dimanche, juillet 29, 2012

Sociocratie: La fin du management ?


Le billet de ce jour fait suite à de nombreuses suggestions que j’ai reçues de me pencher sur la sociocratie, en particulier suite à mon billet précédent sur l’effet d’échelle. Les articles sur la sociocratie font souvent référence à la cybernétique et aux « systèmes complexes », ce qui a également aiguisé ma curiosité. Il m’a fallu plusieurs mois pour lire une partie de l’abondante littérature et tisser les liens avec d’autres ouvrages ou systèmes de management.  Je suis arrivé à une conclusion, plutôt négative, que je vais vous livrer autour de trois convictions :
  • La sociocratie combine un ensemble de valeurs, diagnostics et pratiques qui correspondent bien aux enjeux du 21e siècle, mais c’est une approche contraignante et qui est en conflit sur plusieurs points avec les valeurs du « lean » ou même de l’entreprise 2.0 que je défends par ailleurs.
  • La sociocratie n’est pas une architecture organisationnelle scalable. En particulier, ce n’est pas la réponse que je cherche à la maîtrise des flux d’information lorsque la taille de l’entreprise croît (malgré, et contrairement à, la référence systémique).
  •  La sociocratie est très marquée d’un point de vue culturel ; elle est adaptée à un petit nombre de cultures et de situations, mais n’est pas universelle. Ce qui ne signifie pas que la sociocratie ne soit pas une excellente source d’inspiration en termes de pratiques et de valeurs. A chaque entreprise de trouver ce qui peut lui servir, mais je n’y vois pas le modèle de management de demain. L’avenir dira si je me trompe – pour l’instant, les exemples sont assez peu nombreux.

La sociocratie s’appuie sur un constat autour des défis des entreprises modernes que je partage. Je ne vais pas ici faire une présentation complète, faute de temps et de compétences, mais m’appuyer sur l’excellente présentation « Une méthode de gouvernance pour le 21e siècle » que l’on trouve sur le site www.sociocratie.net  (je la qualifie comme telle car c’est un résumé fidèle de documents plus longs, tels que l’article de Buck & Endenburg). Le point de départ est le constat de quatre bouleversements qui présentent autant de défis aux entreprises : la complexité, l’hétérogénéité (multiplicité des cultures et systèmes de valeurs), l’éducation (augmentation des compétences et de la culture qui pousse à remettre l’autorité en cause) et l’individualisme (importance croissante du « soi »). Je ne reviens pas sur le premier et le dernier point (cf. mon livre), je suis assez d’accord avec le troisième et un peu plus méfiant sur le second.  De ces quatre défis, on conclut la nécessité de mettre en œuvre : le management participatif, la mobilisation de l’intelligence collective, l’entreprise 2.0, etc. (cet « etc. » est suspect !). La sociocratie est présentée comme une méthode pour mettre ce changement culturel en pratique. Je ne vais surement pas m’inscrire en faux ni sur le besoin de changer la culture ni sur le fait de s’appuyer sur les trois axes que je viens de citer, mais je ne crois pas que ce soit « la » solution, ce n’est qu’une partie de la solution. Pour cette mise en œuvre, l’approche proposée par Gerard Endenburg (le père de la sociocratie dont il est question ici, même si le terme a été introduit par Auguste Comte) s’appuie sur quatre règles :
  1. L’utilisation d’équipes appelées « cercles » comme unité d’organisation. Le cercle est une structure semi-autonome qui prend les décisions correspondant avec son domaine d’activité. Le « cercle » couvre aussi bien l’équipe opérationnelle que l’équipe de directions. Chaque cercle définit sa vision et sa mission.
  2. L’outil de décision est la méthode du « consentement » qui consiste à obtenir un consensus assez fort, qualifié par l’épuisement des « objections valables ». On n’est pas dans le « consensus absolu », mais il faut que toutes les voix discordantes aient pu s’exprimer et que les objections « constructives et circonstanciées » aient été traitées. C’est plus fort que le « rough consensus » de l’IETF ou le « agree to disagree » des Anglo-Saxons, mais moins fort qu’un consensus Japonais.
  3. Le double lien est le point le plus original : il s’agit de doubler l’interpénétration des cercles au moyen d’un binôme – un membre élu par le cercle « inférieur »/ « opérationnel » (il subsiste une notion de hiérarchie) et un membre désigné (par sa fonction hiérarchique). Par exemple, dans un comité de direction, chaque sous-direction est représentée par son manager (hiérarchie) et par un membre élu de la sous-direction.
  4. Les fonctions et responsabilités sont affectées au moyen d’un « vote sans candidats », dans lequel chacun « nomine » son candidat favori, puis le cercle décide par consentement et/ou vote.

