dimanche, mars 18, 2007

Revue du livre "Complex Organizations" de C. Perrow

Un court message ce week-end, organisé autour du commentaire d’un livre. Au cours de la rédaction de mon bouquin l’été dernier, je me suis réalisé une «pile de livres à lire » que je commence cette année. Le livre de Charles Perrow « Complex Organizations » est le premier de cette pile, c’est en fait un "incontournable" que j’aurais du lire plus tôt … Les prochains, que je lis en ce moment sont « The complexity of Cooperation » de R. Axelrod et « Organizations » de J. March et H. Simon. La proximité entre ce que je fais et ces deux derniers livres est exceptionnelle, j’y reviendrais.

Voici donc une liste de quelques idées clés retenues dans le livre de Charles Perrow, à cause de leur pertinence par rapport au thème de ce blog. Comme pour le livre de Watts, ce n’est pas une « fiche de lecture fidèle »…

  • Une réflexion sur l’émergence naturelle de « surplus » dans une bureaucratie, c’est-à-dire (dans ce contexte) une organisation fortement hiérarchique. L’analyse des bureaucratie inclus une réflexion passionnante sur le « span of control », ou l’on retrouve des arguments déjà exposés dans ce blog (des deux cotés du dilemme « hiérarchie plate » vs « hiérarchie profonde »). En particulier, il cite P. Blau sur l’importance du temps nécessaire pour l’échange entre les managers et leur subordonnés directs dans des situations complexes.
  • Une réflexion sur la relation entre l’organisation et les flux d’information qui est précisément le sujet de ce blog. Je vous livre à titre d’exemple cette citation que je pourrais reprendre : « The hierarchy established routes of communication where information was needed and levels where certain kinds of decisions could be made ». Charles Perrow propose une abstraction de la hiérarchie autour de trois fonctions : la communication, la gestion des connaissance et la prise de décision. Les réflexions sur la formalisation de la prise de décision m’ouvrent des portes pour améliorer mon propre modèle.
  • Il propose une description très intéressante du modèle de H. Simon en terme d’entreprise. La proximité intellectuelle avec le modèle générique proposé dans SIFOA (modèle autour des processus) est frappante (y compris dans la démarche), j’y reviendrai après avoir lu le livre de H. Simon. En particulier, la communication y joue un rôle structurant, et est organisée suivant les canaux (sounds familiar ?) et leurs poids respectifs.
  • Charles Perrow propose une analyse des conflits dans l’entreprise, avec en particulier une description du modèle des « garbage cans », qui « greatly illuminates the micro organizational process of group dynamics, intergroup relations and the dilemnas of leadership, … it makes some kind of sense out of the bewildering shifts, turns, and unexpected outcomes in daily organizational life ».
  • De façon similaire, il étudie également le sujet de la centralisation/decentralisation en fonction du “coupling” (ce que j’ai désigné par le “degré de transversalité” des processus dans mon modèle) et la complexité. Sa conclusion, traduite dans le contexte des entreprises modernes, est en faveur de la décentralisation (cf. 2eme partie de mon livre).
  • Pour finir, ce livre contient un « survey » de différents modèles du fonctionnement de l’entreprise, tels que les modèles « population ecology » ou le modèle des « coûts de transactions » originellement du à Coase. En particulier, l’approche de R. Nelson et S. Winter dans « An Evolutionary Theory of Economic Change » semble très intéressante pour mon approche (je viens d’ajouter le livre à ma pile :)). Ce modèle s’intéresse à la mémoire organisationnelle (« Organizations remember by doing »), qu’il s’agisse de procédure ou de processus.

J’ai présenté la méthode « Simulation par Jeux et Apprentissage » lors de la dernière conférence ROADEF-FRANCORO (Recherche opérationnelle) à Grenoble, et je suis revenu avec quelques idées neuves, et une meilleure compréhension de la recherche des équilibres. J’en parlerai lors d’un prochain message. Une des priorités en ce moment est de réaliser un « automate à simulation », parce que l’exploration telle que je la pratique (en lançant des « expériences » à la main) n’est pas assez systématique pour tirer des enseignements convaincants.

