mardi, mai 08, 2007

Simuler les réseaux sociaux d'entreprise

Je rentre d’un voyage aux US qui m’a permis de rencontrer de nombreuses personnes, et en particulier Dan Rasmus , qui est le « Director of Information Work Vision at Microsoft Corporation » et travaille également pour le « Institute for Innovation and Information Productivity ». Dan joue un rôle de prospectiviste pour Microsoft, c’est également un expert depuis plus de 20 ans sur les questions d’outils et de productivité. Interrogé sur le sujet du ROI (return on investment) des outils qui améliorent la productivité, il propose une réponse que j’aime beaucoup : « Horizontal technologies have no ROI without a business process scenario ». Les technologies « horizontales » sont précisément les technologies qui améliorent la collaboration et la transmission d’information. On retrouve une des clés (qui m’aura pris un certain temps à trouver) : on ne peut pas valoriser les améliorations de réactivité (réduction de latence) sans un scénario complet de l’exécution d’un processus métier.
Deux conclusions :
  • La bonne nouvelle, c’est que l’approche « SIFOA » sur laquelle je travaille depuis deux ans, avec un simulateur de processus métier, est la seule qui puisse permettre d’évaluer l’impact de l’usage des (nouveaux) canaux de communication ou des nouvelles formes d’organisation.
  • La mauvaise nouvelle, c’est la même chose : La simulation de processus métier est nécessairement complexe et il y a donc un double travail de pédagogie (expliquer le modèle) et d’étalonnage (trouver des données statistiques adaptées) pour asseoir la crédibilité de ce travail.


En passant, je suis surpris par la différence de maturité entre la France et les US sur les sujets d’organisation, de processus métiers et de transmission d’information. Les pré-requis conceptuels que j’essaye de distiller dans ce blog font maintenant partie de la culture « courante » outre-Atlantique.

J’ai donc décomposé mon travail pour 2007 en deux sous-chantiers :

  1. Travailler sur la latence du transfert d’information en tant que sous-problème autonome, dans la lignée des travaux de Duncan Watts. C’est ce dont je vais parler dans ce message.
  2. Raffiner mon modèle de fonctionnement d’entreprise pour en faire un modèle autonome, dans la tradition des modèles de March & Simon (cf. la review du livre « Organisation » que je ferai d’ici un mois). Ce modèle n’est « qu’une similation » par évènements discrets de processus métier, avec une modélisation simple des enjeux économiques (fonction à optimiser) et des ressources. Il se trouve que ce modèle a également un intérêt propre, pour comprendre l’intérêt de l’approche « Lean Six Sigma » sur une entreprise immatérielle. Je commence à m’intéresser de plus en plus à Lean Six Sigma pour des raisons professionnelles, et certains principes sont contre-intuitifs, ce qui prêche en faveur de la simulation pour se les approprier.

Aujourd’hui je vais parler du travail d’expérimentation sur les réseaux sociaux et réseaux d’affiliation, que j’ai commencé il y a un mois, en étant guidé par le livre de Duncan Watts et par un excellent article « Basic Notions for the Analysis of Large Affiliation Networks / Bipartite Graphs » de M. Latapy, C. Magnien et N. Del Vecchio. Je vous recommande le site perso de Matthieu Latapy pour une introduction aux réseaux sociaux en tant qu’objet de recherche scientifique.

J’ai donc réalisé un générateur de graphe aléatoire pour réaliser trois types d’expériences :

  1. Génération de réseaux sociaux aléatoires (qui représentent des contacts one-to-one) étiquetés avec des fréquences de contact, et calcul des distances, avec ou sans prise en compte des étiquettes. Dans un cas on obtient le degré de séparation (ce qui permet de valider le modèle par rapport aux résultats connus), dans l’autre cas, on obtient une latence de propagation d’information.
  2. Génération d’un réseau social aléatoire qui représente les besoins connus de communication, et évaluation de différentes heuristiques pour construire un réseau social sous contrainte de degré maximal. Cela ressemble beaucoup à un problème d’optimisation de « network design ». Ce qui m’intéresse n’est pas le calcul d’une solution optimale (il n’y a pas de raisons de penser que le réseau social des contacts dans une entreprise soit optimal) mais plutôt de caractériser la latence (distance avec les étiquettes).
  3. Génération du même réseau social des besoins de communication, puis génération d’une « couverture » par un réseau d’affiliation, autrement dit d’un ensemble de réunions. C’est la généralisation du cas (2) en remplaçant des arêtes par des hyper-arêtes dans un hypergraphe. Le terme de couverture est indiqué puisque ce problème ressemble à des problèmes de couvertures de graphes/ ensembles (set covering). Ici aussi, je ne cherche pas « la solution optimale »,mais plutôt une heuristique de bonne qualité, pour caractériser ce que l’on peut attendre d’un « bon système réunion ».

J’ai terminé les parties (1) et (2) et j’ai maintenant les premiers résultats numériques.
Des que j’ai un peu de temps, je vais rédiger un article. Le générateur de graphe me permet de produire des graphes avec des paramètres différents : distribution des degrés, coefficient de cluster-isation, distribution des fréquences de contact, etc. Je retrouve naturellement (ouf J) les propriétés présentées par Duncan Watts mais elles sont étendues dans le cadre des graphes étiquetés.
En attendant, la conclusion la plus intéressante est double :

  1. La loi proposée il y a un an pour caractériser la latence en fonction du diamètre réunionnel, de la taille des réunions, etc. semble être vérifiée expérimentalement. Cf. l’annexe 2 de mon livre : log (Di / Dr) x Dr / T.
  2. Les « suggestions » tirées de cette loi, telle que le fait de diminuer le diamètre réunionnel (voire moins de personnes, mais plus souvent) semblent également judicieuces. Les valeurs numériques donnent un petit groupe fortement connecté (de l’ordre de 5 personnes pour une entreprise avec 1000 cadres).

    A suivre lorsque j’aurai un peu plus de recul …

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