Je vais maintenant me livrer à une analyse critique personnelle, mais il faut souligner qu’il s’agit d’une méthode cohérente et remarquable (il y a quelques exemples notables de succès, dont celui de l’entreprise de Gerard Endenburg). C’est donc une source intéressante d’inspiration, en particulier pour mettre en œuvre des démarches 2.0 de mobilisation de l’intelligence collective (cf. présentation de Danone, en particulier dans les modalités d’animation). L’importance de l’autonomie des équipes, de reconnaitre la voix de chacun, de briser les strates hiérarchiques dans l’organisation des responsabilités et des comités, de chercher l’appropriation (et une certaine forme de consensus jusqu’à un certain point) ...  toutes ces idées sont pertinentes et reconnues comme telles dans l’ensemble de la littérature sur le management.

En revanche, la structure de la double intersection des cercles est lourde et elle ne me semble ni scalable, ni efficace pour des grandes entreprises. Cette double représentation crée des comités et lieux de décision avec un grand nombre de personne, ce qui n’est pas judicieux par rapport à la volonté d’agilité (face à la complexité). Ce sujet de l’importance du (faible) nombre de participants en réunion est traité dans mes deux derniers livres, mais je vous recommande également « Size Matters : How Big Should a Military Design Team Be ? » de M. L. Hammerstrom, qui est riche en références et données chiffrées.  La taille idéale d’un cercle ou d’une équipe reste 6 à 8, ce qui se prête mal à la double représentation (hormis pour les cercles « feuilles » de l’arbre hiérarchique). Le « double cerclage » des organisations est contraire à la modularité des organisations telle que la décrivait Herbert Simon (lire « Modularity, Flexibility, and Knowledge Management in Product and Organization Design » : l’efficacité vient bien de la capacité de self-organisation et composition d’une organisation modulaire avec des unités autonomes, mais il faut favoriser un couplage faible et une coordination légère et agile, ce que le double cerclage ne réalise pas). Autrement dit, l’organisation sociocratique est lourde, à la fois dans le nombre de personnes impliquées et dans les processus de décision qu’elle doit suivre, ce qui la distingue nettement de l’entreprise « lean » façon Toyota ou même de l’entreprise « agile » qui est la cible de l’entreprise 2.0. Mon intuition est que la culture « entreprise 2.0 » est une autre façon, plus moderne, de répondre aux problèmes soulevés par Gerard Endenburg.

Plus précisément, en lisant les écrits de Gerard Endenburg, on comprend qu’il s’agit d’un enjeu de culture d’entreprise, mais que le modèle proposé n’est en rien universel. Au contraire, il me semble fortement « typé » dans trois dimensions :
  • D’un point de vue géographique/culturel, il est profondément adapté à la culture néerlandaise. Il convient de lire « la logique de l’honneur» de Philippe d’Iribarne pour comprendre comment chaque culture se comporte différemment par rapport à l’autorité du chef et à l’organisation de l’autorité dans l’entreprise. Ce n’est pas un hasard si une approche sociocratique fondée sur le consensus émerge aux Pays-Bas. Tout au contraire, comme le souligne également Pierre Servant dans « Le complexe de l’autruche », la culture française place le chef et l’engagement pour le chef en position centrale pour susciter l’action. Cette remarque n’est en rien une excuse quant au « syndrome du petit chef », qui est une triste réalité dans de nombreuses entreprises et un des arguments mis en avant par les partisans de la sociocratie. Je pense également aux travaux de Gert Hofstede (cf. le « Power Distance Index » que j’ai déjà cité plusieurs fois). L’approche sociocratique est à la fois plus difficile à installer et moins pertinente dans des pays dont le PDI est elevé (68 pour la France, contre 38 aux Pays-Bas ou 40 aux USA).
  • Il  est typé "organisationnellement" et correspond à une activité industrielle avec une forte hiérarchie (que la sociocratie permet de faire évoluer). Autrement dit, la sociocratie est une réponse à des problèmes que toutes les organisations ne rencontrent pas forcément. En particulier, dans le monde du service ou du logiciel, il y a d’autres façons de décloisonner les  strates hiérarchiques et de s’assurer que la « voie du terrain » est entendue.
  • On peut ajouter qu’il est typé « temporellement » puisqu’on reconnait la problématique des années 70-80. On retrouve des principes d’ « autogestion » qui sont différents de l’auto-organisation du 21e siècle telle que décrite par Clay Shirky.


