J’ai profité de cette période de
repos entre deux jobs pour retourner à la conférence CASPI à laquelle j’avais déjà assisté l’an dernier. J’ai participé à une session
fort intéressante sur la mise en œuvre des préconisations du Grenelle de l’environnement. Apres Grenelle I et Grenelle II, l’objectif des débats était de définir les contours
d’un Grenelle III, en appliquant les méthodes de la systémique pour promouvoir un pack législatif plus efficace.
L’esprit de Jeremy Rifkin et de son
livre « La troisième révolution industrielle » planait sur cette conférence. J’ai rencontré Mick
Tesys, un ancien élève de Rifkin, qui est maintenant un conseiller de Cécile Duflot. L’ancienne
ministre prépare depuis quelques mois sa
sortie du gouvernement. Mick a été formé au Washington Center for Complexity and Public
Policy, dont la devise est “Strategic
Thinking in a Complex World” (avec la declaration suivante que les lecteurs
de ce blog apprécieront: “the work of the Center is based on the
premise that insights from complex systems research—complexity science—provide
a powerful new theory-driven framework for developing insight about the present
and foresight about the future”.)
Mick est en train de développer un
pack législatif pour un Grenelle III qui s’appuie sur l’analyse systémique des
limites des Grenelles précédents. Son travail s’inscrit dans un programme
européen 40/40/40 qui est une proposition pour aller beaucoup plus loin que le plan 20/20/20 actuel. Les « trois 40% » sont :
- Réduction de 40% des émissions de CO2 d’ici 2025 (ce qui est un objectif ambitieux vu que les chiffres 2012 ne sont pas bons).
- Augmentation grâce aux outils réglementaires du prix de 40% de l’électricité d’ici 2025 (pour favoriser les sources d’énergie propres).
- Réduction de 40% de la consommation énergétique Européenne d’ici 2025, pour moitié par une augmentation de l’efficacité énergétique et pour moitié par une politique de réduction de l’activité économique énergivore, dans un souci de réduire la pression sur la planète.
Mick Tesys a fait un très bon exposé lors
de la session dont je viens de parler, son plan a été considéré comme une approche crédible pour atteindre les objectifs ambitieux de ce nouveau programme Européen. Je vous livre ici les 6 points
principaux de sa proposition :
(1) Renforcer
de façon systémique la pertinence de l’énergie éolienne.
Le coût de production de
l’énergie éolienne aujourd’hui est encore trop élevé, et pour un certain temps, surtout si
l’on intègre les perspectives de prix des hydrocarbures qui sont très différentes de ce qui était
prévu à l’époque du Grenelle I (2007). La solution est donc de continuer à
taxer l’électricité, nucléaire ou fossile, pour d’une part subventionner les
sources vertes et d’autre part réduire le différentiel de coût. A ceux qui ont
objecté que cette politique conduisait à ne pas être compétitive en matière de data centers, Mick oppose une politique de « digital
detox ». Son cabinet prend très au sérieux les menaces
que « Google nous rendrait idiot ». J’ai développé ce sujet dans un billet précédent, et on peu lire avec intérêt « The Shallows » de Nicholas Carr. L’abus de la connectivité
permanente, de l’hyper-navigation et des smartphones limite notre attention et
notre capacité à apprendre. Le plan proposé par Mick inclut la limitation à un
seul objet portable (smartphone ou tablette) par français, en s’appuyant sur un
numéro unique contrôlé par le GIE portabilité. « Le digital detox est une opportunité de
compétitivité culturelle pour la France » a expliqué Mick, en ajoutant
qu’il fallait bien sur interdire les tablettes à l’école pour se concentrer sur
l’enseignement des mathématiques, du français et du latin.
(2) Promouvoir l’énergie solaire en réduisant le
besoin de recours au stockage.