Une des autres idées qui me trottent dans la tête est de reprendre les simulations de Duncan Watts en introduisant les informations de fréquence de contact dans les réseaux sociaux (graphes étiquetés). Cela a un double intérêt : scientifique, pour voir si l’ajout de cette information permet de confirmer et raffiner les résultats de Watts, et pratique (par rapport à mon objectif d’étude des organisations) pour mieux caractériser le réseau d’affiliation (alias « le système réunion ») pour ma propre simulation.

dimanche, mars 04, 2007

Optimiser les réunions pour éviter le multi-tasking

Mon second livre est enfin sorti (cf. lien à coté) ! Aujourd’hui je vais mettre en valeur le sujet de l’organisation des réunions en commentant sept propositions qui sont tirées de ce livre.

Je vais commencer par commenter une étude très intéressante de University of London qui montre que les collaborateurs d’une entreprise qui sont soumis au flux d’interruptions des coups de téléphone et des email sur un PDA (de type Blackberry) perdent en moyenne l’équivalent de 10 points de QI en terme de capacité de réflexion ! (voir par exemple). Ce résultat n’est pas isolé : dans son célèbre livre « Peopleware », DeMarco et Lister rapportent des expériences qui ont été faites sur des programmeurs, avec et sans interruptions dans leur travail, et qui sont sans appel : la perte de productivité causée par les interruptions est spectaculaire ! Le temps est une donnée précieuse, qui ne peut pas être segmentée ou subdivisée sans impact, il faut des «périodes entières » pour accomplir un travail intellectuel efficace.

D’où vient donc cette épidémie du multi-tasking, qui est de plus en plus critiquée dans la presse « business » mais qui est clairement un tendance de fond (un sujet que j’aborde dans mon livre :)) ? Le multi-tasking, grâce aux outils modernes (téléphone mobile et PDA) est une réponse à « l’accélération du temps » (le besoin de prendre des décisions rapidement) et à la surcharge informationnelle dans laquelle nous (dans le monde des entreprise) vivons de plus en plus. En passant, l’étude précitée montre une autre chose bien connue dans le monde des neurosciences : les femmes sont plus aptes que les hommes au multi-tasking (la perte est de 15 points de QI pour les hommes et 5 points seulement pour les femmes). La « nécessité » d’utilise le téléphone ou le blackberry comme un canal d’urgence pour obtenir une réponse rapidement est la conséquence d’une mauvaise gestion du temps et des priorités, qui font qu’il faut entre dans un mode « exception » pour traiter des sujets prioritaires. L’usage en mode interruptif n’est pas une caractéristique de l’outil (téléphone ou PDA) mais bien une conséquence de cette utilisation du canal (je ne suis obligé de consulter mon email fréquemment que s’il est attendu que je réponde rapidement aux emails « urgents »).

Il existe donc un lien évident entre la bonne utilisation des outils de communication, des canaux de communication et la bonne utilisation des réunions (un des sujets de fond de ce blog). Un bon « système réunion » doit laisser le temps de traiter rapidement les sujets exceptionnels et les aléas de forte priorité. C’est ce sujet qui est partiellement abordé dans mon livre, en attendant un livre complet sur le sujet (en 2009 ?).

Sur le sujet du contrôle de la quantité d’information qui passe par chaque canal, je ne peux que recommander la lecture d’un excellent article par Naomi Baron « Adjusting the Volume : Technology and Multitasking in Discourse Control ». La métaphore du « réglage de volume » qui consiste à piloter le flux d’information en entrée (ce qui ajuste de facto le temps de réponse, c’est-à-dire la latence du canal) recouvre précisément une partie de ce que je traite dans ce blog depuis deux ans. L’article de Naomi Baron est très riche et fait référence à de nombreuses études.

Puisqu’il est essentiel d’éviter la surcharge et de bien traiter les priorités, voici donc sept suggestions qui concernent l’organisation des réunions :

