Dans ce message, je vais décrire un modèle de fonctionnement central à ma réflexion sur les flux d’information et l’impact de l’organisation sur ces flux. De quoi s’agit-il et pourquoi est-ce important ?
Le modèle que je propose est un modèle générique d’entreprise centré sur les processus. Il s’agit d’une abstraction du fonctionnement de l’entreprise, qui fait apparaître les flux d’information entre les acteurs et qui explicite le couplage (action <-> information), c’est-à-dire quels flux sont produits par quelles actions et comment l’efficacité du transfert d’information influe sur le résultat des actions.
Ce modèle générique repose sur des paramètres internes que nous ne connaissons pas (coût du travail, impact de la compétence sur la productivité, efficacité des canaux de communication, etc.), c’est pour cela que nous avons développé l’approche « Simulation par Jeux & Apprentissage » présentée dans les messages précédents. Nous y reviendrons un autre jour, pour l’instant, mon objectif est d’expliquer le modèle.
Le modèle de fonctionnement des processus est le socle de ma démarche : si ce modèle ne vous convainc pas, rien de ce qui va suivre n’a le moindre intérêt. Il sert à formuler les interactions entre les différents « leviers » sur l’organisation de l’entreprise. C’est donc un exercice délicat en terme d’équilibre :
si le modèle est trop complexe, personne n’y comprendra rien et le château de cartes s’écroule,
si le modèle est trop simple, il ne traduira pas les interactions organisation / flux / processus.
La structure du modèle (modéliser une entreprise par ses processus) est classique et repose, par exemple, sur les livres dont j’ai cité une partie précédemment. Ce qui est plus original, c’est la modélisation quantifiée des flux d’information associés et des interactions. La question qu’il faudra se poser à la fin du message est : « si nous connaissions les paramètres, ce modèle pourrait-il décrire le fonctionnement d’une entreprise ? »
1. Modélisation de l’Entreprise
Nous allons représenter une entreprise par un ensemble d’agents, et abstraire l’organisation interne en deux catégories, U et H. L’ensemble des agents H représente la structure de management, qui pilote un certain nombre d’unités U. Il ne s'agit pas d'une séparation supervision production, tous les agents sont des "acteurs de la société de la connaissance" et ont pour fonction le transfert, l'enrichissement et le routage de l'information. Disons simplement que les acteurs U participent directement aux processus (ce qui inclus de la coordination) et que les acteurs H effectuent uniquement des tâches de coordination.
L’organisation de management H est définie par une structure pyramidale hiérarchique (un arbre déterminé par sa taille et sa profondeur), qui remplit les fonctions classiques liées au lien manager-collaborateur, et une fonction de collaboration transverse liée aux processus de l’entreprise. La combinaison des deux éléments permet de simuler différents degrés de « matriciel » de l’organisation, en fonction d’un paramètre qui va déterminer la « distribution des prises de décision » selon les deux axes horizontaux et verticaux.
Une organisation U est une collection d’agents, définis par leurs compétences. L’organisation U gère les tâches qui lui sont confiées en fonctions des compétences. Elle s’apparente au méta-processus de planification (au sens d’un planning de Gant) des tâches : qui fait quoi de quand à quand ? La modélisation de la spécialisation de l’entreprise joue sur le nombre d’unités et sur la distribution des compétences.
Un agent partage son temps en trois catégories :
activité (pour un agent de type U) : exécution d’une tâche d’un processus
communication : transfert d’un flux d’information, à un autre agent
autre : planification, réflexion, etc.
Les communications sont réparties selon quatre canaux :
M(eet) : la communication se fait lors d’une réunion planifiée
A(sync) : communication asynchrone, par email, papier, site web, etc.
S(ync) : communication synchrone, par téléphone, IM ou en direct
H(ier): communication en one-to-one selon la « voie hiérarchique »
La répartition entre les catégories est supposée constante, selon des pourcentages qui font partie de la tactique de l’entreprise (voir plus loin). Cette hypothèse sera relaxée dans une version ultérieure du modèle mais il faut commencer de façon simple. La répartition « idéale » en fonction des besoins et de l’efficacité des canaux sera obtenue par apprentissage.