Le coût de stockage de l’énergie reste très cher, et toute forme de production
d’électricité qui s’appuie sur du stockage à cause de son intermittence est
condamnée pour l’instant à ne pas être rentable, en dehors des très courtes
périodes de pics pour lesquelles les prix de marchés peuvent être plus
élevés. Le
stockage local, à base de batteries, est particulièrement cher (plus de 150$ par MWh), tandis que les
solutions globale, par exemple de type STEP, nécessite de construire des nouveaux réseaux entre
les lieux de stockage et les lieux de production. La solution systémique
proposée par Mick Tesys est de déplacer la demande par une politique tarifaire
qui favorise la consommation diurne. Dans son plan, le coût de l’électricité
serait multiplié par 4 dès que le soleil tombe, avec une péréquation pour réduire
le cout pendant la journée. En bon disciple de Jeremy Rifkin, il voit dans les
technologies de compteur intelligent du Smart
Grid la possibilité de déplacer la demander avec de la tarification
dynamique.
(3) Favoriser la voiture électrique
grâce à la règlementation urbaine.
Le
coût élevé des batteries reste un grave handicap pour l’essor des voitures
électriques. Compte-tenu des durées de vies limitées, la propulsion électrique
dont l’énergie sort d’une batterie est difficilement compétitive avec les
moteurs thermiques modernes, surtout sous une forme hybride. Comme il existe en
revanche un avantage en dehors de la batterie (le groupe propulseur électrique
coûte moins cher qu’un ensemble moteur thermique et boite de vitesse), l’analyse
économique de Mick Tesys montre qu’il existe deux configurations rentables :
la petite voiture urbaine avec une
faible batterie (le gain sur le coût du moteur compense partiellement le prix
de la petite batterie) ou les voitures haut de gamme, de type Tesla S, pour lesquelles le prix de la grosse batterie
est « caché » dans un ensemble d’équipements de prestations. Pour la
voiture moyenne, la rentabilité de la propulsion électrique n’est pas là, ce
qui explique les
résultats décevants de Zoe. La
solution systémique est donc également de déplacer l’équilibre des avantages/inconvénients
grâce à la régulation. Le plan « Grenelle
III » comporte deux mesures : (a) nouvelles limitations de vitesses :
100km/h sur autoroute, 70 km/h sur route et 30km/h en ville ; (b) la
décision de réserver à partir de 2017 les centres villes aux véhicules
électriques (« zéro émission »). La simulation effectuée par le
LMSCAI (Laboratoire
de Modélisation de Systèmes Complexes à base d’Agents Intelligents) montre
que dans ces conditions, le parc de voitures électriques pourrait atteindre 50%
en 2020.
(4) Accompagner la transition énergétique par une
véritable politique sociale
Mick Tesys est d’une grande lucidité sur les impacts de son plan, il déclare « Notre politique en faveur d’une énergie
chère va produire de la décroissance industrielle ». C’est
un véritable choix de société, il faut apprendre la frugalité
aux Français. Pour que cette transformation soit juste, elle doit donc d’accompagner
d’une taxation sociale à l’usage. Mick a présenté une proposition de
tarification qui s’appuie sur un prix « social » pour la fraction de
consommation en eau, chauffage et électricité qui correspond à une consommation
frugale d’un individu modéré. Le tarif augmente ensuite sensiblement, pour
atteindre un niveau maximal qui intègre une taxe
carbone de 250€/t pour les familles aisées. Le débat sur l’équité par
rapport aux
familles nombreuses n’a pas eu lieu, le plan Grenelle III comporte
une proposition de formation
d’inspiration Malthusienne dans les écoles pour décourager les familles
nombreuses et réduire
la pression sur la planète (empreinte
écologique). Devant une audience qui lui était acquise, Mick a déclaré :
« Il faut s’inspirer de l’exemple
chinois, et également proposer des modèles alternatifs de famille qui
conduisent à la décroissance naturelle de la population ».
(5) Profiter de l’essor des objets connectés pour faire de la France un
modèle de civisme contrôlé.