De fait, non seulement les exemples sont peu nombreux, mais certains ne sont que faiblement alignés sur l’ensemble des pratiques sociocratiques. Tout le monde parle de Semco, à juste titre … mais si les ambitions et les valeurs de Ricardo Semler sont très semblables à celles d’Endenburg, l’organisation pratique de Semco est surtout centrée sur l’aplatissement de la hiérarchie, la participation/responsabilisation de tous et l’autonomie laissée au « terrain ». Les principes et valeurs de Semco sont remarquablement compatibles avec le « Toyota Way ».

Ce qui précède est une tentative d’analyse rationnelle, qui ne capture pas un ressenti plus instinctif, celui que la sociocratie ne recoupe pas mon expérience personnelle de ce qui rend une entreprise efficace. Au risque de caricaturer ma pensée et d’être quelque peu provocant, voici trois constatations qui s’imposent et ne sont pas de nature « sociocratiques » :
  • Il existe une très grande variation de compétences, à tous les niveaux, et l’entreprise doit reconnaitre et s’appuyer sur les contributeurs les plus talentueux (ce qui suppose de leur donner l’autonomie de pouvoir le faire). Cette affirmation traduit mon appartenance historique au monde du logiciel (cf. Tom de Marco), mais on retrouve cette conviction de l’unicité des talents chez la plupart des grands dirigeants américains (je pense évidemment à la biographie de Steve Jobs).
  • Il y a des individus coopératifs et des individus non-coopératifs, et l’entreprise doit apprendre à reconnaître/valoriser les premiers et mettre les autres dans l’incapacité de nuire. La pensée unique « il n’y a que des braves gens dans des mauvaises organisations » ne correspond pas à mon expérience personnelle.
  • Une entreprise, en particulier en France pour des raisons qui sont bien expliquées par Pierre Servent ou Philippe d’Iribarne, a besoin de « chefs ». Le manager joue un rôle clé dans la communication, c’est un pivot dans les flux de transmission d’information. C’est précisément un des enseignements systémiques (cf. mes messages anciens sur l’importance d’un chef de projet qui se déplace plutôt que de simplement convoquer en réunion). Le manager joue un rôle symbolique (cf. Bolman) parce qu’il incarne un objectif, un projet, une fonction. La nature humaine est ainsi faite que nous avons plus de faciliter à suivre une femme un homme, plutôt qu’un comité, une idée ou un document. On retrouve l’importance du charisme (savoir susciter l’adhésion et le rassemblement), nuancée par cet aspect « symbolique » (la fonction attribue un « rôle symbolique » au manager indépendamment de son charisme). Mon expérience en tant que DSI est que c’est la fonction qui crée le talent et non pas l’inverse. L’organisation, pour bien fonctionner, a besoin d’incarner certaines missions, en particulier celles qui nécessitent de la mémoire et de la vision, pour garantir la bonne exécution des décisions à longue échelle de durée (c’est précisément une remarque systémique).

