lundi, novembre 12, 2007

le LEMM mode d'emploi (Lean E-Mail Management)

Je vais commencer et répondre à différents mails que j’ai reçus avec une anecdote. Je rentre d’un week-end étendu à Madrid, où j’ai passé une partie importante de mon temps à faire la queue devant des musées. Des queues plus ou moins longue (jusqu’à deux heures) et pas toujours efficaces (j’ai du faire trois fois la queue avant de pouvoir rentrer dans le monastère royal de Las Descalzas Reales). Pendant que je faisais la queue, je lisais mon livre du moment, « Lean Solutions » de J. P. Womack et D. T. Jones. Là où l’histoire se corse, c’est que ce livre traite précisément (entre autre) des queues que les entreprises infligent à leurs clients. La théorie du livre est que, puisque l’entreprise finit par traiter ses clients, ces queues sont inutiles.
Je l’ai déjà dit dans ce blog, les apôtres du « lean thinking » ont la fâcheuse habitude de simplifier leur raisonnement, pour nous faire croire que l’approche lean est une évidence. En l’occurrence, la queue devant le magasin ou le musée n’est pas un dommage collatéral d’une mauvaise organisation, c’est un mécanisme auto-adaptatif de lissage de charge et de sélection. Plus la queue est longue, plus le filtre est efficace : ne reste dans la queue que ceux qui sont motivés (pour faire réparer leur appareil … ou pour visiter l’exposition). La queue s’allonge jusqu’à ce que le taux de filtrage corresponde au débit utile du processus (guichet d’entée du musée, taux de prise en charge du SAV, etc.). Ce mécanisme de régulation a des tas de défauts (que nous, clients, sommes bien placés pour comprendre) mais il a aussi ses bénéfices.
Ceci décrit le cas simple d’une queue « FCFS » (premier arrivé, premier servi/sorti). Dans le cas où l’on intègre la gestion des priorités (la sortie se fait en fonction de la pertinence), la longue queue devient une « colonne de distillation », une « gare de triage ». Bref, cette longue queue (et ceci s’applique bien sûr aux boites aux lettres) devient un outil auto-adaptatif de régulation et de priorisation.
Ceci est-il en contradiction avec le message précédent ? Non, car les simulations, qui montrent l’intérêt de l’approche lean, ont été faites avec toutes sortes d’algorithmes de traitement de la pile de messages. Bien sur, les défauts des « longues piles » sont plus criants avec une approche FCFS qu’avec une approche priorisée, mais la valeur de l’approche lean persiste dans tous les cas de figure.

Je vais maintenant revenir à la question avec laquelle j’ai terminé le dernier message : comment implémenter une approche LEMM ?

A - Réduire les mails

La première idée qui vient à l’idée pour inscrire son entreprise dans une approche LEMM est de réduire le flux de mail. C’est également l’approche la plus complexe pour de multiples raisons, dont une partie est traitée dans mon dernier livre.
Commençons par lister quelques une des idées de réductions de flux :
  • casser l’habitude : journée sans mail, etc.
  • créer un frein à l’émission (cf. chapitre 5 de mon livre) : règles sur la forme des mails, règles de « bon usage », de « bonne conduite », etc.
  • créer un frein par l’inefficacité : ne pas lire ses mails … une méthode très efficace puisqu’elle modifie la culture d’entreprise (dès lors qu’elle est adoptée par un nombre suffisant d’acteurs) mais inefficace également, puisqu’elle prive un puissant canal de communication de sa pertinence. Tout compte fait, c’est l’approche de la queue devant les musées …
  • promouvoir les canaux alternatifs : créer les lieux de rencontre, utiliser l’IM, etc.

J’ai commencé à comprendre l’importance de la question du flux des mails il y a trois ans, en discutant avec Xavier Caumont . Cette conviction s’est renforcée doucement pendant que je travaillais sur le modèle SIFOA. Elle est maintenant très forte, à la fois parce que j’ai compris l’importance du lean dans les processus tertiaire et à cause des simulations, comme je l’ai expliqué dans le mail précédent. Parce que j’ai acquis la conviction du LEMM, je suis favorable à ce qui réduit le flux de mail. Malheureusement, cette conviction n’est pas simple à expliquer. Pas plus que ne le sont les principes de l’organisation du travail que prône Xavier Caumont.
Cela implique que l’implémentation d’un programme de réduction des flux de mails est très difficile à mettre en place : l’utilisation du mail est encore perçue comme un acte et une responsabilité individuelle (cf. commentaire de J.P. Corniou). Pour qu’un ensemble d’acteurs adoptent des règles contraignantes, il faudrait qu’elles s’approprient les principes sous-jacents. Comme, d’une part ces principes ne sont pas intuitifs et que d’autre part il existe une latence dans les bénéfices perçus (les avantages que la communauté tire d’un flux réduit de mail ne sont perceptible que dans la durée, une fois qu’une réduction significative est atteinte), je suis sceptique dans la capacité à conduire le changement avec cette approche.
Cela ne signifie nullement qu’il faille abandonner toutes les initiatives citées plus haut, mais il faut les vendre sur leurs propres mérites, et ne pas invoquer un principe de LEMM :)


