi n'est-elle jamais utilisée en entreprise (ou du moins rarement et si jamais elle l'est, elle est mal perçue). L'expression artistique (un petit dessin scanné et envoyé par mail, une peinture posée sur le mur d'un bureau, un sketch humoristique filmé par une équipe et envoyé au reste de l'entreprise, voire même quelques vers d'une poésie récité à son patron) ne pourrait-elle pas permettre aux collaborateurs de s'exprimer de manière efficace ??? Surtout si on savait proposer de nouveaux canaux de diffusion...
    Ceci était ma petite contribution du soir. C'est peut être encore un peu décalée en 2009 : on verra ce que 10 années de facebook apportent. Mais peut être que très bientôt, je pourrai peindre sur les murs du e-lab pour exprimer à "ceux qui savent le voir" dans la "communauté", de manière "asynchrone", ma "stigmergie émotionnelle" !!!)
    Antoine

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  2. Bonjour Antoine - dire que je suis débordé est un euphémisme, d'ou mon retard pour répondre :(
    Ta contribution est hyper-pertinente, mais le sujet est très complexe. Il est clair que la communication via lecture/ecriture est un filtre émotionnel puissant (c'est pour cela que les emoticons ont été inventés) et que l'avènement de la visio (qui finira par marcher, j'en suis persuadé) sera une réponse. L'expression artistique telle que tu la proposes correspond à une numérisation des émotions (j'exprime une émotion à travers un artefact numérisable). C'est forcément efficace et utile pour le monde de l'entreprise (d'ailleurs, l'utilisation des petits dessins est en hausse). Je pense que cette forme d'expression va se développer dans l'entreprise 2.0 et que des sociologue viendront nous montrer que c'est efficace.

    -- Yves

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  3. Anonyme2:52 PM

    Bonjour, on vient de me recommander votre blog qui correspond bien à mes travaux de thèse.
    A ce sujet, je vous recommande la lecture de la thèse d'Alexandre Passant sur l'introduction d'outils web 2.0 dans l'entreprise.
    http://apassant.net/blog/2009/07/02/technologies-du-web-s%C3%A9mantique-pour-lentreprise-20-th%C3%A8se-et-slides-en-ligne

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  4. Anonyme2:58 PM

    Pour revenir sur le quatrième point, vous auriez une référence d'un papier de sociologue sur le sujet de la communication en 3 phases(comment vas-tu?, info, cloture)?
    Merci d'avance.

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  5. Bonjour et merci pour le pointeur sur la thèse d'Alexandre Passant !
    Malheureusement non, je n'ai pas de pointeur car j'ai une mauvaise mémoire. J'ai entendu cette idée lors d'une conférence, j'avais trouvé cela intéressant mais à l'époque je ne travaillais pas sur ces sujets. Bref, si un lecteur du blog a une idée, je suis preneur !
    Je suis également intéressé pour en savoir plus sur le sujet de votre thèse :)

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  6. Anonyme2:34 PM

    Au fait, une nouvelle référence, c'est un paier que je suis en train de lire et qui je pense peut vous inspirer aussi:

    collaborative intentionality capital : object-oriented interagency in multiorganizational fields

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