Le titre du billet est également un clin d’œil par rapport au thème « la fin du management  ». Sans rentrer dans le détail du sujet, qui mériterait au moins un billet à lui tout seul, ce que je viens d’écrire me classe clairement dans les sceptiques. Je ne crois pas du tout à la fin du management : au contraire, l’augmentation de la complexité, qui le thème commun à tous mes livres et à ce blog, ne peut pas être traitée sans un recours au management. Ce n’est pas le même management que celui du 20e siècle, mais nous avons toujours besoins de managers.   L’entreprise a besoin de leaders, qui incarnent une vision, un projet ou un produit, pour les raisons que je viens d’évoquer (capacité de susciter l’adhésion et l’effort) et parce qu’il faut mobiliser et faire circuler l’énergie pour relever les défis des entreprises. L’entreprise a également besoin d’un système de management qui détecte, reconnait et donne l’autonomie nécessaire aux contributeurs clés (la traduction de « empower » me fait ici défaut).  Pour terminer, elle a besoin de mettre en place l’orchestration du travail collaboratif et de favoriser une culture de coopération. C’est précisément un des rôles du management du 21e siècle, je vous renvoie au chapitre 9 de mon livre « Processus et Entreprise 2.0 ». Si l’on reprend la liste des rôles du management dans une vision classique, telle qu’articulée par Fayol : prévoir, organiser, commander, coordonner, contrôler, il y a bien un changement à opérer, mais les fondamentaux demeurent. Il y a moins de prévision (complexité), moins d’organisation (auto-organisation), nettement moins de commandement (autonomie => passer de « control & command » à « recognition & response ») et de contrôle, mais toujours autant de coordination, voire davantage. Les nouveaux rôles auxquels je fais allusion dans mon livre (éditeur, mentor, animateur) sur surajoutent aux rôles anciens qui se transforment. 

16 commentaires:

  1. Pour demain, non. Mais pour après-demain, pourquoi pas... En fait, le Fréry nous donnerait quelques pistes en creux : pourquoi sa séduisante construction intellectuelle (issue d'une certaine intuition, peut-on penser) n'est-elle pas envisageable au moins dans l'immédiat ?

    Déjà, d'un point de vue technique, on voit bien qu'il pense à des catégories sociaux-professionnelles supérieures — on ne va pas remplacer le droit du travail par celui du commerce auprès de secrétaires ou autres agents de bureau(cratie). Ça limite déjà beaucoup la portée, en attendant de robotiser tout ça (au programme de 2153, vue la vitesse d'évolution — ça va nous poser quelques problèmes pour vérifier, toujours le problème avec la science fiction !).

    Ensuite, il occulte effectivement le français (au moins lui). J'ai voulu croire, de mon côté, non à la sociocratie mais à la coopérative (dont notre actuel ministre du redressement productif — si ça ce n'est pas un titre soviétique ! — était le promoteur lors de sa campagne). La démocratie à l'échelle de l'entreprise. Mais c'est oublier la grande invention française, au rôle primordial, le préfet — qui fait tenir notre démocratie locale. Et c'est ne pas voir la reféodalisation du monde en cours (au-delà même de la technocratie, d'ailleurs — les JO en sont un parfait exemple, ces temps-ci, à se créer des lois) : la démocratie, ce n'est pas vraiment encore au point au bout de quelques petits siècles.

    Tout de suite, ça donne l'échelle pour la transformation de l'entreprise... (mais bon, rien n'interdit de tenter dans sa cité, après tout — Rome ne s'est pas construite en un jour, heu, mauvais exemple :) )

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  2. Bravo pour le billet, Yves, brillant comme d'habitude.
    J'avais déjà lu pas mal de ta bibliographie (notamment d'Iribarne est un must absolu pour relativiser les préconisations managériales par les cultures locales), mais je ne peux m'empêcher de citer un bouquin que je relis en ce moment, qui est "The wisdom of crowds". Un de mes voisins est sur une start-up liée a ce sujet, et j'ai ainsi repris contact avec Emile Servan-Schreiber qui a passe deux ans chez ILOG avant d'aller créer NewsFuture et d'autres aventures, et qui est un des experts de l'intelligence collective, et m'a fortement encourage à relire le bouquin.
    Deux idées essentielles que tu ne cites pas dans ta réflexion sur la sociocratie: d'une part, la dynamique décisionnelle des petits groupes qui peut amener à de nombreux errements comme la polarisation etc... et ensuite, l'idée centrale que les groupes peuvent être plus intelligents collectivement que le plus intelligent de leurs membres.
    Tout ceci est corrélé avec l'idée que le meilleur indicateur du QI d'un groupe est le pourcentage de femmes dans le groupe, parce qu'elles ont davantage tendance à écouter les autres (l'épuisement des "objections valables"?) qu'à chercher à imposer leur "vision".
    De l'intérieur d'IBM, je redécouvre la puissance de l'enthousiasme. Réussir à attirer un petit groupe de collaborateurs dans un cercle d'enthousiasme dans lequel ils se sentent tous écoutés, fut-ce juste au niveau local, permet d'obtenir des miracles. Par contre je partage ton pessimisme sur la difficulté d'intégrer des centaines de tels groupes dans un ensemble cohérent de 450,000 personnes... On aurait besoin d'un nouveau Mandelbrot!

