samedi, juin 07, 2008

Réflexion sur le coupage hiérarchique/comités

En réfléchissant sur mon sujet favori des « réunions qui fonctionnent mal », je suis tombé sur une constatation évidente, qui représente un couplage entre les deux canaux de communication que sont les comités et la hiérarchie.

Le point de départ est le problème classique de la « difficile délégation », qui fait qu'on retrouve souvent une « ligne hiérarchique » présente autour de la table : l'interlocuteur désigné, son chef, voire le chef de son chef, etc. Remarquons que cela fonctionne également dans l'autre sens : le directeur concerné, son N-1 qui s'occupe plus précisément du domaine, son N-2 qui connaît vraiment le sujet, etc.

En théorie, seule une réunion d'information (celle où l'on vient pour s'asseoir, écouter et apprendre) justifie la présence de lignes hiérarchiques (en effet, il n'est pas interdit aux chefs d'apprendre) :

  • Quand il s'agit d'une réunion de partage/échange/brainstorming, le bon participant est celui qui sait, la ligne hiérarchique doit être informée ensuite, en utilisant les outils de ce canal (point, rencontre fortuite, mail, etc.).
  • Quand il s'agit d'une réunion de décision, le bon participant est celui qui a le pouvoir de décision J Cette tautologie implique que la délégation fonctionne : Si A délègue à B, B doit être le seul présent à la réunion (pour la simplicité et la « tranquillité mentale » des autres participants, je vais y revenir). En ce qui concerne les N-1 ou N-2 qui sont experts, cette information doit être assimilée à l'avance, en préparation de la réunion. C'est un effort de la part de celui qui vient (le « décisionnaire »), mais un vrai facteur d'efficacité pour prendre effectivement une décision.

Dans ces deux cas, on a (on devrait avoir) un « tissage » des canaux « hiérarchiques » et « comités » (M->H et H->M respectivement, en prenant les notations issues de SIFOA).

Ce n'est malheureusement pas ce qui se produit, pourquoi ? On observe que si le manager n'a pas le temps de préparer, il amène avec lui ses N-1/N-2/etc. en réunion (ce que je vais appeler le « carry-on » phenomenon). La réunion se met à jouer un rôle multiple : il existe une « réunion dans la réunion » qui sert à synchroniser l'équipe d'une direction donnée qui participe à cette réunion. Le flux d'information qui aurait du avoir lieu avant ou après se trouve inclus dans la réunion.

On observe facilement ce que le modèle prédit : l'apparition du carry-on est fortement corrélée à la pression temporelle (la difficulté de trouver le temps de préparer la dite réunion correctement). Plus la pression augmente, plus les hiérarchies sont aplaties, plus le nombre de réunions s'accroit, plus l'apparition d' « équipes hiérarchiques » est fréquente.

Là où les choses se corsent, c'est que l'équipe en question prend le prétexte de l'efficacité pour justifier sa pratique. Prenons le cas simple d'un doublon. Le décisionnaire vient avec son collaborateur qui connaît mieux le sujet que lui d'un point de vue opérationnel. De son point de vue, c'est très efficace :

  • Il remplace deux réunions (une à deux personne – le point de préparation - et une à X personne – la réunion de décision) par une seule à X + 1 personne.
  • Les autres participants ne lui semble pas vraiment perdants, puisque « leur seule perte » est de passer de X à X+1 participant (soit une perte de temps de parole de 1/X^2).

L'erreur de raisonnement vient du fait que si tous les participants appliquent le même raisonnement (ce qui est souvent le cas !) on passe à une réunion de taille 2X, ce qui dégrade très fortement la capacité à décider (cf. le post précédent). Le paradoxe vient précisément du fait que, alors qu'il y a un consensus sur l'impossibilité de tenir une réunion de décision (réelle, avec appropriation de la décision, ce que dont je discute dans mon livre), il est difficile de percevoir la dégradation marginale. C'est une sorte de paradoxe du tas de sable (Si N grains forment un tas, alors N-1 sont encore un tas) à l'envers. Notons qu'il n'existe pas, bien sûr, de formule magique qui permettrait de connaître l'efficacité d'une réunion en fonction du nombre de participant. Chaque culture, chaque entreprise, chaque situation est différente, ce qui facilite précisément la pratique du carry-on.