B - séparer les flux – ne pas utiliser le mail pour tout

Cette solution s’impose logiquement si l’on part de la constatation de l’état encombré des boîtes aux lettres, combiné avec l’observation précédente qu’il est difficile d’imposer une logique externe sur un acte « aussi personnel » que le traitement de son courrier électronique

L’approche de séparation consiste à utiliser un canal différent pour les messages qui portent tout ou partie des processus collaboratifs. Le plus classique est d’utiliser un portail spécialisé pour les messages de signalisation liés aux processus métiers, que ce soit un outil de partage de tâches, de validation de document partagé ou de workflow. C’est d’ailleurs, fort logiquement, le premier avantage mis en avant par les promoteurs des outils collaboratifs : ils permettent de réduire les mails !
Ce sujet méritera un développement séparé. Pour simplifier, je suis à 100% en faveur de cette approche, mais elle ne résout pas complètement le problème pour deux raisons :

  • l’utilisation d’un portail collaboratif traite partiellement la question de la priorisation et du classement (cf. 5S), mais elle ne force pas nécessairement une approche « pull » (cf. 3e partie).
  • la question reste posée pour les mails qui « restent dans les boîtes aux lettres ». Seuls les emails correspondant à des tâches précises, par rapport à un processus collaboratif fixé, peuvent migrer depuis la boite aux lettres vers un tel outil. Il reste tous les emails informels qui peuvent néanmoins être importants et urgents.

Pour les amateurs du « Toyota Way », cette problématique ressemble étrangement à une problématique de rangement, et on se prend à imaginer les « 5S » du KW. Les 5S sont un principe actif de l’approche Toyota, une méthode réellement efficace. Ils viennent de Seiri,
Seiton, Seiso, Seiketsu et Shitsuke
, que l'on traduit approximativement en Français par : Ordonner, Ranger, Dépoussiérer, Rendre évident, Etre rigoureux.

Je reviendrai une autre fois sur ce sujet (5SKW), qui me semble également puissant.


C - inverser le sens du flux – le KANBAN du mail

C’est l’approche qui m’intéresse le plus, mais sur laquelle je suis le moins mûr. Ce message est donc le premier d’une série …
Commençons par rappeler le principe du kanban : il s’agit d’un dispositif visuel qui permet le fonctionnement en « pull » (flux tendus) puisqu’il montre aux acteurs en amont quels sont les besoins en aval. Historiquement, le kanban est une fiche cartonnée, visible de tous, qui indique les besoins de chaque poste de production (pour ses « fournisseurs »). Le principe général (lire l’article de Wikipedia, puis, bien sûr, « The Toyota Way ») est d’éviter la surproduction et les stocks intermédiaires en liant la production amont aux besoins en aval de façon « mécanique ».
Est-ce raisonnable de vouloir appliquer le KANBAN au KW (knowledge worker) ?
Le KW utilise des processus dynamiques, dont les livrables sont variables, et qui fait une part forte à l’innovation. De plus, pour chaque tâche qui constitue le processus, la créativité propre à l’activité intellectuelle induit une forte variabilité (temps, energie, résultat). Il ne peut donc pas s’agir d’une simple transposition. D’ailleurs tous les articles sur le kanban insistent sur la nature régulière de l’activité. En revanche, le principe actif du kanban est pertinent dans le monde du KW : il faut en effet éviter d’envoyer une information qui ne sera pas traitée faute de temps (et qui donc s’accumule sous une forme –email- ou une autre).
Le kanban du KW (qui reste à inventer) est donc un mécanisme avec un double objectif :
  1. Informer en mode pull le KW qui produit l’information de ce qui va intéresser celui qui traite cette information. C’est ici qu’il faut introduire une souplesse qui ne bride pas la créativité.
  2. Signaler au « producteur » que le « consommateur » dispose du temps (et des ressources) pour traiter cette information. C’est ce second point qui est le plus intéressant pour installer le LEMM.

Je poursuivrai cette analogie dans un prochain message, en particulier en détaillant un protocole qui pourrait s’appliquer pour le processus fort simple de production/relecture/validation d’un document. Le kanban associé est alors simplement un agenda partagé, ce qui facilité son implémentation.

Pour résumer, je n’ai pas vraiment la solution à la question que je me pose. En revanche, je vais travailler sur la troisième approche dans mon environnement professionnel, car je suis persuadé qu’elle recèle une véritable valeur d’efficacité pour les entreprises. J’emploi ce terme de « receler » car je pense qu’il y a un travail d’orpailleur pour aller chercher les principes actifs de l’approche en flux tendu pour des organisations composées de « knowledge workers ». Autrement dit, il faudra du temps et différentes expérimentation pour trouver des bonnes façons de traduire le principe du kanban dans des processus dynamiques, innovants et faiblement formalisés.

1 commentaire:

  1. Anonyme5:03 PM

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