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  3. @ Gilles : il y a de nombreuses expériences passionnantes de type Semco qui sont assez proches d'une inspiration sociocratique. En France, l'exemple de Frédéric Lippi est très intéressant (par exemple: http://www.presaje.com/zwo_info/modules/compterendududebatrevolutionnumeriquemodedemploidu29mars2010organiseenpartenariataveclesamisdelecoledeparis.2/fichier_a_telecharger). Bref, la démocratie à l'échelle locale est un excellent ingrédient de changement culturel, du moment qu'on n'en fait pas un absolu.

    @ Pierre: 100% d'accord (je cite souvent Surowiecki - http://organisationarchitecture.blogspot.fr/2010/02/connected-here-comes-everybody-and.html - peut-être est-il temps de le relire) ... je n'ai pas eu le temps (le billet est déjà assez long) de développer ce qu'on peut dire (en plus/moins) sur le management de l'intelligence collective. Je suis particulièrement d'accord avec ta dernière remarque sur l'enthousiasme.

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  4. Pour compléter mon commentaire, j'ai lu du Carbonnier ces temps-ci (je suis contraint au polythéisme de par mes différentes activités...) et il rappelait à un moment que Weber avait établi l'équation capitalisme/bureaucratie. Et en fait, quand on lit le Ferry qui rêve quelque peu d'en revenir à l'échoppe pré-révolution industrielle (un peu comme j'ai ma propre échoppe — que l'on qualifie "d'indépendant" : je n'ai toujours pas bien saisi si c'est un compliment ou non, et je préfère toujours "chef d'entreprise" ; mon expert-comptable me soutiendra, je pense), eh bein tout simplement, il est déjà dans du post-capitalisme ! (tiens, ça me rappelle la fin d'un Michael Moore, où après avoir visité une coopérative, il suggérait de remplacer le capitalisme par la démocratie :) ). Sweet dream...


    (Aaah, mais "changement culturel", je croyais qu'on était conservateur par ici ! ;) )

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  5. Le point de vue que vous adoptez occulte une part importante du dispositif sociocratique, celui de la mesure, de l'évaluation des actions. C'est en ce sens qu'il peut se réclamer de sa parenté avec la cybernétique. Les contraintes qui pèsent sur l'entreprise ne sont plus seulement concurrentielles et il me semble souhaitable que le management soit en mesure de prendre en compte l'ensemble des réalités. La sociocratie est plus apte à intégrer l'ensemble des contraintes dans ses choix du fait du statut très élevé qu'occupe la mesure et qui justifie le double lien. Est-ce que des dérapages de très grands groupes (pharmacie, agroalimentaires, financiers...) ne seraient pas contenus si la mesure, la prise en compte plus fidèle des réalités reposaient sur une base plus large et instituée? Au lieu de quoi, ce sont les délires de quelques mégalomanes agissant dans l'ombre de cabinets fermés qui prennent le dessus, se prenant pour des experts en management (ce qui renvoie au titre de votre article).
    En ce qui concerne la culture française de préférence pour le chef charismatique, l'homme providentiel, on peut noter que le niveau de défiance vis à vis des élites est parmi les plus élevés en France, les pays nordiques étant les mieux placés. L'élection du président F. Hollande est un signe de plus que notre préférence pour le délire (les rêves qu'on ne pourra pas réaliser) serait en train de s'estomper.
    Est-il anodin que la modeste économiste Esther Duflo qui a fait de l'évaluation des politiques publiques son cheval de bataille économétrique ait été autant primée, qu'elle ait eu une chaire au collège de France?
    En dernier, je voudrais souligner le lien qui existe entre éducation et prise en compte des réalités. L'éducation consiste en particulier à délivrer des permis d'autonomie en fonction de la capacité du jeune à intégrer correctement les contraintes. En ce sens, la sociocratie apporte un plus éducatif dans l'entreprise où le délire infantile (les chefs providentiels, le storytelling...) l'emporte trop souvent.