  1. Il faut utiliser les échanges électroniques (email) pour diffuser de l’information, et au contraire ne traiter les sujets difficiles que sous forme de contact visuel. Toutes les études faites en psycho et sociologie dans le domaine CMC (Computer-mediated communication) montre que (a) la communication corporelle (b) la boucle de retour implicite dans la communication face-à-face sont essentielles pour traiter de sujets conflictuels. A l’inverse, l’asynchronisme de la communication électronique facilite la possibilité de trouver son interlocuteur « dans un bon état d’esprit » pour s’informer ou pour apprendre.
  2. Dans une réunion de décision, la majorité du temps doit être consacré à l’appropriation, c’est-à-dire la reformulation par chacun des présents. J’ai déjà donné dans un message précédent les références des études qui montrent qu’on lit beaucoup plus vite qu’on écoute. Dès qu’il y a plusieurs destinataires, il existe un avantage au courrier électronique par rapport à la présentation orale. En conséquence (et en règle générale, il existe toujours des exceptions), il est plus efficace de faire parvenir les documents de travail à l’avance sous forme électronique pour prendre la décision en début de réunion. La majeure partie de la réunion doit permettre à chacun de s’exprimer (ce qui transforme l’appropriation en action, et ce qui ne peut pas, précisément, se faire de façon électronique). Le rôle fondamental de l’appropriation est très bien expliqué par Christophe Legrenzi, lorsqu’il contraste les styles de réunions dans différents pays (en particulier la France, l’Allemagne et le Japon).
  3. La responsabilisation des acteurs pendant une réunion est fondamentale et implique qu’il faut réduire le nombre de participants pour toute réunion hormis une réunion d’information. Les exemples tirés de la sociologie abondent qui montrent que la multiplication des présents dilue rapidement la responsabilité. On pense aux exemples de Christian Morel (syndrome du spectateur) ou au « diner’s dilemma », qui ont déjà été évoqués sur ce blog. La conséquence est qu’il faut savoir couper une réunion de 20 personnes (ou de 15 !) en deux : la première réunion ne comporte que les acteurs du sujets (qui doivent être responsables et doivent tous s’exprimer – cf. le point précédent). La seconde contient les autres parties prenantes qui doivent être informés (et s’approprier, sinon un email suffirait). L’ensemble des deux réunions est plus efficace et plus efficient que la réunion unique.
  4. Le rôle de l’animateur pour construire le consensus (qu’il s’agisse d’un projet ou du pilotage d’un processus) est une clé d’efficacité. Si, pour établir un consensus entre n acteurs, il est nécessaire que chacun s’exprime au moins 5 minutes, il faudra au moins 5 x n^2 minute.homme dans une réunion générale, alors que la préparation 10 x n minute.homme si l’animateur passe voir chacun au titre de la préparation de la réunion. Autrement dit, pour les sujets importants, il vaut mieux attribuer les rôles de coordination à des personnes plutôt qu’à des comités.
  5. Il faut favoriser la latence de transmission des informations importantes (i.e., la rapidité) en utilisant le « système réunion », plutôt que le mode « exceptions », en constituant des petits clusters fortement connectés. Cela signifie que les réunions planifiées doivent permettre à chaque collaborateur de voir de façon fréquente les acteurs principaux avec lesquels il collabore (son manager, ses direct reports, etc.). Comme il s’agit d’un compromis (on ne peut pas rencontrer tout le monde souvent, il faut arbitrer entre le souvent et le fait de rencontrer un grand nombre de personne), il faut jouer sur la taille de ce groupe et sur le fait de privilégier des réunions courtes et fréquentes. L’objectif est de garantir la capacité à propager les informations importantes même dans le cas d’une surcharge de travail. L’absence d’une telle structure est la raison principale de la non-délégation en réunion : plusieurs managers sur la même ligne hiérarchique sont présents car ils n’auraient pas sinon l’occasion d’échanger sur le sujet.
  6. Cette structure doit être compensée par l’existence, au sein du « système réunion », d’une part de réunions d’information avec un grand nombre de participants et d’autre part de comités transverses qui réunissent des personnes « éloignées ». Il s’agit précisément de construire une « structure de petits mondes » qui garantit une propagation rapide de l’information. Il s’agit également de construire des chaînes courtes pour l’alignement stratégique de l’entreprise. Il est important que certaines orientations stratégiques puissent parvenir à l’ensemble des collaborateurs avec un nombre minimal d’intermédiaires. On notera que ce dernier point est ressemble à la préconisation de l’aplatissement des hiérarchies.
  7. L’agenda partagé de l’ensemble des comités est un outil précieux pour organiser des chemins privilégiés de propagation des informations. On peut de la sorte s’assurer que des paires de comités qui sont liés dans la transmission sont ordonnancées avec un délai minimal. L’exemple le plus classique consiste à placer les comités « de remontée d’information ou d’analyse » juste avant un comité de direction générale, tandis que les comités « d’information ou d’alignement stratégique » sont placés juste après.