Nous sommes également en pleine « tragédie des commons », c'est-à-dire une situation dans laquelle l'optimum de chaque individu est de surconsommer un bien commun au détriment de l'optimum global. Ici le bien commun est difficile à saisir : c'est une fenêtre de temps de qualité propice à une prise de décision (et de fait, la participation à une réunion importante est un trophée, un bien symbolique). Une règle de bonne gestion de la délégation qui demande à chaque département/direction/équipe de ne se faire représenter que par une personne lors d'une réunion transverse n'a pas de valeur pour chaque « tribu » mais seulement pour l'entreprise dans son ensemble.

C'est pour cela que nous tombons, une fois de plus, sur un sujet de régulation collective. L'entreprise doit introduire des règles pour favoriser des bonnes pratiques de délégation, comme un acte de protection d'un bien collectif. Ce point est d'autant plus important que l'entreprise est grande et complexe. Dans ce cas, pour bien fonctionner, l'organisation globale a besoin que chacune de ses parties accomplisse un travail de « compression » de l'information au niveau de ses interfaces. Il ne s'agit pas simplement de faire une synthèse, de simplifier (même si cet aspect est également important), il d'agit également de déléguer, c'est-à-dire de réduire le nombre de partie prenantes. Cela demande bien entendu un travail de préparation, puisqu'il faut réduire le nombre d'intervenants nécessaire pour représenter une direction/sous-partie/etc. C'est une « compression » en tant qu'opération appliqué à un ensemble, celui des « interlocuteurs ». Comme toute compression, elle produit de la chaleur et requiert du travail. La valeur de ce travail ne se voit que globalement, parce que la circulation globale de l'information, de la signalisation et la prise de décision ne fonctionnerait pas globalement aussi bien sans cet effort.

L'analyse des flux d'information et du temps nécessaire à leur transport permet de détecter de nombreuses autres situations paradoxales et intéressantes. Par exemple, un bon chef de projet doit produire un effort semblable de compression et aller voir chacun des interlocuteurs séparément, au lieu de « convoquer » des réunions de façon trop fréquente. C'est une loi empirique : un bon chef de projet use ses chaussures, et évite les réunions où tout le monde s'ennuie en attendant son tour pour parler. De son point de vue, 10 point individuels de 10 minutes et une réunion d'une heure avec les 10 participants sont plus longs et fatigants qu'une « belle réunion » de 2 heures avec les même dix participants, mais l'intérêt global de l'entreprise est clairement en faveur de la première solution. Voici donc un sujet à suivre …





3 commentaires:

  1. Dans cette analyse de temps de communication versus temps/capacité de décision, un paramètre à prendre en compte est également la capacité de diffusion de l'information (quelle décision a été prise, quel est le contexte général du sujet...)
    Dans des entreprises où la tradition orale reste le vecteur principal de diffusion de l'information, la participation à de (trop) nombreux comités devient nécessaire pour y avoir accès.
    Ce complément intervient (d'une façon à estimer) dans les calculs de temps de parole)

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  2. Dans cette analyse de temps de communication versus temps/capacité de décision, un paramètre à prendre en compte est également la capacité de diffusion de l'information (quelle décision a été prise, quel est le contexte général du sujet...)
    Dans des entreprises où la tradition orale reste le vecteur principal de diffusion de l'information, la participation à de (trop) nombreux comités devient nécessaire pour y avoir accès.
    Ce complément intervient (d'une façon à estimer) dans les calculs de temps de parole)

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  3. Dans cette analyse de temps de communication versus temps/capacité de décision, un paramètre à prendre en compte est également la capacité de diffusion de l'information (quelle décision a été prise, quel est le contexte général du sujet...)
    Dans des entreprises où la tradition orale reste le vecteur principal de diffusion de l'information, la participation à de (trop) nombreux comités devient nécessaire pour y avoir accès.
    Ce complément intervient (d'une façon à estimer) dans les calculs de temps de parole)

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