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  6. Je ne peux qu'être d'accord avec l'importance de la mesure, et le fait de remplacer des opinions par des faits. C'est un message large, présent dans le lean (cf. Liker ou Eric Ries), dans le TQM et dans bien d'autres approches. Je comprends bien que le dispositif sociocratique est fortement compatible avec ce type d'approche. Plus généralement, je ne cherchais pas à faire un "rejet en bloc" de la sociocratie, qui reprend beaucoup de choses auxquelles je crois (cf. mon bouquin) et apporte des idées originales et intéressantes.
    Mais la mesure, l'amélioration continue, les démarches qualité, le bon sens, ... ne suffisent pas. Je ne caractériserai pas le besoin comme celui d'un chef, providentiel ou non, ou d'une élite. Il me semble que l'intensité de la compétition exige une forme d'organisation plus compacte, plus rapide et plus efficace, voir plus "guerrière", donc moins démocratique.
    Je suis très mal à l'aise avec la "parenté avec la cybernétique", mais je n'ai pas le temps de développer. Ma propre culture systémique me conduit à des conclusions inverses que celles d'Edenburg. Cela sera peut-etre le sujet d'un prochain billet :)

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    1. "Il me semble que l'intensité de la compétition exige une forme d'organisation plus compacte, plus rapide et plus efficace, voir plus "guerrière", donc moins démocratique."
      Vous faites une confusion classique à propos de l'organisation sociocratique en croyant qu'elle serait plus lente à prendre des décisions que dans une structure hiérarchique classique. La prise en compte de la réalité la plus large évite bien souvent la prise de décisions hâtives. Pour aller plus loin, il ne vous reste qu'à juger sur pièce et aller vous y frotter d'un peu plus près.

      J'attends votre prochain billet "cybernétique" :-)

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    2. Oui c'est exactement cela: je pense que la nature du double lien amène à une augmentation des acteurs dans les réunions de décisions, ce qui ralentit cette prise de décision. Je ne suis pas la seul à faire cette "confusion" :) Il y a beaucoup d'évidences expérimentales et de modèles (dont le mien - SIFOA) qui font penser que le nombre de participants ralentit la prise de décision.

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    3. On ne peut pas aller beaucoup plus loin par une simple discussion, il faut aller voir sur le terrain et confronter vos idées.

      Toutefois, je vous rappelle que la première motivation d'Endenburg était de se débarrasser de toutes les tâches d'arbitrage qui venaient parasiter son travail de direction. La seconde remarque porte sur la mise en pratique du principe de subsidiarité qui évite que la direction se disperse sur des sujets mineurs, d'où gain de temps pour décider ce qui est de son ressort la aussi.

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  7. Merci pour cet article.

    Pour ma part j'ai deux questions:

    J'officie dans un service d'environ 200 collaborateurs, principalement des développeurs dans le domaine de l'embarqué et du multimédia.
    Afin d'accroitre la productivité, de réduire le temps de livraison et d'être plus réactif au quotidien face aux changements de cap qui peuvent intervenir, une approche type AGILE est en court d'adoption. Le mot d'ordre est 'Lean Development'.
    Comme il s'agit de méthodes AGILE, les équipes s'organisent en groupes de travail autonomes et appliquent le modèle Scrum.
    Je ne vous apprendrais rien en vous disant que dans ce mode de fonctionnement les équipes sont 'encadré' par un Product Owner et un Scrum Master. Le Product Owner servant d'interface avec 'le reste du monde' et le Scrum Master, quant à lui, à plutôt un rôle d'animateur.
    Si l'on regarde d'un peu plus prêt cette façon de travailler, on voit bien que les décisions sont prises de manière collégiale lorsqu'il s'agit de faire des choix et que finalement chacun à son mot à dire.
    Alors ma première question est la suivante: ne pensez vous pas qu'il s'agisse déjà d'une approche sociocratique ?