La conférence a été l’objet d’un long débat sur la vitesse de pénétration des
solutions de « Smart Home » et de capacité d’avoir des « chauffages
intelligents » couplés avec les « Smart Grids ». Mick travaille
avec le cabinet de Fleur
Pelerin pour mettre un boitier Netatmo
chez tous les français. « Nous devons profiter de l’avance
de la France dans le domaine des objets connectés et installer un compteur
de calories connectés dans tous les foyers ». Bien avant l’arrivée des
chauffages intelligents de 3 ème génération, ces objets intelligents peuvent servir d’instruments
de mesure et de contrôle, en faveur d’une vaste politique de frugalité calorique. Il s’agit
de reprendre le principe des radars automatiques et du permis à point. Chaque
boitier est capable de détecter une
température anormalement élevée et d’envoyer automatiquement par email
(pour éviter la déforestation, il faut faire mieux que les amendes liées aux
excès de vitesse) un procès-verbal d’excès de chauffage. Chaque foyer dispose d’un
permis à points, pour mettre en
place une boucle d’apprentissage
avec feedback. Mick Tesys a commenté les
expériences de Smart Grids en Corée, qui montrent un effet
rebond : la plus grande efficacité énergétique est utilisée par les habitants pour obtenir un plus grand
confort thermique. L’intérêt de l’utilisation des TIC (objets communicants) est
de permettre au régulateur d’éviter ces comportement déviants et peu civiques.
(6) Inscrire la consommation responsable dans un grand
programme de E-santé
Parmi les différents gaz
à effet de serre, le
méthane est particulièrement inquiétant, puisque son PRG (potentiel de
réchauffement global) est 25 fois supérieur
à celui du dioxyde de carbone. Mick souhaite sensibiliser l’opinion
publique sur
les ressources nécessaires pour produire un kilo de bœuf, comparées à celle
nécessaires pour produire un kilo de protéines végétales, ainsi qu’aux externalités
négatives telles que la production de méthane. Dans le cadre du volet « consommation
responsable » de son programme législatif, il instaure une taxe sur la
viande de bœuf et sur les pâtisseries au beurre. Pour renforcer l’éducation des
nouvelles générations, il est également proposé d’instaurer un régime
végétarien obligatoire dans l’enseignement supérieur, « une fois que les élèves on terminé leur
croissance ». En revanche, parce qu’il a lu Kahneman,
Mick Tesys réduit les taxes sur le sucre et le chocolat. En effet, il est
scientifiquement prouvé que le sucre nous rend plus créatifs et plus
collaboratifs, « ce qui est
indispensable pour mettre la France en avant de l’économie numérique et du
savoir ». Ce volet de
consommation responsable contient de nombreuses mesures destinées à améliorer
la santé de nos concitoyens. Par exemples, la TIPP s’appliquerait aux huiles de
consommation (ce qui supprime le
problème des agriculteurs qui roulent à l’huile de colza) et aux spiritueux
(pour réduire le
problème de l’alcoolisme en France). Ce programme instaure
aussi une mesure annuelle du cholestérol
pour tous, et une indexation de la CSG sur ce taux de cholestérol. Je cite :
« Il ne s’agit pas de matraquer les français
avec une nouvelle taxe, mais d’améliorer les connaissances et la prise de
conscience de tous ». La vocation de ce programme est de s’effectuer
par auto-mesure grâce aux
progrès constants en matière d’objets connectés portables. Le
fléau de l’augmentation de l’obésité doit être adressé, et cette mesure
systémique est de nature à renverser la tendance, en s’appuyant sur un
indicateur qui est justifié d’un
point de vue médical.
Il est clair que les
propositions de Mick Tesys ne sont pas forcément populaires, mais on ne peut
être que frappé par la cohérence de ce programme. Ce travail a donné lieu à un article dans le Journal on Policy and Complex Systems. Il s’appuie sur le principe de « Irritant Homeostasis »
qui postule que si l’environnement devient irritant, il faut irriter les citoyens. C’est d’ailleurs ce principe qui est utilisé à Paris pour faire évoluer la circulation automobile.
C’est également une
belle illustration de la « Systemic Attitude », le fait de travailler sur les
causes profondes et de proposer des législations qui vont profondément changer
nos habitudes.