L’efficacité des canaux de communication est obtenue de façon relative par rapport à une transmission lors d’une réunion « face à face » avec deux participants, en considérant le flux d’information transmis et le temps de participation de l’ensemble des acteurs. Nous allons donc utiliser un paramètre qui, d’une certaine façon, décrit le taux d’efficacité moyen d’une réunion (quelles informations retirent les participants d’une réunion ??). Nous faisons l’hypothèse que cette valeur moyenne existe et qu’elle a un sens, pas qu’elle est facile à mesurer !
Comme nous l’avons expliqué dans le message de Février, nous allons étudier les « stratégie organisationnelles » des entreprises selon 5 axes, qui correspondent aux cinq leviers que nous avons identifiés dans un des premiers messages :
temps total passé en réunion : pourcentage du temps passé en réunion
organisation plate ou profonde : profondeur de l’arbre H
degré de redondance ou, au contraire, organisation dimensionnée « au plus juste : nombre d’agents par rapport à la charge de travail théorique-
spécialisation des collaborateurs (vs. généralistes) : distribution et nombre de compétences
type d’organisation matricielle : répartitions des agents H selon les axes horizontaux et verticaux, et localisation des décisions.
2. Modélisation des processus et flux d’information
Les processus sont modélisés, de façon fort classiques, par des enchaînements de tâches qui produisent de la valeur. Nous nous limitons à des chaînes, compte-tenu de la généralité et du caractère macroscopique du modèle.
Une tâche est simplement définie par la compétence requise, la quantité de travail exprimé en durée, et le nombre minimal et maximal d’agents qui peuvent être affectés à cette tâche. Les compétences de chaque agent sont représentées par des couples (identifiant, niveau), pour modéliser le fait qu’un agent possède un certain niveau pour une compétence donnée.
La valeur produite par le processus est fonction du temps de réalisation, elle est maximale jusqu’à la « deadline », puis décroît linéairement jusqu’à la date d’expiration. On pourrait penser que la réduction du problème d’allocation des ressources de l’entreprise à la planification temporelle est une simplification grossière, mais, pour la même raison de caractère macroscopique, c’est déjà un problème d’allocation complexe (même difficile au sens de la théorie de la complexité) qui suffit faire apparaître les impacts des choix d’organisation. Nous allons supposer que les unités U font le meilleur choix d’allocation de ressource, ce qui est un peu optimiste, pour nous concentrer sur les problèmes de pilotage stratégiques et de transmission d’information.
La simulation du fonctionnement de l’entreprise consiste donc à générer une « charge de processus » et à simuler leurs exécutions en mesurant la valeur produite, qu’il convient de maximiser.
L’exécution d’un processus engendre et nécessite un certain nombre de flux d’information. Le modèle que je propose en distingue quatre :
les flux de transfert, lors du passage d’une tâche à une autre dans le déroulement d’un processus. Ce flux a pour origine les agents de l’unité qui termine la tâche et comme cible les agents de l’unité qui démarre la tâche suivante.
les flux de « feedback » qui permettent à l’unité de signaler l’état de l’avancement ou les incidents (cf. section suivante) à son management
inversement, les flux de « pilotage » ont pour origine le management H et pour cible l’unité U et servent à propager les ajustements en réaction aux évenements (qu’ils soient internes ou externes), de deux types : re-priorisation des tâches ou re-allocation de ressources.
des flux de synchronisation (par exemple, anticipation) entre l’unité qui exécute une tâche et les unites qui ont ou vont exécuter les taches précédentes ou ultérieure. Ce flux est proportionnel à la complexité et la « transversalité » de l’activité de l’entreprise. Il peut ne pas exister pour des processus extrêmement stables et matures, ou au contraire représenter une part importante du temps pour une entreprise jeune.
Les pourcentages de génération de type de flux par processus font partie des paramètres généraux (liés aux scénarios). Ils dépendent, par exemple, du type d’industrie (voire d’entreprise)
- Processus plus ou moins complexes,
- Processus plus ou moins transverses.
Il serait effectivement intéressant de savoir, pour une entreprise donnée, combine une heure d’activité génère d’heures ou minutes de transfert d’information et de synchronisation. Pour l’instant, nous allons traiter ces grandeurs comme des paramètres, mais leur détermination statistique n’est pas hors de portée d’une entreprise moderne.