    Ma deuxième question concerne la fameuse "Génération Y". Il semblerait qu'à l'horizon 2015 elle représente 40% des actifs en France (d'après un rapport de l'EU sur la jeunesse datant de 2009).
    Parmi les principales propriétés qui caractérisent cette génération, on trouve une remise en cause de la hiérarchie et donc de l'autorité. Ce qui pose visiblement un problème de management.
    D'ailleurs, si l'on fait une recherche sur un site de vente en ligne de livres, on découvre que beaucoup traitent de l'intégration de cette génération en entreprise et souvent des problèmes de management que cela représente.
    Alors ma question est la suivante: ne pensez vous pas qu'un nivellement des couches hiérarchiques et un modèle plus démocratique comme le propose la sociocratie ne devienne une norme de fait à cause de ce type de problématique ?

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    1. @Philippe Béchet sur la génération Y
      "Alors ma question est la suivante: ne pensez vous pas qu'un nivellement des couches hiérarchiques et un modèle plus démocratique comme le propose la sociocratie ne devienne une norme de fait à cause de ce type de problématique"
      Je suis d'accord avec vous, à tel point que j'ai récemment fait une note dans mon entreprise sur le sujet pointant l'excellente convergence de valeurs entre sociocratie et génération Y.

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    2. Sur la première question : je fais une différences entre les "principes sociocratiques" que l'on retrouve dans les méthodes agiles, dans le lean façon Toyota, .. etc. et l'organisation sociocratique avec ses rituels (double chainage / élection / mode de décision). Je suis un ardent défenseurs des premier (cf ce blog ou mon livre), et oui, vous avez bien sur raison, il y a beaucoup de "sociocratie" dans SCRUM :) La critique exprimée dans ce billet est sur l'organisation - sur le détail des pratiques.
      Sur la seconde question, oui bien sur, c'est le sujet du chapitre 6 de mon deuxième livre (pp. 127-128) ! Voir également le 3e chapitre de "Processus & Entreprise 2.0". Il y a une forte convergence, que souligne Michel Martin, entre les valeurs de la génération Y et les principes/valeurs de la sociocratie. Les entreprises doivent évoluer vers une dé-hierarchisation et une redistribution du pouvoir de décision (plus d'autonomie). Elles doivent absolument s'appuyer sur des équipes, au sein desquelles la voix de chacun est reconnue. En revanche, je ne crois pas que "l'organisation sociocratique" deviennent une norme de fait à cause de l'intégration de la génération Y.

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  8. "La critique exprimée dans ce billet est sur l'organisation - sur le détail des pratiques."
    Etant animateur de croissance et coach utilisant la sociocratie comme outil, forme de pédagogie, méthode de management, moyen de coaching, comme philosophie et comme porteuse de nouveaux paradigmes, je suis interpellé par vos propos.

    La sociocratie peut être analysée de différentes manières. Elle donne des résultats surprenants et permet de "récupérer" des situations de crise catastrophiques. Elle est centrée sur la communication, met les projets au centre des préoccupations des gens, efface au fur et à mesure les ego et propulse l'humain et ses talents à l'endroit où nous en avons plus besoin.

    Il est évident, comme dans toute technique ou de la même manière lorsque nous apprenons à conduire qu'il y a lieu d'apprendre les règles du code de la route. De ce fait, nous pouvons nous poser la question de l'utilité du feu orange ou du panneau "attention chute de pierres".

    L'ensemble du cadre de départ permet un ré-apprentissage (quand il ne s'agit pas d'un apprentissage tout court) des principes même de la communication, de la confiance, du chemin pour être dans un développement personnel. Ce cadre est critiquable, j'en conviens, mais nécessaire pour faire découvrir aux personnes qu'il y a d'autres manière de fonctionner.

    La sociocratie ne s'impose pas ! Ce n'est pas comme d'autres techniques... Elle permet à l'organisation de trouver le modèle de fonctionnement, la méthode de management qui lui correspond le mieux.

    Les décisions en sociocratie se concentrent principalement sur les politiques à suivre et les directions à prendre et non pas sur les décisions d'ordre pratique ou de mise en oeuvre. Les personnes savent ce qu'elles doivent faire puisqu'elles connaissent la direction dans laquelle il est nécessaire d'aller pour atteindre l'objectif. Pour cela, elle responsabilise.

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    1. "Lourde". Eh oui ! D'un certain angle, nous pouvons penser que la sociocratie est lourde mais faut-il encore savoir par rapport à quoi. Si prendre son temps pour en gagner 2 fois plus par la suite car il n'y a plus de frein à la mise en place dans la mise en oeuvre est un facteur de lourdeur. Pas de problème pour moi. C'est une question de point de vue.

      Ce que je constate cependant, c'est que l'absentéisme diminue, les conflits disparaissent, les bruits de couloir s'effacent, les clans se rallient pour ne former qu'une seule et même équipe, que la productivité augmente considérablement, que les capacités d'autodiagnotic sont multipliées par 10, que les évaluations sont efficaces, les auto-évaluation sont énergisantes et boostantes, que les formations sont adéquates, que les personnes deviennent beaucoup plus matures, autonomes, responsables, que les leader ont beaucoup plus de facilités dans leur travail, qu'ils délèguent beaucoup plus facilement, qu'ils peuvent se centrer sur du plus long terme, qu'il sont beaucoup moins pollués par les problèmes relationnels de leur équipe, ... et je pourrais continuer longtemps.

      La sociocratie permet à une organisation de trouver sa voie et adoptant (ou non) son style de management. C'est l'ensemble de l'organisation qui trouve le chemin. Le consultant en sociocratie que je suis ne fait qu'animer et proposer. Les personnes de l'organisation apprennent à devenir maître de leur destin ce qui confère une pérennité à l'organisation et développe le sentiment d'appartenance.

      Je peux comprendre que chacun prêche pour sa chapelle et j'apprécie beaucoup le doigté avec lequel la critique + & - est amenée, mais si c'est pas LA méthode, c'est une méthode qui fonctionne très bien et dont les outils peuvent aussi être utilisés de manière distincte.
      Enfin, contrairement à beaucoup d'autres méthodologie, la sociocratie ne détruit rien et peut être amenée dans toute organisation.

      Le frein principal de la méthode : La grande difficulté des dirigeants de changer de paradigme sur la gestion du pouvoir (partage décisionnel, ego, pouvoir, influence...). D'où la grande difficulté à "vendre" le concept car le sacrifice le plus grand se passe à leur niveau.

      Je suis sur le terrain, tous les jours, avec cette méthodologie. Elle est une source d'apprentissage pour les personnes que je rencontre et qui ont le courage d'essayer autre chose car les anciennes méthodes ont prouvé leurs limites. Mais en plus, par effet miroir, elle me fait également progresser. Je suis coaché à titre personnel par ce qui se passe dans l'animation.

      Enfin, toute méthode venant enrichir le processus est toujours la bienvenue et le vote démocratique n'est pas toujours absent ou encore certains principes du taylorisme. Ouverture totale tant que les valeurs, la mission et la vision sont respectées.

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    2. Guy,
      Merci beaucoup pour ce témoignage qui vient confirmer complètement le peu de pratique que j'ai de la sociocratie, c'est vraiment très encourageant.
      Pour qualifier plus finement le mode de décision par consentement, je le qualifierais de consentement subsidiaire. C'est à dire qu'on va du consensus pour le noyau de valeurs (la constitution, la charte), jusqu'à une décision individuelle en passant par un consentement classique et un consentement simple (un acteur annonce simplement ce qu'il va faire sur une page accessible au groupe dans un délai suffisant pour que les autres membres du groupe se manifestent s'ils ont des objections, c'est très efficace pour entretenir l'initiative).

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  9. http://vuludi.blogspot.fr/2014/06/sociocratie-kezako.html

    bjr, je vous ai créé un lien sur mon blog ci dessus.

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