En revanche, l’utilisation des canaux pour les différents types de flux représente ce que nous avons appelé la « tactique » de l’entreprise, et que nous allons optimiser à l’intérieur de la simulation. Plus précisément, la tactique est l’ensemble des paramètres qui représentent :
Le management du temps (allocation par catégorie, cf. plus haut) ,
L'utilisation des quatre types de canaux de communication pour les 4 types de flux. Dans notre première version, nous supposons que l’affectation est stable (indépendante de la priorité associée aux flux) et unique.
Le management des priorités : comment l’entreprise associe des priorités aux processus et aux tâches. Nous supposons que la priorité est une fonction de la valeur finale, du coût de production et de la probabilité de succès (sous forme d’espérance de résultat). En jouant sur les paramètres, on peut représenter des approches plus ou moins favorables à la prise de risque et des choix heuristiques (favoriser ce qui rapport et qui va bien, ou se concentrer sur ce qui a besoin d’être réparé, …).
3. Modélisation par événements discrets
Il ne nous reste plus qu’à décrire le fonctionnement dynamique du modèle, c’est-à-dire l’exécution des processus. Pour que ce modèle soit un peu réaliste, il faut donc introduire la notion d’aléas.
Il y a en premier lieu les aléas externes, qui concernent la valeur générée par un processus ou la date de sortie attendue. L’information est transmise au pilotage de l’entreprise, qui prend une décision d’adaptation ou de re-priorisation. L’adaptation consiste à essayer d’absorber l’aléa de façon horizontale (dans le temps) ou verticale (augmenter/diminuer les ressources). Le re-priorisation s’effectue simplement en re-calculant la formule de priorité qui tient compte de la valeur théorique et de la probabilité de terminer dans les délais.
Le deuxième type d’aléas est interne, et correspond à une augmentation/diminution de la quantité de travail requise par une tâche. Cet aléas est détecté « sur le terrain » (dans l’unité) et son traitement suit la même procédure.
Le modèle de simulation peut ensuite être décrit comment un « simple » ordonnanceur d’événements « discrets ». Nous n’aborderons pas ce sujet aujourd’hui, la seule dimension qui manque à cette description du modèle pour être complète est la notion de «temps de propagation » de l’information en fonction du canal choisi. Ce sujet est au cœur de la modélisation des flux d’information dans l’entreprise. Nous y reviendrons dans un prochain message.
Il est intéressant de récapituler l’ensemble des paramètres associés au modèle qui forment le scénario d’une expérimentation :
Loi de distribution de la charge de l’entreprise : granularité, déviation, etc.
Degré d’interdépendance dans l’exécution : quantité de flux de type pilotage et synchronisation par rapport au « temps productif »
Facteur de compétence: gains de productivité en fonction du niveau de compétence
Efficacité des canaux de communication. Cette efficacité se mesure dans trois dimension : quantité d’information transportée, latence et fidélité du transfert. C’est ce point qui mérite plus de discussion
Coût du travail (en % de la valeur produite)
Comme nous l’avons dit en introduction, nous n’allons pas essayer de qualifier ces paramètres, mais plutôt utiliser l’approche « jeux & apprentissage » pour explorer les espaces de scénarios.
4. Peut-il sortir quelque chose de tant d’inconnu ?
A cette étape, il est temps de marquer une pause. Un modèle où la quasi-majorité des paramètres sont inconnus a-t-il un sens et une utilité ? Sur le premier point, c’est au lecteur de se faire une idée … sur le second point, c’est précisément l’intérêt de l’approche présentée dans les messages précédents.
L’ensemble des paramètres décrit un espace, à la fois de types d’entreprises et de types de fonctionnement. En appliquant une simulation qui explore cet espace par instanciation « Monte-Carlo », nous pouvons trouver deux types de choses :
des propriétés structurelles qui sont vraies indépendamment des paramètres (par exemple, liée à la non-elasticité du temps),
des propriétés qui sont liées à des hypothèses sur les paramètres, et donc sur le type d’entreprise. Cela pourrait permettre de qualifier notre intuition que certaines « recettes de management » sont dépendantes du contexte de l’entreprise et de qualifier cette dépendance
A suivre …